Six phobies pour bien terminer la semaine

Le Devoir, 6 janvier 2014

Phobie : «1. PSYCHOL. Crainte excessive, maladive et irraisonnée de certains objets, actes, situations ou idées. […] 2. COURANT Peur ou aversion instinctive. […] Flaubert et “sa phobie des pronoms relatifs(Thibaudet)» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

La peur de manquer de matériel de lecture ? L’abibliophobie (@JSCarroll).

L’aversion envers les étudiants en philosophie ? La philophobie.

La crainte de ne plus avoir accès à son téléphone cellulaire ? La nomophobie.

La rejet des référendums ? La référendumophobie (@guidoustonge).

La menace contre la famille ? La familiphobie.

La «rancœur», parisienne, «à l’égard des bars et commerces ouverts tard la nuit» et qui dérangent les voisins ? La bistrophobie (TimeOut Paris).

 

[Complément du 3 juin 2015]

On vous reproche de ne pas procréer ? De la pasdenfantophobie, dixit le Journal de Montréal.

Laissez le hockey tranquille

Les Québécois aiment le hockey. Lundi, ils sont invités à aller voter pour un nouveau gouvernement (très) provincial. Conséquence ?

Vincent Marissal, la Presse, 5 avril 2014, p. A3 : «Pardonnez le cliché saisonnier, mais une campagne électorale, c’est un peu comme les séries éliminatoires : on parle des stratégies, du jeu et des buts, mais on retient aussi les tapes sur la tronche et les coups bas.»

Michel David, le Devoir, 5-6 avril 2014, p. B3 : «Comme on le dit souvent du hockey, une campagne électorale est un “jeu d’erreurs”.»

David Desjardins, le Devoir, 5-6 avril 2014, p. B5 : «La joute politique est un peu comme les bagarres au hockey. T’as beau les considérer comme une aberration, tu lèves la tête avec intérêt quand les gants tombent.»

Dites : vous ne pourriez pas laisser le sport tranquille ? Il ne vous a rien fait.

Langue de campagne (33) : ne pas confondre éducation et éducation

Avant-hier, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, répondait ceci à la première question qui lui était posée :

On a besoin au Québec de mettre plus d’emphase sur l’éducation, sur l’innovation, nos universités entre autres dans les facultés de génie, les sciences d’la vie, faut qu’i se rapprochent des entreprises pour être capables d’innover, d’inventer, d’exporter et c’est maintenant là que ça doit se passer.

Anglicisme à l’appui (mettre de l’emphase), voilà sa conception de l’éducation : des écoles professionnelles branchées sur l’industrie. L’éducation ramenée à la seule formation.

Hier, dans le Devoir, sous la plume d’Antoine Robitaille, paraissait un éditorial intitulé «Cruciales disciplines» :

Il n’est presque pas question d’éducation dans la présente campagne électorale. Cela est déplorable. De plus, lorsque le sujet est abordé, des questions de structures et d’infrastructures éclipsent rapidement tout le reste : droits de scolarité, financement, salaires, taille du ministère, destin des commissions scolaires, problèmes de «moisissures», etc.

Ce sont là des sujets importants; mais il semble devenu presque impossible de débattre publiquement de questions fondamentales : «Que faudrait-il enseigner ?», par exemple. «Quelle devrait être la formation des maîtres ?» Les réponses en ces matières ne seront jamais définitives, bien sûr; comme nombre d’autres questions en démocratie. Mais il faut au moins garder la discussion ouverte.

François Legault et Antoine Robitaille ne donnent pas le même sens au mot éducation.

P.-S. — L’Oreille tendue sait être monomaniaque au besoin. En 2012, elle se prononçait sur la place de l’éducation dans la campagne électorale, dans les pages du Journal de Montréal.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Dans son éditorial du jour dans la Presse+, Ariane Krol pose la question suivante :

Sommes-nous prêts, en tant que société, à faire de l’éducation une véritable priorité — c’est-à-dire un choix avec lequel nous serons conséquents, au détriment, même, d’autres considérations ? C’est en ces termes qu’il faut se poser la question.

Sa réponse :

L’éducation est un enjeu important pour beaucoup d’électeurs. Mais figure-t-il en tête des priorités des Québécois ? Les sondages réalisés en prévision et au début de la campagne montraient que non. Et rien de ce que nous avons vu et entendu ces dernières années ne nous porte à croire que ces sondages ont erré.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Et enfin Joseph Facal, dans son blogue au Journal de Montréal :

Dans le Québec d’aujourd’hui, et ce n’est pas d’hier, l’éducation a été dissociée de la culture pour être ravalée au rang de «formation».

J’entends par là que le but fondamental du système semble être de préparer les jeunes pour le marché en leur donnant le bagage de compétences officielles et minimales que celui-ci exige.

L’école, du primaire jusqu’à l’université, doit certes faire cela. Mais elle ne devrait pas faire que cela.

Grosses journées pour l’éducation (dans les médias, pas chez les représentants des partis).

Géographie périurbaine

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Mea maxima culpa. Il est arrivé à quelques reprises à l’Oreille tendue de parler du 450 comme si cela allait de soi pour tous ses lecteurs. Corrigeons la situation.

Qu’est-ce que le 450 ? Reprenons pour commencer la définition du Dictionnaire québécois instantané (2004).

Code téléphonique de la grande région montréalaise, mais à l’extérieur de l’île de Montréal (le code de Montréal est le 514). «514 et 450 : les deux solitudes» (la Presse, 20 décembre 2002).

1. Unité de mesure politique. Les élections se jouent ce soir dans le 450. «Les libéraux raflent presque tout dans le 450» (la Presse, 15 avril 2003). «Le “450” au pouvoir !» (la Presse, 20 mai 2003)

2. Terme générique désignant la source de tous les maux affectant le plateau Mont-Royal la fin de semaine. Les 450 vont manger sur la rue Duluth le samedi soir. Les 450 envahissent la rue Mont-Royal le dimanche après-midi. «[Le] 450 a colonisé l’ensemble du Québec» (le Devoir, 27-28 octobre 2001).

Se prononce toujours quatre-cinq-zéro, jamais quatre cent cinquante (p. 178).

Qu’ajouter à cela ? Cinq choses.

Que Montréal dispose toujours du 514, mais qu’on lui a aussi adjoint le 438. Le 438 est moins infamant que le 450, mais ce n’est quand même pas le 514.

Que le 450 est toujours aussi éloigné du 514. La preuve ? Quitter le second au profit du premier est un «exode» (la Presse, 24 mars 2014, p. A9).

Que le 514 est toujours, malgré les prétentions du 450, plus urbain que lui : «Urbain ou 450 ?» (la Presse, 9 juin 2012, cahier Maison, p. 8) Le blogue Vivez la vie urbaine est consacré à ces questions.

Que le 450 est devenu matière artistique. Il a son roman : Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue de Chantal Gevrey. Il a eu son émission de télévision, au réseau TQS : 450, chemin du golf. Il a sa chanson, «(450)», du défunt groupe folk pop André, plus téléphoniquement spécifique, sur le même thème, que «Banlieue» (Les Cowboys fringants) et «Rive-Sud» (Beau Dommage).

Que Céline Dion, chanteuse et mère de famille, est née native de la région aujourd’hui désignée par le 450.

Attention : il ne faut pas confondre le 450 et l’adjacent.

P.-S. — Pour les chansons, merci à @OursMathieu, @AmelieGaudreau, @riclaude et @andredesorel.

 

[Complément du 16 juin 2018]

Le Devoir du jour consacre un article au vingtième anniversaire du 450. L’Oreille y est citée. Merci.

 

[Complément du 2 janvier 2024]

Le 450 peut même être objet poétique, par exemple chez Ian Lauda, dans le Mécanisme intérieur (2023) :

Si loin si proche

tu es la porte du nord que tous recherchent

sans toi pas d’accès à ces choses merveilleuses
comme la fleur du luxe
ou les trésors du joyeux festin

sans toi

on demeure dans la périphérie des choses
dans le quatre-cinq-zéro (p. 42)

 

Références

Gevrey, Chantal, Ô 450 ! Scènes de la vie de banlieue, Montréal, Éditions Marchand de feuilles, 2005, 190 p.

Lauda, Ian, le Mécanisme intérieur. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 57 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

L’Oreille tendue lit le journal

En première page du cahier B du Devoir des 29-30 mars 2014, un article intitulé «La torture, un mal persistant», accompagné d’une photo de victime de torture. En page B2, la suite de l’article, avec la photo d’un centre de torture dans le nord de l’Irak.

En page B4, on lit l’éditorial de Bernard Descôteaux, «Bilinguisme libéral». Ses premiers mots ? «Le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, a été soumis littéralement à la torture dans le deuxième débat des chefs tenu à TVA jeudi.»

«Littéralement», dans ce contexte, n’était peut-être pas l’adverbe à utiliser.

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Dans le même quotidien, on a inséré un encart publicitaire des Éditions du Boréal. On y découvre que Katia Gagnon fait paraître Histoires d’ogre, «un roman qui se lit comme un polar» (p. 6). Question : existe-t-il des polars qui se lisent comme des romans ?

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La section des sports de la Presse du jour nous rappelle que les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — jouent à l’extérieur de la ville : «Un long périple qui comprend deux matchs, ce soir contre les Panthers, puis mardi soir à Tampa Bay contre le Lightning» (p. 5). Bref, ils sont en Floride.

Périple est déjà exagéré. Long périple, encore plus.

Il est vrai le même journal a déjà parlé de petit périple.

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Trois de ses pages sont réservées au «charme renversant de la soupe ramen» (cahier Gourmand, p. 1-3). On y recommande le restaurant Momofuku de Toronto : «De l’asiatique-funky trippant» (p. 3). Bel exemple de langue de margarine.

L’Oreille se permet à son tour une recommandation, lexicale celle-là : le mot raménothèque.

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«Québec inc.» est un synonyme d’entrepreneuriat québécois. Le cahier «Affaires» de la Presse nous fait entrer dans sa psyché : «Souverainistes en affaires : le tabou du Québec inc.» (p. 3). Qu’on se le dise, mais qu’on n’en parle pas.

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Vive le quatrième pouvoir.