Ivrogne toponymique

Georges Simenon, Signé Picpus, 1944, couverture

Au début de Signé Picpus (1944), de Georges Simenon, le commissaire Maigret et son équipe sont rassemblés dans l’attente d’un crime : on le lui a annoncé. Cela commence par une série de fausses alertes. Parmi celles-ci : «Un Bercy ! Ce qui, en terme de métier, signifie un ivrogne» (éd. de 1992, p. 379). Plus tard, quand un deuxième cas se manifeste, on apprend que le Bercy sévit à l’envi le samedi (p. 381).

Pourquoi avoir choisi ce toponyme ? «Les entrepôts de Bercy étaient un ensemble réservé aux négociants en vin situé dans le quartier de Bercy en périphérie du 12e arrondissement. Situé le long de la Seine, cette zone recevait, stockait et redistribuait vins et spiritueux» (Wikipédia, 25 mars 2023).

À votre service.

P.-S.—Cela relève indubitablement du vocabulaire de l’imbibition, mais pas de celui du Québec.

 

Référence

Simenon, Georges, Signé Picpus, dans Tout Simenon 24, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 377-464. Édition originale : 1944.

Retour en néologie

«Amassons des matériaux», vignette publicitaire, première moitié du XXe siècle

À une époque, l’Oreille tendue proposait périodiquement des néologismes. Depuis trop longtemps, elle a failli à sa tâche. Revenons-y.

Vous passez vos vacances dans votre pays plutôt qu’à l’étranger ? En anglais, on parle maintenant de staycation — ou pas : «He called it a staycation. I told him to never use that word in my presence again» (Revenge Tour, p. 109). Google Translate propose, en français, séjour; ça ne va pas le faire.

Vous mêlez travail et vacances ? Il y a tracances et worliday pour cela — même si ce n’est pas recommandé. Vous vous contentez de chercher des agréments dans vos voyages d’affaires ? Parlez de bleisure.

Vous vous intéressez aux astres morts ? La nécroplanétologie est pour vous.

Vous croyez que le capitalisme fait mourir ? Ce serait la faute du nécrocapitalisme.

Comme toujours, le suffixe -ion est riche : défrancisation (vous pensez que Montréal serait de moins en moins une ville française), duraflation (vous trouvez des produits défraîchis sur les rayons), réduflation (vous en avez moins pour le même prix à l’épicerie), giletjaunisation (vous vous radicalisez).

Terminons en parlant d’argent. Les bénéfices financiers du vélo vous paraissent nombreux ? C’est normal : il existe désormais une véloconomie. Sera-t-elle étudiée par l’éconophysique ? Cela reste à voir.

 

Illustration : J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 65. Deuxième édition.

 

Référence

Lupica, Mike, Robert B. Parker’s Revenge Tour. A Sunny Randall Novel, New York, G.P. Putnam’s Sons, 2022, 321 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Tristan Saule

Tristan Saule, Jour encore, nuit à nouveau, 2023, couverture

«OK, comme tu veux, dit Fabian, laissant Loïc avec son mensonge et son sandwich, dont on se demande bien où il va le manger.»

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Jour encore, nuit à nouveau. Roman. Chroniques de la place carrée. III, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 04, 2023, 293 p., p. 84.

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Tristan Saule

Tristan Saule, Jour encore, nuit à nouveau, 2023, couverture

«Au feu rouge, il s’assied sur le banc, dos au massif de fleurs et au parterre de gazon qui embellissent ce carrefour passant où des semi-remorques freinent et redémarrent dans un grondement assourdissant. Loïc n’y prête pas attention. Les voix ne s’arrêtent pas. Il lui suffit de tendre l’oreille et d’écrire» (p. 63).

«Loïc gare sa Golf dans la cour des parents. Le bruit des roues dans les gravillons l’apaise. Quand il sort de l’habitacle, il sent l’odeur des vaches, de leur bouse, qui fait enrager les Parisiens, et que ceux qui vivent ici ne sentent même plus. Il tend l’oreille machinalement. Quand il était enfant, le grésillement de la trayeuse était comme une horloge. Quand il se taisait, c’était l’heure de rentrer. Aujourd’hui, si la trayeuse ne fait plus de bruit, c’est parce que les voisins ont cessé d’élever des vaches laitières. Ils avaient une cinquantaine de têtes, pas assez pour que ce soit rentable, avec le cours des prix du lait. Ils se contentent des céréales» (p. 145-146).

«Plusieurs fois, Loïc a demandé au docteur Somard et à Nini s’ils avaient des nouvelles de Cloque. Ils n’en avaient pas. Tous deux lui conseillaient de cesser de penser à cet individu, de se concentrer sur lui-même, sur sa propre guérison. Loïc a dit : “Oui.” Loïc a dit : “D’accord.” Mais le soir, dans sa chambre, Loïc tend l’oreille, il pose sa main bien à plat sur la cloison et écoute. Peut-être qu’on lui ment» (p. 293).

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Jour encore, nuit à nouveau. Roman. Chroniques de la place carrée. III, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 04, 2023, 293 p.

 

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.