Travaillons à notre lexique pandémique

«Gargaricube», «gargarisme par auto prélèvement», gouvernement du Québec, 2022

En 2020, l’Oreille tendue a essayé de rassembler quelques néologismes sous le titre «Bref lexique de confinement». Elle a vite été ensevelie sous l’avalanche de mots nouveaux. Elle a quand même continué à prendre des notes. En voici dix.

Un athlète non vacciné ? Novax Djocovid (Patti Basler).

Un non-vacciné qui se tâte ? Un vaccinorécalcitrant (Patrick Lagacé).

Une ponction fiscale, à défaut d’être chirurgicale ? Un vaccimpôt (Daniel Paillé).

Les défenseurs du couvre-feu et autres mesures de restriction de mouvements ? Les enfermistes (Emmanuel Macron).

Ceux qui ne craignent pas le pire covidien ? Les rassuristes (Mario Girard).

Ceux qui tiennent à vous dire à l’avance ce que s’apprêtent à vous dire les responsables sanitaires ? Les COVIDivulgâcheurs (@AscenseurRC).

Vous prenez votre retraite, évidemment bien méritée, mais loin de votre milieu de travail ? Bonne téléretraite (R. Massicotte) !

Avec quoi faire un autoprévèlement ? Un gargaricube (Justine Mercier).

Vous affirmez souffrir de mascné (masque + acné) ? Guy Bertrand n’est pas d’accord avec la façon de construire ce mot.

Vous devez suivre des conférences hybrides (physique et numérique) ? Plaignez-vous du phymérique (CÉRIUM).

Ce sera tout pour aujourd’hui.

Portez-vous bien (dit-on).

Autopromotion 610

Wikipédia, logo, 9 juin 2021

Ce matin, autour de 9 h 15 (heure de Montréal), l’Oreille tendue parlera de la fiabilité de l’encyclopédie numérique Wikipédia au micro de Patricia Bitu Tshikudi à l’émission de radio le 6 à 9 (Radio-Canada, Winnipeg).

Il sera notamment question de l’article «Wikipédia, plus fiable qu’on ne le croit».

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que l’Oreille cause de Wikipédia; voyez ici.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien .

Autopromotion 601

Maison de campagne, Québec, été 2021

L’été dernier, entre deux coups de pinceau, l’Oreille tendue a donné un long entretien à Emmanuelle Lescouët. Ça vient de paraître, sur le Carnet de la Fabrique du numérique, sous le titre «Penser publiquement la recherche». Ça se lit ici.

Il y est question de préhistoire du Web, de WordPress, du blogue, de recherche universitaire, d’enseignement, de vulgarisation, de Wikipédia, de Tumblr, de Twitter, de médias, de Word et même de TikTok — entre autres choses.

Obama épistolier

Barack Obama, A Promised Land, 2020, couverture

Certains disent que l’Oreille tendue se répète. D’autres, qu’elle radote. Tous ont raison.

Prenons un exemple : depuis plus de 25 ans, elle ne cesse de dire que le genre épistolaire, malgré ce que l’on entend partout, n’est pas en train de disparaître. Les gens écrivent encore des lettres aujourd’hui; ils en écrivent beaucoup moins, certes, et souvent dans des circonstances particulières, mais ils continuent de pratiquer cette forme d’écriture.

La preuve ? Barack Obama.

Dans ses Mémoires récents — oui, avec la majuscule initiale et au masculin —, A Promised Land (2020), le 44e président des États-Unis évoque à plusieurs reprises sa pratique épistolaire.

Ce qui concerne l’utilisation du courriel était prévisible. D’une part, on l’a assez dit, la campagne d’investiture, puis la campagne présidentielle, d’Obama ont eu très largement recours à l’univers numérique (p. 130). D’autre part, comme tout organisme contemporain, le gouvernement états-unien carbure au courrier électronique, de même que les militants, tous partis confondus.

Quand il devient sénateur à Washington en 2005, Obama confie à Pete Rouse une mission capitale («Most important»), celle de créer et de coordonner un bureau de la correspondance («the correspondence office») chargé de trier le courrier qu’il reçoit des citoyens et de leur répondre de la façon la plus adéquate possible : «“People may not like your votes,” Pete said, “but they’ll never accuse you of not answering your mail !”» (p. 56) Ne pas répondre à son courrier, même volumineux (p. 65) ? Cela ne se fait pas. Mieux encore : Obama signe lui-même les réponses préparées par son personnel (p. 66), de même que des mots de remerciements et des cartes d’anniversaire plus personnalisés (p. 90, p. 251).

Devenu président, en 2009, il demande à voir quotidiennement des lettres qui lui sont adressées à la Maison-Blanche (p. 267-269, p. 698-699). Il ne s’agit évidemment pas de toutes les lettres et de tous les courriels — il y en a environ dix mille par jour —, mais d’un échantillon de dix textes sélectionnés par son équipe, messages auxquels il répond à la main. Cette activité a une dimension quasi rituelle : «They were often the last thing I looked at before going to bed» (p. 268); «I couldn’t expect people to understand how much their voices actually meant to me — how they had sustained my spirit and beat back whispering doubts on those late, solitary nights» (p. 306). Dans la nuit («bed», «nights»), la lettre reste la possibilité d’un échange.

Plus sombres sont les lettres de condoléances qu’il adresse, une fois par semaine, aux proches des militaires tombés au combat (p. 429-430).

Barack Obama ne correspond pas, sur papier, qu’avec les citoyens des États-Unis; il a aussi des échanges avec ses collègues et vis-à-vis. Par exemple, le sénateur Ted Kennedy lui écrit au sujet de la réforme du système de santé, mais il demande que sa lettre ne soit transmise qu’après sa mort; le président la citera dans un discours au Capitole (p. 410-411). Il fait parvenir une lettre secrète à l’ayatollah Khomeini, qui lui répond sèchement (p. 454). La Chine se sert du courrier pour formuler ses plaintes commerciales (p. 474).

Il y a peut-être là un sujet à explorer : la communication des élus avec leurs électeurs, leurs collègues et leurs interlocuteurs étrangers n’est-elle pas une des manifestations les plus concrètes, au XXIe siècle, de la nécessité de la lettre ?

P.-S.—L’Oreille a déjà dit quelques mots de la pratique de la lettre de Barack Obama dans le cadre de l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit !, le 24 avril 2018.

 

Référence

Obama, Barack, A Promised Land, New York, Crown, 2020, 751 p. Ill.

Amours risibles

Ariane Chemin, À la recherche de Milan Kundera, 2021, couverture

I

En 2019, à la demande de Kevin Lambert, l’Oreille tendue publiait, dans les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, un essai intitulé «Accidents de lecture». En voici le deuxième paragraphe :

Il est ainsi des livres que l’on ne souhaite pas reprendre, pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, futiles ou pas. Il est aussi des auteurs que l’on a abandonnés en cours de route. On les a lus, parfois étudiés, longtemps suivis, fréquentés avec assiduité, puis, un jour ou au fil des années, ça s’est arrêté. On ne veut ni les relire ni continuer à les lire. L’amitié n’y est plus (p. 179).

II

Ariane Chemin est reporter au quotidien le Monde et admiratrice de Milan Kundera. Sous forme de feuilleton, elle a mené une enquête sur cet écrivain qui refuse entrevues et présences médiatiques depuis 37 ans. Les Éditions du sous-sol publient en livre ce portrait d’un «écrivain fantôme» (p. 9), d’un «disparu volontaire» (p. 10), d’un «absent omniprésent» (p. 137).

L’autrice n’a pas l’intention de proposer une analyse de l’œuvre de Kundera, même si ses textes sont cités ou évoqués plusieurs fois, de même que son passage de la poésie au roman et du tchèque au français. Elle discute avec la femme de l’écrivain, Vera, visite les lieux qu’il a fréquentés (Brno, Prague, Rennes, Paris), interviewe certains de ses proches et de ses exégètes, consulte les interminables rapports de la police tchèque sur «Élitiste I» et «Élitiste II» (2374 pages), leurs surnoms bureaucratiques (voilà qui paraît neuf). C’est l’homme Kundera qui l’intéresse, au moins autant que l’auteur.

Pour le dire poliment, l’image qui ressort de ce travail journalistique est bien peu flatteuse. Kundera, sous la plume d’Ariane Chemin, est intraitable et mesquin (dans ses textes, il cite d’abord élogieusement Philippe Sollers, qu’il apprécie; il se brouille avec lui; il le fait disparaître des rééditions). Lui et sa femme souhaitent verrouiller le discours qu’on tient et qu’on tiendra sur lui; à juste titre, Chemin appelle cela un «roman officiel» (p. 29). En «grand tacticien» de sa postérité (p. 104), il essaie de minimiser, voire d’effacer, par exemple, l’importance de son passé communiste. Il s’escrime à «toujours maçonner et verrouiller soi-même son œuvre avant de quitter les vivants» (p. 98). Il n’aime plus la lecture proposée par Aragon dans sa préface de la Plaisanterie (1968) ? À la trappe !

Ariane Chemin, à la fin de son livre, parle du «destin tragique» de Milan Kundera (p. 133). Ce n’est pas la seule lecture que l’on peut faire du personnage.

P.-S.—Le portrait de Kundera est dur. Celui de Vera et de ses superstitions (p. 63, p. 110-112) ne l’est pas moins, bien qu’Ariane Chemin ait manifestement de l’affection pour elle.

P.-P.-S.—Au premier abord, l’objet est joli. Puis on le lit et on s’étonne d’y trouver tant de répétitions («son ami» est martelé), d’incohérences (il a 91 ou 92 ans, Kundera ?), de coquilles (p. 73, p. 117), de jeux de mots nases («seule une traduction le sauVera», p. 37).

P.-P.-P.-S.—Rappelons, pour finir, que Kundera refuse la numérisation de ses ouvrages : autre signe de son obsession du contrôle.

 

Références

Chemin, Ariane, À la recherche de Milan Kundera, Paris, Éditions du sous-sol, 2021, 133 p.

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565