Offre de service

Jean-Philippe Toussaint, la Clé USB, 2019, couverture

«Les gens s’en foutent, foncièrement,
de ce qui vous arrive.»

Vous voudriez pouvoir disparaître de la surface du globe pendant 48 heures, suspendre votre vie routinière, vivre «un blanc» (p. 9) ?

Vous cherchez un roman où l’on réfléchit aux interactions entre les langues dans le monde et, par voie de conséquence, à la prépondérance supposée de l’anglais ?

Vous vous demandez ce que pourrait être l’Europe et qui sont les eurocrates ?

Vous vous interrogez sur la nature du temps, particulièrement de l’avenir ?

Vous chérissez les romans où lire des phrases comme celle-ci : «Même si nous vivons en vase clos, nous sommes quand même moins consanguins qu’une famille royale ou qu’un orchestre philharmonique» (p. 14) ?

Vous appréciez le roman d’espionnage, même décalé ?

Vous n’appréciez pas certains échanges téléphoniques ?

Vous admirez les portraits bien torchés ?

Vous ne voyez pas d’un bon œil la mondialisation ?

Vous n’êtes pas allergique au hackeur, au blockchain, au bitcoin, au minage, au monitoring ?

Vous connaissez Bruxelles, Tokyo et Dalian (c’est en Chine) ?

Vous avez senti l’envie irrépressible de «voler [des] cintres antivols» dans une chambre d’hôtel (p. 136) ?

Vous êtes sensible aux pressentiments ?

Vous avez travaillé dans une salle de bain transformée en bureau ?

Vous acceptez les ruptures narratives radicales, les passages des luttes publiques aux déchirements intimes ?

Vous paniquez parfois ?

Vous avez déjà eu peur de vous retrouver devant une foule et d’être incapable de parler ?

Vous craignez la mort, la vôtre comme celle d’êtres chers ?

Vous aimez le roman ?

La Clé USB, de Jean-Philippe Toussaint, est pour vous.

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, la Clé USB. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 190 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Patrick Émiroglou

Patrick Émiroglou, Salut l’écrivain !, 2019, couverture

«Remarquez, ce n’est pas parce que la planète se meurt, que des timbrés sont aux manettes, que la dictature numérique se renforce chaque jour davantage, que tous les capteurs d’attention numériques du Web me pompent l’air et mes données pour les agréger et les revendre au plus offrant que je m’inquiète, non…»

Patrick Émiroglou, Salut l’écrivain !, Montréal, Del Busso, 2019, 167 p., p. 162.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Oui, à nous

Maria Candea et Laélia Véron, Le français est à nous !, 2019, couverture

Au printemps, Maria Candea et Laélia Véron faisaient paraître Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique. Pour qui n’aime pas les discours déclinistes, c’est une lecture obligatoire.

Que veulent-elles faire ?

Notre objectif est triple : définir la langue et les notions linguistiques de base, décrypter les enjeux sociaux et citoyens liés à ces questions de langue et, pour finir, raconter quelques histoires situées à différentes époques de l’histoire du français. À ces trois objectifs répond la structure en trois parties de cet ouvrage [«Qu’est-ce que la langue ?»; «Au nom de la langue»; «Langue et débats : promenades dans les histoires de la langue»]; mais les ponts entre définitions, pratiques et histoire sont bien entendu nombreux (p. 11).

Chaque chapitre est introduit par un encadré contenant un résumé du sujet à traiter, en deux parties : «On pense souvent, à tort, que :»; «Mais souvent, on ne sait pas que :» Tous contiennent un ou deux «Focus», où les autrices abordent une question de façon synthétique : «Que penser de l’écriture dite “inclusive” ?» (p. 117-120); «L’Europe était-elle francophone et francophile au XVIIIe siècle ?» (p. 169-170); «Faut-il réformer l’ortografe du français ?» (p. 196-202); etc. Les textes se terminent sur une bibliographie, et l’ouvrage sur un glossaire.

Les positions défendues le sont avec fermeté : contre «l’idéologie puriste» (p. 8), la prescription linguistique, l’essentialisme, les «réactionnaires professionnels» (p. 25) et la «blogosphère réactionnaire» (p. 78), les «idées reçues nocives» (p. 42), le «registre de la déploration» (p. 62), les «grammairiens interventionnistes» (à la suite d’Éliane Viennot, p. 106). Le sont aussi les propositions, notamment sur l’enseignement de la langue (p. 24-25, p. 44, p. 48, p. 200-201) et sur des questions plus spécifiques (l’accord du participe passé, p. 107 n. 1). Voilà comment lutter contre l’«insécurité linguistique».

Les exemples sont excellents : végan / végane (p. 31), bolos / boloss (p. 31-32), aller au / chez le coiffeur (p. 56-60), souping (p. 67 et p. 73), migrant (p. 96), paysan (p. 99-100), autrice (p. 108-109), étudiante, au sens de prostituée (p. 111-112). Les sources sont diverses, de la littérature à la presse, en passant par les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, les sites Web, les blogues, YouTube).

Candea et Véron ont leurs adversaires de prédilection. L’Académie française, au mieux, ne sert «Rigoureusement à rien» (p. 37); au pire, elle a un «pouvoir de nuisance» (p. 121). De quel amour blessée, d’Alain Borer (2014), est «encore plus catastrophiste et nécrophilique» (p. 82) que Notre langue française, de Jean-Michel Delacomptée (2018). Marc Fumaroli publie des «ouvrages bien peu théorisés» (p. 167) et il défend une conception des sociabilités «clairement antidémocratique» (p. 168), en plus d’être un «grand fournisseur de mythes sur l’Âge classique auprès des médias» (p. 169). Dans les mêmes médias — mais pas dans ses études —, Alain Bentolila raconte n’importe quoi, s’agissant du lexique des «jeunes» (p. 76-78), de même qu’Alain Finkielkraut sur les accents (p. 80). Étiemble et son franglais sont épinglés (p. 71-72); on aurait pu y aller plus fort. Au-delà de la période contemporaine, retenons la déconstruction de l’«approche pseudo-linguistique» (p. 165) de Rivarol et de son discours De l’universalité de la langue française (1784).

L’Oreille tendue a particulièrement apprécié le passage sur la prétendue «langue de Molière» (p. 23-24), la démonstration du caractère circonscrit de l’enseignement du français dans les colonies françaises (p. 122-139), les explications sur l’origine militaire et l’«idéologie profondément raciste» (p. 137) du «petit nègre» (p. 136-138), les pages dures sur l’Organisation internationale de la francophonie (p. 140-156). Maria Candea et Laélia Véron sont toujours sensibles aux variations — géographiques, sociales, historiques («Derrière chaque faute courante, il y a une histoire», p. 56) — et leurs lecteurs ne peuvent que s’en réjouir.

L’Oreille est à l’occasion gossante; on l’en excusera (ou pas). Elle ne comprend guère ce que serait l’«amour du français», plusieurs fois revendiqué (p. 43-45, p. 48, p. 81, p., 225) : aimer la langue et ce qu’elle permet de faire, oui; mais aimer une langue, pourquoi ? À cet égard, le début de la «Conclusion» verse dans le procès d’intention (p. 219-220). Quoi qu’en dise Wikipédia, le Québécois Jean-Marc Léger est bien plus un journaliste et un fonctionnaire qu’un écrivain (p. 145). S’il n’existe pas de définition universellement acceptée des humanités numériques, le passage qui leur est consacré (p. 212-214) pourrait prêter à de longs débats.

Ce sont là des détails. L’essentiel est ailleurs, et à lire.

 

Référence

Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, coll. «Cahiers libres», 2019, 238 p.

Divergences transatlantiques 057

Un Dictionnaire des francophones, évolutif, numérique, collaboratif et gratuit, doit être lancé en septembre 2019. Dans une vidéo publicitaire, Valère, 25 ans, de la Côte-d’Ivoire, explique le sens de l’expression avoir la bouche sucrée : «Se dit de quelqu’un qui est beau parleur, qui aime flatter.»

 

La belle-mère de Diderot, au XVIIIe siècle, disait de lui qu’il avait une «langue dorée». Explication du Dictionnaire de l’Académie française, édition de 1762 : «On dit fig. & fam. de quelqu’un qui parle facilement & élégamment, que C’est une langue dorée

Le sucre des uns serait-il l’or des autres ?

Autopromotion (différée) 445

Article «Molière», Wikipédia

L’Oreille tendue utilise Wikipédia. Elle y collabore. Elle en traite en classe. Elle s’en sert pour ce blogue. Elle donne des conférences sur le sujet, souvent sous le titre «Diderot : de l’Encyclopédie à Wikipédia», et des entrevues, par exemple celle-ci. Elle a publié des articles là-dessus :

Melançon, Benoît, «Journal d’un (modeste) Wikipédien», dans Rainier Grutman et Christian Milat (édit.), Lecture, rêve, hypertexte. Liber amicorum Christian Vandendorpe, Ottawa, Éditions David, coll. «Voix savantes», 32, 2009, p. 225-239. https://doi.org/1866/11380

Melançon, Benoît, «Confessions d’un optimiste (numérique)», dans Transmettre la culture. Enjeux et contenus de l’enseignement secondaire au Québec. À la recherche d’un socle. Synthèse et Actes du colloque d’octobre 2012, Montréal, Académie des lettres du Québec, [2014], p. 54-70. Suivi d’une «Discussion de cet exposé», p. 71-80. https://doi.org/1866/13165

Melançon, Benoît, «Les vertus utopiques de l’encyclopédisme», Sens public, revue numérique, rubrique «Chroniques», 7 mai 2018. http://www.sens-public.org/article1323.html

Elle a eu l’occasion d’en parler à la radio, notamment le 18 mars 2012 et le 16 janvier 2018.

Cela vient de se produire de nouveau, le 15 juillet, à l’émission Bien entendu de la radio de Radio-Canada, avec Amber Berson, au micro de Stéphan Bureau. Ça s’écoute ici.