Investir les signes de 2012

Une princesse contre la loi

Quiconque s’intéresse pas trop idiotement au numérique — oui, l’Oreille tendue a en tête des gens qui s’y intéressent idiotement, des pour et des contre, mais c’est une autre histoire — sait que la circulation des discours en est constitutive, circulation contrôlée, qu’on veut contrôler (sans succès), incontrôlable (de nature). Exemple.

Pendant les grèves étudiantes québécoises de 2012, l’Oreille s’est attachée à ce que révélaient les pancartes des manifestants. En en rassemblant quelques-unes sur les Pancartes de la GGI. En les commentant.

Elle n’avait pas prévu qu’un écrivain se servirait de ses bricolages pour en tirer un texte, en l’occurrence une nouvelle. Or c’est ce que vient de faire Emmanuel Bouchard, sous le titre «22». Son narrateur voudrait rester à l’écart des événements, mais il en est incapable, tant imaginairement (il baigne dans les mots de la grève) que concrètement (la rue est un lieu d’affrontements, avec des inconnus, mais aussi avec des proches). À lire.

P.-S. — Pourquoi «22» ? Parce que les plus imposants rassemblements du «Printemps érable» avaient lieu le 22 de chaque mois.

P.-P.-S. — Emmanuel Bouchard nourrit l’Oreille de suggestions bienvenues depuis plusieurs années (merci). Autre signe d’une écoute active du monde.

 

Référence

Bouchard, Emmanuel, «22», XYZ. La revue de la nouvelle, 115, automne 2013, p. 59-61. https://id.erudit.org/iderudit/69625ac

Les oui du mardi matin

L’Oreille tendue avait décidé de commencer la semaine du mauvais pied : non, c’était non, juste non.

Sur Twitter, @Lectodome a souhaité qu’elle «se mouille» : à quoi dire oui ? Voyons voir.

Jean Echenoz ? Oui.

Le retrait du crucifix de l’hôtel du Parlement du Québec ? Oui.

Diderot ? Oui.

Twitter ? Oui.

Le rythme du baseball à la radio ? Oui. (Jackie Robinson ? Cent fois oui.)

Écrire au sujet des tatouages ? Oui.

Aller à pied à l’école avec ses fils ? Oui.

La tour Eiffel ? Oui. (Le canal Saint-Martin ? Cent fois oui.)

L’histoire culturelle ? Oui.

Dire d’une œuvre qu’elle est «écrite» ? Oui.

L’absence de féminisation mécanique («les Belges et les Belges») ? Oui.

«Se flusher du bureau» ? Oui.

Allons au bureau.

Autopromotion 076

Benoît Melançon, Epistol@rités, publie.net, 2013, couverture

Sous le titre Épistol@rités (ISBN : 978-2-8145-0660-2), un recueil de trois textes de l’Oreille tendue paraît aujourd’hui chez publie.net dans la collection «Washing Machine».

Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre est le texte d’une conférence présentée le 13 décembre 1995 au Département des littératures de l’Université Laval (Québec). Il a d’abord été publié par les Éditions Fides, en 1996, dans la collection «Les grandes conférences».

La «Postface inédite» a été rédigée en 2011 pour l’édition numérique de Sevigne@Internet publiée à Montréal par Numerik:)ivres et Del Busso éditeur.

«Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier» était à l’origine une conférence prononcée dans le cadre du XXXIVe Congrès de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle (Montréal) le 18 octobre 2008. Le texte en a d’abord paru dans Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle (vol. XXIX, 2010).

Une question les unit : en quoi les pratiques numériques d’aujourd’hui permettent-elles de réféchir aux pratiques épistolaires d’hier ?

Avis aux amateurs.

P.-S. — Ce n’est pas la première collaboration de l’Oreille avec publie.net. Voir le Twictionnaire des #edées reçues de Mahigan Lepage.

 

Références

Melançon, Benoît, Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1996, 57 p. Réimpression électronique (désormais indisponible) : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre, Paris, Éditions 00h00.com, 1999, 54 p.

Melançon, Benoît, «Postface : Quinze ans plus tard», dans Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre suivies d’une postface inédite, Montréal, Numerik:)ivres et Del Busso éditeur, 2011 (réédition numérique augmentée, désormais indisponible).

Melançon, Benoît, «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier», Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle. Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies, vol. XXIX, 2010 [2011], p. 1-19. https://doi.org/10.7202/1012023ar

Melançon, Benoît, Épistol@rités, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Washing Machine», 2013. Édition numérique. Recueil de trois textes : Sevigne@Internet. Remarques sur le courrier électronique et la lettre (1996), «Postface inédite : Quinze ans plus tard» (2011) et «Épistol@rités, d’aujourd’hui à hier» (2011). https://www.publie.net/livre/epistolarites/

Le Twictionnaire des #edées reçues (2013)

Les non du lundi matin (liste non exhaustive)

Fred Pellerin ? Non.

Le nationalisme et les «valeurs québécoises» ? Non.

Olympe de Gouges ? Non.

Facebook ? Non.

Au hockey, le quatrième trio ? Non.

Les tatouages ? Non.

Les voisins ? Non.

La tour Montparnasse ? Non. (Sauf dans le Montparnasse monde.)

Les études littéraires ? Non (la plupart du temps).

Dire d’une œuvre qu’elle est «bien écrite» ? Non.

La féminisation mécanique («les mécaniciens et les mécaniciennes») ? Non.

«Bon matin» ? Non.

Bon matin.

 

Référence

Sonnet, Martine, Montparnasse monde. Roman de gare, Cognac, Le temps qu’il fait, 2011, 139 p. Ill.

Glasnost pour tous

Depuis plusieurs mois, la société québécoise est traversée de gros mots, qui commencent tous par la lettre c : corruption, collusion, collusionnaires, cartel, construction, commission, Charbonneau, construction, crime organisé, crosseurs, etc. (Ça ne va pas se calmer : les travaux de la Commission [québécoise] d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction reprennent aujourd’hui.)

Comment mettre fin à la morosité entraînée par pareils mots ? En leur opposant un mot constructif : transparence.

Pourquoi le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, avoue-t-il publiquement avoir fumé de la marijuana ? Par souci de transparence (la Presse, 23 août 2013, p. A2).

Que reproche-t-on à Stephen Harper ? De manquer de transparence. C’est du moins l’avis du commentateur politique Alec Castonguay sur Twitter : «Ça fait un bon moment que le gouv. Harper amène la transparence et les comm. vers le bas fond.» Pourtant, «Ottawa promet des réformes au nom de la transparence» (le Devoir, 11 août 2013, p. A1).

Non seulement, transparence est un mot avec lequel on ne saurait être en désaccord, il a aussi une dimension internationale. Partout dans le monde, on souhaite être transparent.

Le gouvernement américain a espionné ses propres citoyens ? Il est déchiré «Entre transparence et sécurité» (la Presse, 10 août 2013, p. A21).

La Chine fait un procès à un des anciens dirigeants ? «Procès de Bo Xilai, transparence ou propagande 2.0 ?» (la Presse, 27 août 2013, p. A13).

Vous êtes sur Facebook ? «“La transparence et la confiance sont des valeurs fondamentales chez Facebook”, a affirmé l’avocat général du groupe, Colin Stretch» (la Presse, 28 août 2013, p. A13).

Bref, le noir n’est plus la couleur à la mode. Soyez positifs ! Soyez transparents !

P.-S. — Il y a encore des sceptiques : «Les risques de la communication transparente» (la Presse, 29 août 2013, cahier Affaires, p. 4). Ils seront confondus.

 

[Complément du 28 juillet 2015]

Ceci, chez Jean-Marie Klinkenberg, dans la Langue dans la Cité (2015) : «Mais il faut assurément se défier du mot “communication”, un mot qui, avec son compère “transparence”, monte à notre firmament au fur et à mesure que les ténèbres s’épaississent autour de nous» (p. 21).

 

Référence

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.