Un rendez-vous svp

L’Oreille tendue apprend que le Canada a un «agenda», ce «Carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu’on doit faire, ses rendez-vous, ses dépenses, etc.» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Publicité pour une conférence de Peter Van Loan

Elle imagine qu’il doit être volumineux.

 

[Complément du 20 juin 2024]

Cet emploi, directement emprunté à l’anglais, n’est pas propre au Québec. On le trouve, par exemple, dans la traduction hexagonale d’un roman norvégien : «À l’homme qui suit toujours son propre nez, son propre agenda […]» (le Sauveur, p. 73).

 

Référence

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

La vérité en marche

Elle a le dos large, la vérité.

Qui veut faire semblant de se distinguer à peu de frais n’a qu’à invoquer les vraies affaires ou les vraies choses, celles du vrai monde — la vraie vie, bref.

«Parlons des vraies choses, M. Bolduc» (la Presse, 30 septembre 2010, p. A10).

«L’ADQ est le seul parti à s’occuper des affaires du vrai monde, selon Mario Dumont» (le Devoir, 28 février 2007, p. A2).

«Déjà à ce moment, raconte-t-il, j’étais allergique à la psychologie moumoune et bourgeoise, genre ma femme ne m’aime pas, mon père m’a fucké, je suis angoissé, etc. C’est pour cela que je me suis éventuellement tourné vers les nouveau-nés en difficulté ou handicapés : vers le vrai monde qui vivait de vrais drames» (la Presse, 21 décembre 2003).

«Simon Durivage : comment aller chercher le “vrai fond” des gens» (la Presse, 8 septembre 2000).

On ne peut que s’étonner devant pareilles affirmations répétées de vérité. C’est sans doute de cet étonnement qu’est née l’interrogation «Tuvrai ?». Jean Dion, dans le Devoir du 3 avril 2005 (p. B2), semble s’être avisé le premier de la popularité de cette question bien ramassée. (Il faut l’en féliciter et l’en remercier.)

Récemment, l’immobilier s’y est mis à son tour. Angle De Courcelle et Saint-Jacques, dans le sud-ouest de Montréal, vous pouvez réserver votre futur home douillet dans l’immeuble La Tannerie. On y trouve des «condos véritables».

«La tannerie. Condos véritables», publicité

 

L’hypothèse que l’Oreille tendue proposait ici il y a quelques jours trouverait une belle démonstration avec les vraies affaires, les vraies choses, le vrai monde, la vraie vie. Qui ose parler, aujourd’hui, des fausses affaires, des fausses choses, du faux monde, de la fausse vie ? Tuvrai qu’il y a de faux condos ?

La station assise

Au Québec, les échanges oraux ne se font ni debout ni couché ni à genoux; on ne discute qu’assis. D’où l’équivalence entre s’asseoir et parler. Les exemples ne manquent pas, dont les quatre suivants.

«La CSDM s’assoit avec ses partenaires afin de développer des stratégies pour l’avenir» (le Devoir, 30-31 octobre 2004).

«Les enseignants s’assoient avec le ministre» (le Devoir, 24 mai 2005, p. A2).

«Paul Martin en entrevue à la Presse. S’asseoir avec les provinces, oui; signer des chèques en blanc, non» (la Presse, 14 octobre 2005, p. A3).

«Mon collègue Marc Antoine Godin s’est assis avec l’analyste de RDS, Benoît Brunet, ce week-end à Québec, pour sonder ses états d’âme» (la Presse, 5 octobre 2010, cahier Sports, p. 4).

De pareilles réunions, il faut toutefois se méfier. Avant de s’asseoir, qu’est-ce que l’autre a décidé d’apporter à la table ?

 

[Complément du 21 mai 2012]

Foi de Twitter, en plus de s’asseoir avec, on peut désormais s’asseoir auprès de : «Pauline Marois réclame que le PM Charest s’assoie auprès de sa nouvelle ministre pour rencontrer les leaders étudiants.»

À saveur : nouvelle récolte

L’Oreille tendue l’a déjà noté : l’expression à saveur fait florès au Québec. Aux exemples cueillis, quelques ajouts.

Un de ses quotidiens évoque la possible interdiction de la corrida en Catalogne et parle d’«une riposte politique à saveur autonomiste» (la Presse, 28 juillet 2010, p. A15).

Le 20 septembre 2010, le Journal de Québec prête des intentions extraterritoriales à un chanteur populaire : «Claude Dubois n’écarte pas l’idée de profiter de l’occasion de côtoyer tous ces noms de la chanson française pour produire un nouvel album de duos à saveur européenne.»

La cuisine est bien sûr sensible aux saveurs, mais pas toujours où on les attend : «Des sorbets à saveur d’exportation» (la Presse, 17 mai 2010, cahier Affaires, p. 3); «des textes à saveur culinaire» (la Presse, 11 mai 2010, cahier «Arts et spectacles», p. 6).

La littérature n’est pas en reste. Bernard Gilbert aurait écrit «Un polar à saveur historique» (le Devoir, 10-11 avril 2010, p. F3). Dans Humains aigres-doux, Suzanne Myre, elle, évoque des «textes à saveur ethnique» (p. 63).

Il est plus étonnant de voir les défilés afficher leur saveur : «Un défilé à saveur olympique à Montréal» (la Presse, 1er avril 2010, p. A13); «Un défilé à saveur historique et multiculturelle» (la Presse, 25 juin 2009, p. A2).

C’est toutefois en politique que les saveurs sont les plus prononcées : «cette disparition à saveur politique» (le Devoir, 16 juillet 2010, p. B2); «Un soulèvement à saveur politique» (Société Radio-Canada, 17 mars 2005); «Une comédie à saveur politique» (le Devoir, 13-14 mars 2004, p. E3); «Une brochure à saveur politique» (le Devoir, 30 octobre 2006, p. A4); «Un bilan à saveur adéquiste» (la Presse, 25 mars 2007, p. A15); «Bouffonnerie parlementaire à saveur électorale» (le Devoir, 30 octobre 2008, p. B10).

On peut donc avoir beaucoup de saveur sans avoir de goût.

 

[Complément du 31 janvier 2014]

Les années (politiques) se suivent et se ressemblent.

Le Devoir, 31 janvier 2014, p. A1

Source : le Devoir, 31 janvier 2014, p. A1.

 

Référence

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Scène de la vie familiale

L’Oreille tendue a des enfants. À table, l’autre soir, elle discutait avec son fils aîné de sa façon, à lui, d’apprêter les cornichons. Avait-il vraiment besoin de «gosser son cornichon» ?

Gosser ?

Le verbe a au moins deux sens.

1. Emmerder par épuisement. «Gosser les gens n’est déjà pas très gentil, le faire pour rien tient de l’acharnement» (la Presse, 7 juin 2001). C’est de là que vient le mot gossant, qui se dit des personnes comme des comportements. Exemples : René est gossant. Les manies de Céline sont gossantes.

2. Sculpter, notamment un bout de bois. C’est en ce sens qu’on peut dire d’un personnage du recueil de nouvelles le Sort de Fille, de Michael Delisle, qu’il «gosse» des canards de bois (p. 80).

Cette deuxième acception a donné gosser les poils de grenouille, pour signifier fendre les cheveux en quatre. Cette expression, popularisée par l’ex-premier ministre du Québec Jacques Parizeau et son ministre Guy Chevrette, a enfanté gosseux et gossage : «Son mandat est une affaire de “gosseux de poil de grenouille”» (le Quotidien, 6 novembre 2002); «Le gossage de poils de grenouille» (le Soleil, 22 avril 1999).

Il est donc légitime de parler de gossage de cornichon, même si c’est gossant.

 

[Complément du 29 avril 2018]

Sur le site Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique, Louise Desforges propose plusieurs autres sens de gosser. C’est ici.

 

Référence

Delisle, Michael, le Sort de Fille. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2005, 120 p.