Scène de la vie familiale

L’Oreille tendue a des enfants. À table, l’autre soir, elle discutait avec son fils aîné de sa façon, à lui, d’apprêter les cornichons. Avait-il vraiment besoin de «gosser son cornichon» ?

Gosser ?

Le verbe a au moins deux sens.

1. Emmerder par épuisement. «Gosser les gens n’est déjà pas très gentil, le faire pour rien tient de l’acharnement» (la Presse, 7 juin 2001). C’est de là que vient le mot gossant, qui se dit des personnes comme des comportements. Exemples : René est gossant. Les manies de Céline sont gossantes.

2. Sculpter, notamment un bout de bois. C’est en ce sens qu’on peut dire d’un personnage du recueil de nouvelles le Sort de Fille, de Michael Delisle, qu’il «gosse» des canards de bois (p. 80).

Cette deuxième acception a donné gosser les poils de grenouille, pour signifier fendre les cheveux en quatre. Cette expression, popularisée par l’ex-premier ministre du Québec Jacques Parizeau et son ministre Guy Chevrette, a enfanté gosseux et gossage : «Son mandat est une affaire de “gosseux de poil de grenouille”» (le Quotidien, 6 novembre 2002); «Le gossage de poils de grenouille» (le Soleil, 22 avril 1999).

Il est donc légitime de parler de gossage de cornichon, même si c’est gossant.

 

[Complément du 29 avril 2018]

Sur le site Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique, Louise Desforges propose plusieurs autres sens de gosser. C’est ici.

 

Référence

Delisle, Michael, le Sort de Fille. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2005, 120 p.

À ne pas oublier

Quoi qu’en pensent le Figaro et la Presse (2 septembre 2010, p. A16), quand une célébrité publie le récit de sa vie, elle ne publie pas une œuvre dont le genre serait le féminin, de belles mémoires. Cette célébrité publie de gros mémoires, au masculin.

Mieux encore, en bonne typographie, le mot prend toujours la majuscule : des Mémoires spitants.

Bref, les mémoires de Tony Blair ne sont pas barbantes / passionnantes. Ses Mémoires sont barbants / passionnants.

Tout se perd.

 

[Complément du 31 août 2011]

L’Oreille tendue, le 31 août 2011, a fait paraître un texte sur l’ex-joueur de hockey Jean Béliveau dans le quotidien le Devoir (p. A7). Imaginez combien elle fut marrie de découvrir qu’un correcteur, pensant bien faire, avait enlevé la majuscule qu’elle avait mise à «Mémoires». Elle ne s’en remettra peut-être pas.

 

[Complément du 14 mai 2015]

Merci, @MondedesLivres, pour ce tweet :

De la plogue

L’ami Antoine Robitaille se demandait récemment quelle graphie préférer, de plogue ou de plugue. À l’Assemblée nationale du Québec, on a tranché pour le u. Débat ici.

Le mot, lui, ne pose pas de problème : il est d’usage courant.

Il peut désigner la promotion (ploguer un spectacle), voire l’autopromotion (autoplogue). L’expression «Pure plogue promotionnelle» (le Devoir, 10 septembre 2001) est donc pléonastique.

Il désigne aussi une prise — de courant, pour les écouteurs, etc. Exemple (ça ne s’invente pas) : «Ploguez vos écouteurs» (vol Air Canada AC 945, Orlando => Montréal, 11 août 2010).

Puisqu’on peut ploguer, on peut aussi déploguer, voire tirer la plogue, au sens littéral comme au figuré. L’expression signifie alors mettre fin à : «Autant tirer la plogue moi-même avant que les gens me déploguent» (la Presse, 20 mars 1999).

On l’aura compris : quoi qu’en pense l’Assemblée nationale, l’Oreille tendue préfère la graphie en o, histoire d’être fidèle à la prononciation du mot et de ses dérivés.

Battre la langue de bois

L’excellent DoYouBnF — on peut aussi dire, plus familièrement, DoYou —, l’auteur du non moins excellent blogue Do You BNF ? Histoires du Rez-de-Jardin, n’avait rien à écrire un dimanche récent : «Rien. C’est dimanche. / Mais profitez-en pour vous entraîner un peu en vue du colloque de cet automne, avec votre nouveau coach ès langue de com’.» Qui est ce «coach ès langue de com’» ? Admirons-le.

 

[Complément du 27 janvier 2025]

Pour ceux qui voudraient se livrer eux-mêmes à l’exercice, il y a cet utile tableau (repéré sur Mastodon).

Tableau «Le parler creux sans peine», en cinq colonnes

Citation de circonstance

P. Gabriel La Rue, s.j., Pour que vive notre français, 1938, couverture

«Le professeur qui entreprendrait dans cet esprit l’enseignement de la langue maternelle ouvrirait à nos problèmes nationaux l’esprit et le cœur de ses élèves : dans ces jeunes âmes, il jetterait pour la vie la conviction et l’amour, la confiance en nos destinées françaises. Peut-être alors pourrions-nous attendre de nos bacheliers une plus minutieuse correction dans le parler et dans le style, des exigences plus tenaces pour le respect du français, un amour de la langue maternelle qui se manifestât dans la trame quotidienne de leur existence et non pas seulement aux jours de fête nationale, dans le délire d’une trop facile improvisation.»

P. Gabriel La Rue, s.j., Pour que vive notre français, Montréal, l’École sociale populaire, publication mensuelle, numéro 293, juin 1938, 32 p., p. 2-3. Texte d’abord paru dans le Canada français, mai 1938.