Lecture normande

Giuliano da Empoli, l’Heure des prédateurs, 2025, couverture

Il y a du pour.

Dans l’Heure des prédateurs (2025), Giuliano da Empoli est très habile à mettre en lumière les comportements politiques contemporains. «Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives» (p. 46), écrit-il; aujourd’hui les techniques offensives dominent. Il faut toujours agir, de préférence de façon irréfléchie, si on veut rester en position de domination (p. 62-63) : «le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants» (p. 75). Les tenants de la gauche (les «avocats») sont de plus en plus dépassés par les événements : «Une ère de violence sans limites s’ouvre en face de nous et […] les défenseurs de la liberté paraissent singulièrement mal préparés à la tâche qui les attend» (p. 49). Cela est particulièrement vrai du développement, non régulé par les États, de l’intelligence artificielle. Le classement des situations politiques qui va, en descendant, de The West Wing à House of Cards puis à The Thick of It ou Veep amuse (p. 23). Des rappels sont utiles : «il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique» (p. 77).

Il y a du contre.

Le livre serait écrit «du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place» (p. 13); ce «scribe aztèque» est une affèterie, dont l’auteur aurait pu faire l’économie sans aucun mal. Montrer sa culture, c’est bien; l’étendre, un brin moins. Faut-il vraiment, dans un livre aussi bref, histoire de contrer la «vague illibérale» (p. 86), convoquer à la barre Sándor Márai, Curzio Malaparte, Prosper Mérimée, Dany Laferrière, Stendhal, Jean Renoir, Gustave Flaubert, Woody Allen, Ortega y Gasset, Thomas Hobbes, Léon Tolstoï, Federico Fellini, Johann Wolfgang von Goethe, Alezandre Kojève, Vasari, Léonard de Vinci, François Guichardin, Roger Nimier, Plutarque, Suétone, William Shakespeare, Dante, Fénelon, Daniel Halévy, Jean Guéhenno, Thomas Mann, Joseph de Maistre, Jean-Paul Sartre, William Gibson, Søren Kierkegaard, Italo Calvino et Franz Kafka (l’Oreille tendue s’excuse par avance auprès de ceux qu’elle aurait oubliés) ? Machiavel est indispensable à la démonstration — nous vivons entourés de personnes inspirées par César Borgia, les «borgiens» —, mais les autres, c’est moins sûr. L’énumération ci-dessus ne comporte pas les noms des politiques innombrables avec qui fraie l’essayiste, de capitale en capitale : il fréquente du beau monde et il accumule les air miles; on a compris.

Il y a du triste : le mot «digitale» mis pour «numérique» (p. 74), l’absence de majuscule à «Mémoires» (p. 81). Chez Gallimard…

 

Référence

Da Empoli, Giuliano, l’Heure des prédateurs, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2025, 151 p.

Coulées d’irrationalité

Pissotière, Liège, 2010

 

Soit ce message sur Bluesky :

Message sur Bluesky, 24 juin 2025 contenant les mots «humeur du matin»

L’«humeur du matin» désignerait un caprice de la pensée : X, en se levant, a décidé que Y s’appliquerait. Aucune justification ne lui serait nécessaire.

Le français populaire du Québec connaît une variation un peu plus crue de cette expression : «trouver dans ses urines du matin». Exemple : Le ministre a trouvé sa politique des toilettes scolaires dans ses urines du matin.

À votre service.

P.-S.—L’urine, on s’en souviendra, ne relève pas de la théorie des humeurs.

Quiz du jour

«Échenillons notre langue», publicité linguistique, Québec, avant 1951

Soit la phrase suivante : «Notre rival — l’Anglais —, jadis et aujourd’hui encore, trop souvent, est le même.»

Quand cette phrase a-t-elle été écrite ?

En 1725 ?

En 1825 ?

En 1925 ?

En 2025 ?

Réponse dans le Devoir.

 

Illustration : J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 86. Deuxième édition.

L’oreille tendue de… Mark Fortier

Mark Fortier, Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion, 2025, couverture

«Et ça fonctionne. Lisez vos journaux, tendez l’oreille, regardez les médias sociaux, partout sur le globe la démagogie sonne l’hallali. La chasse est ouverte. Les réactionnaires le clament sur tous les tons, sur toutes les tribunes, tous les jours, à toute heure. Ils sentent l’odeur du sang. Ils vont la prendre, leur Bastille. Il n’y a plus que des ennemis et des intérêts communs. Et l’exécution de leurs adversaires est imminente» (p. 22).

Mark Fortier, Devenir fasciste. Ma thérapie de conversion, Montréal, Lux éditeur, coll. «Lettres libres», 2025, 137 p.