Les oui du mardi matin

L’Oreille tendue avait décidé de commencer la semaine du mauvais pied : non, c’était non, juste non.

Sur Twitter, @Lectodome a souhaité qu’elle «se mouille» : à quoi dire oui ? Voyons voir.

Jean Echenoz ? Oui.

Le retrait du crucifix de l’hôtel du Parlement du Québec ? Oui.

Diderot ? Oui.

Twitter ? Oui.

Le rythme du baseball à la radio ? Oui. (Jackie Robinson ? Cent fois oui.)

Écrire au sujet des tatouages ? Oui.

Aller à pied à l’école avec ses fils ? Oui.

La tour Eiffel ? Oui. (Le canal Saint-Martin ? Cent fois oui.)

L’histoire culturelle ? Oui.

Dire d’une œuvre qu’elle est «écrite» ? Oui.

L’absence de féminisation mécanique («les Belges et les Belges») ? Oui.

«Se flusher du bureau» ? Oui.

Allons au bureau.

Les non du lundi matin (liste non exhaustive)

Fred Pellerin ? Non.

Le nationalisme et les «valeurs québécoises» ? Non.

Olympe de Gouges ? Non.

Facebook ? Non.

Au hockey, le quatrième trio ? Non.

Les tatouages ? Non.

Les voisins ? Non.

La tour Montparnasse ? Non. (Sauf dans le Montparnasse monde.)

Les études littéraires ? Non (la plupart du temps).

Dire d’une œuvre qu’elle est «bien écrite» ? Non.

La féminisation mécanique («les mécaniciens et les mécaniciennes») ? Non.

«Bon matin» ? Non.

Bon matin.

 

Référence

Sonnet, Martine, Montparnasse monde. Roman de gare, Cognac, Le temps qu’il fait, 2011, 139 p. Ill.

Tout est bon dans le cochon

Soit un article de journal :

«Je ne fais pas la danse du bacon […]» (la Presse, 22 août 2013, p. A8).

Et un tweet :

«Affaire Breton au BAPE, Fournier: danse du bacon, affaire de la constitution, vieilles chicanes? #plq #caq #polqc #incoherence» (@DannyPlourde_qc).

Il y aurait donc, en sol québécois, une danse du bacon. Qui la pratique s’énerverait, trépignerait, tremblerait de façon incontrôlée. Comme du bacon dans la poêle.

L’Oreille tendue hésite à vous recommander cette danse.

 

[Complément du 2 juin 2019]

Dans un poème de Maude Jarry (2019), cela donne, plus succinctement :

il venait de changer ma prescription
pour un médicament dont je pourrais
avaler des chaudières à loisir
sans jamais risquer de faire le bacon (p. 24)

 

[Complément du 30 avril 2024]

On voit aussi crise du bacon. Il y en a deux occurrences dans la Presse+ du jour : ici et .

 

Référence

Jarry, Maude, Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet. Poésie, Montréal, Éditions de ta mère, 2019, 83 p.

Maude Jarry, Si j’étais un motel, j’afficherais jamais complet, 2019, couverture

Une langue à soi

Thaï express, publicité, métro de Montréal, 2013

Parfois, c’est un mot : «gourgane», «poche».

Parfois, une phrase : «La base économique conditionne la superstructure idéologique…»

Parfois, une prière : «Je vous laisse la paix; je vous donne ma paix.»

Ce sont des mots que l’on n’a pas entendus depuis des lustres, puis qui ressurgissent comme s’ils n’avaient jamais disparu de la mémoire.

L’autre matin, conférence de presse pour lancer les célébrations du cinquantième anniversaire de son école secondaire. Le nom de cette école est Jean-Baptiste-Meilleur. Du temps que l’Oreille tendue la fréquentait, on l’appelait JBM. Auparavant, on disait la régionale. Cette expression — pas entendue depuis plus de trente ans — lui est revenue d’un coup quand le directeur actuel de l’école l’a utilisée : sans que l’Oreille le sache, elle ne l’avait jamais quittée.

Chacun a une langue à soi, plus ou moins profondément enfouie dans les couches de sa mémoire.

Modeste contribution lexicale au débat sur la Charte des valeurs québécoises

On se dispute beaucoup ces jours-ci, au Québec, à propos d’un document qui n’est pas encore public, la Charte des valeurs québécoises. Le gouvernement devrait la rendre publique le 9 septembre.

Samedi dernier, à la radio de Radio-Canada, l’Oreille tendue écoutait des experts débattre de ce document qu’ils n’avaient pas lu. Un de ceux-là, Louis-Philippe Lampron (Université Laval), a employé l’expression «catho-laïcité», pour désigner les laïcs-pas-tout-à-fait-laïcs, ceux que n’ennuie pas la présence d’un crucifix dans la salle où sont votées les lois du Québec.

L’Oreille propose de définir le mot ainsi : Défense de la laïcité fondée sur la croyance que le crucifix ne relève que du patrimoine historique, et pas du patrimoine religieux.

Elle irait même plus loin.

Pourquoi ne pas parler d’islamo-laïcité ? Défense de la laïcité fondée sur la croyance que le voile (la burqa) ne relève que du patrimoine historique, et pas du patrimoine religieux.

Ou de judéo-laïcité ? Défense de la laïcité fondée sur la croyance que la kippa ne relève que du patrimoine historique, et pas du patrimoine religieux.

De sikho-laïcité ? Défense de la laïcité fondée sur la croyance que le kirpan ne relève que du patrimoine historique, et pas du patrimoine religieux.

Des heures de plaisir.

P.-S. — Bernard Descôteaux, dans son éditorial du Devoir du 31 août, est clair mais concis : «Ce crucifix [celui de l’hôtel du Parlement du Québec] contredit l’image de neutralité de l’État. Il doit être retiré de cette enceinte.» Merci. Jonathan Guilbault, diplômé «en théologie et en philosophie», dans la Presse du 3 septembre, dit du même crucifix qu’il a été «complètement réduit à son rôle de babiole commémorative» (p. A13). Merci, bis.