Néologisme du jour

En avril 2011, à la suggestion de son fils aîné, l’Oreille tendue mettait en ligne un texte sur le mot swag. Cela a attiré une foule d’internautes (près de 420 000 [!!!!!], en date d’hier), dont beaucoup ont commenté le contenu de l’article. Est cependant arrivé un moment où l’Oreille a décidé de clore les discussions : ça dérapait.

Dans ces discussions, il était fréquemment question de l’étymologie supposée du mot swag : Secretly We Are Gay. Cette étymologie est fausse (démonstration ici).

Elle constituerait, dit Wikipédia, un rétroacronyme : «Acronyme expliqué après coup alors que ce n’en est pas un à l’origine, ou fantaisiste pour donner un nouveau sens à un acronyme existant.» Exemples : SOS ne voudrait dire ni Save Our Souls ni Save Our Ship.

Signalant l’existence de rétroacronyme sur Twitter, l’Oreille a eu droit à d’autres suggestions : CRS = Cars Remplis de Salauds ou Compagnie de Répression Sanguinaire (@petaramesh); RATP = Rentre Avec Tes Pieds (@C_licare). Puis, le lendemain, le hasard s’en est mêlé : «PhD: Philosophiæ doctor ou Procrastinatrice hautement Douée?» se demandait @LLambertChan.

Pour le dire d’un mot : ONU (Ô Néologisme Utile !).

 

[Complément du 28 novembre 2012]

Rappel à l’ordre de la part de @PimpetteDunoyer : «vous oubliez un des 1ers rétroacronymes qu’on puisse découvrir : le “Cornichons Diplomatiques” de Haddock pour la plaque CD.» Mea maxima culpa, en quelque sorte.

Disparaître

Un jour du printemps 2011, le fils aîné de l’Oreille tendue rentra à la maison avec un nouveau mot : swag. Elle en fit une entrée de blogue (ici), qui n’attira pas particulièrement l’attention.

Puis, pour des raisons encore inexpliquées, ce fut le boom. Il y eut des centaines, parfois des milliers, de visites quotidiennement. Au moment de la rédaction de ces lignes, l’article a été vu 411 153 fois (!!!). Il y eut même une époque où l’internaute qui tapait «swag» dans un moteur de recherche francophone tombait tout de suite sur l’Oreille. Il est d’ailleurs arrivé un temps où il a fallu fermer les commentaires sur cette page : trop, c’était trop.

Puis, soudain, avant-hier, krach. Presque plus personne : quatre pelés et un tondu. Que s’est-il passé ?

Inquiète, l’Oreille alla regarder sous le capot de son blogue. Une extension WordPress, Popular Posts, faisait des siennes : au lieu de renvoyer aux textes les plus consultés du blogue, les liens retenus par Popular Posts pointait vers des sites extérieurs, pas tous fréquentables.

Coïncidence ou pas, c’est le même jour que l’article consacré au swag par l’Oreille disparut de Google. Oui : il a disparu; malgré des formulations de recherche multiples, plus moyen de l’y retrouver.

On est bien peu de chose : en quelques heures, l’Oreille a perdu tout son swag. Elle ne sait pas si elle pourra s’en remettre.

 

[Complément du 4 novembre 2012]

On s’en réjouira (ou pas) : sur Google, pour l’Oreille et le swag, les choses sont revenues à la normale, façon de parler, durant les premiers jours de novembre.

Unicité vitale

Yolo

L’Oreille tendue a des enfants. Elle est le père, notamment, d’un fils de quatorze ans. Celui-ci parle français, certes, mais le français des adolescents de son âge. La communication familiale peut parfois en être entravée.

Exemple.

Yolo est un mot venu, semble-t-il, du rap. On le trouve notamment dans «The Motto», une chanson de Drake, qui que soit Drake. Traductions ? «You Only Live Once» (Tu ne vis qu’une fois).

Yolo s’emploie seul, pour qualifier les actions de quelqu’un, bonnes ou mauvaises.

En effet : de ce mot, on peut tirer deux crédos. Soit, puisqu’on ne vit qu’une fois, on peut en profiter pour faire toutes les bêtises possibles et imaginables; on ne les emportera que dans la tombe. Soit on profite au maximum de la vie, sans faire pourtant ce genre de bêtises; le plaisir n’interdit pas le sens des responsabilités.

On sait bien de quel côté penche le fils de l’Oreille.

 

[Complément du 16 novembre 2012]

Oxford University Press vient de faire de GIF son mot de l’année. Parmi les finalistes ? Yolo. Liste ici.

 

[Complément du 3 juin 2013]

Deux variations sur le Yolo.

La première est numérique : You Only Live Online. (Merci à @OursMathieu.)

La seconde est québécoise : Yink Une Vie À Vivre. (Merci à @catheoret.)

 

[Complément du 20 janvier 2014]

Dans le Devoir des 18-19 janvier 2014, Édouard Nasri répond, avec l’aide de la philosophie, à la question «YOLO : le carpe diem des temps modernes ?» (p. B6)

Sa réponse est moins tranchante que celle de Samuel Archibald, parue dans la Presse du 31 décembre 2013 : «le carpe diem des cons».

Au carré

La nomenclature de la Base de données lexicographiques panfrancophone ne connaît pas le mot, non plus que le Dictionnaire de la langue québécoise (1980) de Léandre Bergeron et son Supplément (1981) ou le Petit Robert (édition numérique de 2010).

L’Oreille tendue l’a néanmoins entendu dans la bouche de @MadameChos à l’émission la Sphère de la radio de Radio-Canada le 8 septembre. Et elle l’a lu récemment sur Twitter chez @mpoulin, @kick1972 et @EmmaG.

Ce mot ? Malaisant.

Il s’emploie pour désigner un sentiment de malaise chez celui qui parle. On peut trouver malaisant de regarder un film ou une émission de télévision, d’entendre une conversation, d’assister à un événement.

Ce sentiment de malaise est toutefois redoublé devant le mot lui-même. D’où vient-il ? De France ? Le Glossaire de l’ancien parler gâtinais répertorie le mot, en un sens différent («malaisé, difficile»), mais pas le verbe malaiser; malaisant n’en serait donc pas le participe présent. Est-il construit sur le modèle de dérangeant, dont il partage le sens («Qui dérange, provoque un malaise moral, une remise en question») ?

Un mot du malaise, donc, qui crée un malaise étymologique. Un malaise au carré.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Dans le cadre de la revue télévisée annuelle Bye bye (télévision de Radio-Canada, 31 décembre 2013), on a prononcé (au moins) deux fois le mot malaisant au cours des quatorze premières minutes. Mise en abyme ?

 

[Complément du 7 juin 2014]

L’Oreille tendue avait l’impression que le mot était surtout en usage au Québec. Elle vient de l’entendre dans la bouche de Jean-Marc Lalanne, critique de cinéma à l’émission radiophonique le Masque et la plume de France inter (livraison du 1er juin 2014). Elle a maintenant un petit doute.

 

[Complément du 17 juillet 2014]

Dans le plus récent numéro de la revue Québec français (2014) , Ludmila Bovet retrace le parcours historique de malaisant et réfléchit à son sens. Conclusion : «Il n’y a pas de doute, malaisant est un mot utile; plus rapide, plus expressif qu’une périphrase du genre de “qui crée un malaise” ou “qui met mal à l’aise”. D’autre part, on ne peut le suspecter d’être un anglicisme. C’est vrai qu’il ne figure pas dans les dictionnaires français, mais le verbe malaiser a bel et bien été en usage dans l’ancien français; malaisant l’a été aussi dans certaines régions de France. Ce qui est intéressant, c’est qu’il resurgit avec un sens différent de celui qu’il avait autrefois. Ce nouveau sens est tout à fait conforme à ceux du verbe : “incommoder”, “gêner”, “tourmenter”, qui découlent de malaise, un état contraire à l’aise. […] Malaisant est peut-être malsonnant. On s’y habituera ou on l’oubliera» (p. 11).

 

[Complément du 29 décembre 2018]

Titre d’un article d’un grand quotidien belge : «“Malaisant” sacré nouveau mot de l’année par les lecteurs du “Soir”» (26 décembre 2018).

Explication de ce choix :

Pour Michel Francard, linguiste de l’UCL [Université catholique de Louvain], chroniqueur dans ces colonnes et président du jury du nouveau mot de l’année, la fortune de malaisant tient à son caractère «aisément compréhensible et facile à retenir». «En matière d’innovation lexicale, les jeunes jouent un rôle important, souligne Michel Francard. Le succès de malaisant l’illustre une nouvelle fois. De façon plus générale, je dirais que le terme a aussi l’avantage d’être bien en phase avec les temps que nous vivons, marqués par l’incertitude, la précarité, la violence. D’où le profond malaise que cela engendre dans notre société», ajoute-t-il.

Étymologie :

Il est à noter à cet égard que le terme est d’abord apparu au Québec où il s’est implanté avec la signification qu’on lui connaît désormais de ce côté de l’Atlantique. À l’époque, plusieurs linguistes s’étaient interrogés sur cet usage neuf avant de conclure notamment qu’il était lié à une économie, à une ellipse dans le jargon : il est en effet plus rapide et plus direct d’employer malaisant que de parler de situations «qui créent un malaise» ou qui «mettent mal à l’aise». «La diffusion de malaisant de ce côté de l’Atlantique est presque un retour aux sources, explique pour sa part Michel Francard. À l’origine de cet adjectif, il y a le verbe malaiser qui signifie “incommoder, gêner, tourmenter”. Il était connu dans l’ancienne langue française et il a survécu jusqu’à l’époque moderne dans certaines régions de France.»

Commentaire de Michel Francard sur Twitter :

 

[Complément du 10 septembre 2019]

Il existe une hésitation chez certains devant l’emploi du mot. La typographie en est le signe.

Guillemets : «Or, ce rappel du principe “dura lex, sed lex” était à côté de la plaque. Le projet de loi 21 ne relevait ni du droit criminel ni du droit pénal. La police n’avait rien à faire là-dedans. De la part de la ministre de la Sécurité publique, c’était “malaisant”» (le Journal de Québec, 10 septembre 2019).

Italiques : «Malaisant, comme disent les jeunes» (Miniatures indiennes, p. 12).

Malaise, encore.

 

[Complément du 10 janvier 2021]

Variation sur le même thème : «Les résultats peuvent souvent être inquiétants et très divertissants et/ou mal à l’aisant et/ou complètement dangereux et/ou simplement stupides» (J’ai bu, p. 162).

 

[Complément du 29 août 2022]

Puisqu’il y a malaisant, il doit y avoir malaisance. Exemple tiré de la Presse+ du jour : «“Le mème “Dark Brandon” est mort d’un cas de malaisance extrême” (Le magazine Rolling Stone).»

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bovet, Ludmila, «“Malaisant” : intrus ou revenant ?», Québec français, 172, 2014, p. 10-11. https://id.erudit.org/iderudit/71999ac

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.