Ces deux produits relèvent peut-être de la gastroéconomie, soit l’économie de la gastronomie (@CaribouMag). Ou pas.
Toujours dans le registre financier, on parle dorénavant de canabusiness. Il ne s’agit pas des affaires du Canada, mais de commerce du cannabis (@lkblais).
Il est encore question de passage en bouche, au sens large, dans cette citation d’Antoine Robitaille : «Remarquez, ce n’est pas toujours facile avec les lecteurs-militants de QS [Québec solidaire]. Toute nuance aux apparences critiques sera interprétée par eux comme une attaque. Le militant réclame la plupart du temps des articles au ton “fellatoire” (si vous me permettez un néologisme).» (L’Oreille tendue vous le permet.)
Un segment de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, qu’anime Marie-Louise Arsenault à la radio de Radio-Canada, est consacré à la définition de mots beaucoup présents dans l’espace public.
Au cours de l’émission, l’Oreille tendue a abordé le cas de Sean Spicer, le porte-parole («spokesman») du 45e président des États-Unis. Depuis, elle est tombée sur l’illustration suivante, qui la trouble un brin. Spicer serait-il un porte-sans-parole ?
«Je n’ai pas l’intention de jouer dans ce quinquennat plus de rôle que celui d’homme libre, qui dit la vérité à ses amis — donc à Emmanuel Macron — et à la cantonade.»
Jacques Attali, cité dans l’Express, 3436, semaine du 10 au 16 mai 2017, p. 62, propos recueillis par Éric Mandonnet.
Il est beaucoup question de Marc Bibeau dans les médias québécois ces jours-ci. On rappelle à l’envi qu’il a longtemps été «l’argentier», voire le «grand argentier» du Parti libéral du Québec.
Argentier ? Le Petit Robert (édition numérique de 2014) connaît deux sens à ce mot : «1. HIST. Le grand argentier : le surintendant des finances. AUJ., PAR PLAIS. Le ministre des Finances. 2. Meuble où l’on range l’argenterie.» Le dictionnaire numérique Usito a des définitions semblables. Le Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers ne donne que le premier sens. À l’Office québécois de la langue française, on évoque aussi un argentier parmi les métiers de l’hôtellerie. Qu’en pense l’Académie française ? «Officier qui était préposé à la cour pour distribuer certains fonds d’argent. Il se disait particulièrement du Surintendant ou ministre des Finances. Le grand argentier. Il se disait aussi de Celui qui faisait le commerce d’argent» (huitième édition).
Marc Bibeau n’ayant pas été ministre des Finances — et n’étant pas un meuble, même s’il en a longtemps fait partie —, on peut se demander si argentier, utilisé pour désigner le collecteur de fonds en chef d’un parti politique, est un québécisme. (Collecteur de fonds est probablement aussi un québécisme.)
Amis francophones, qu’en dites-vous ?
P.-S. — Le mot est rarement pris en bonne part. Argentier vient souvent avec un parfum de scandale (potentiel). L’argent a une odeur.
[Complément du jour]
Dans les années 1970-1980, un jeu télévisé de Radio-Canada, le Travail à la chaîne, avait son «Grand argentier». (Merci à @machinaecrire pour le souvenir.)
[Complément du jour]
Réponse, venue de Belgique : le mot y existe, dans le même sens qu’au Québec. Exemples : «L’ancien argentier du PS avait 62 ans. François Pirot, l’éminence déchue» (le Soir, 7 février 2004); «L’ancien argentier des Tories avait pourtant investi huit millions de livres pour le parti conservateur» (le Soir, 21 septembre 2015). Là comme ici, l’argentier peut être grand : «Le grand argentier de Suez est appelé à occuper une place de choix dans le futur groupe formé avec Gaz de France» (le Soir, 3 octobre 2006).
Illustration : Jacques-Émile Ruhlmann, argentier, 1921, collections du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, photo par Sailko déposée sur Wikimedia Commons
Dans son discours du 17 avril à Bercy, Emmanuel Macron, le candidat à l’élection présidentielle française, a cité — ô surprise ! — une lettre de Denis Diderot à Sophie Volland.
C’était à la 48e minute.
Sous les quolibets et les sifflets grivois de la foule — «Mais ne sifflez pas Diderot !» —, Macron évoque, «de mémoire», sourire aux lèvres, sous-entendus à la bouche, la «formidable» lettre du 10 juin 1759 :
Adieu, ma Sophie, bonsoir. Votre cœur ne vous dit-il pas que je suis ici [Diderot est chez Sophie Volland, qui n’y est pas] ? Voilà la première fois que j’écris dans les ténèbres. Cette situation devrait m’inspirer des choses bien tendres. Je n’en éprouve qu’une, c’est que je ne saurais sortir d’ici. L’espoir de vous voir un moment m’y retient, et je continue de vous parler, sans savoir si je forme des caractères. Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime (éd. de 1997, p. 107).
Par souvenir épistolaire interposé, Emmanuel Macron dit à ses électeurs, même les absents («toutes celles et ceux qui ce soir ne sont pas là»), qu’il les aime.
Qui a dit que la culture de la lettre était morte ?
P.-P.-S. — Jeune homme, l’Oreille tendue avait cité cette lettre, mais pas dans un meeting politique (1996, p. 212).
[Complément du 7 mai 2017]
Dans un de ses deux discours de victoire, celui du Louvre, Emmanuel Macron a dit vouloir défendre «l’esprit des Lumières». Par lettre ?
[Complément du 10 juin 2020]
L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Emmanuel Macron, Diderot et Sophie Volland», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.
[Complément du 27 juillet 2024]
Ceci, dans le quotidien le Monde du jour, sous le titre «Macron tente de renouer le fil avec ses députés» (p. 9) :
Faisant acte d’«humilité», aux dires de l’Élysée, Emmanuel Macron écoute aujourd’hui ses députés et s’excuse presque d’avoir été trop pris par sa fonction pour les recevoir plus souvent. Pour justifier ses absences, et parfois ses silences, «le chef de l’Etat évoque souvent la lettre de Diderot à Sophie Volland», dit-on à l’Élysée, celle où, lorsque la bougie s’éteint et que le philosophe écrit dans le noir, Diderot assure à sa bien-aimée : «Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime.»
Ça devient une habitude.
Références
Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.
Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382