Des titres à éviter

Il est souvent difficile de trouver le titre juste, dans un blogue comme ailleurs. Dans les journaux quotidiens, c’est pire : il faut faire vite. Cela n’empêche pas que certains titres devraient être interdits.

Exemples

«Les Québécois souhaitent une industrie minière en santé qui ne mine pas leur environnement» (le Devoir, 11 février 2011, p. A7).

Au sujet d’un spa en pleine nature : «Le spa santé coule de source» (le Devoir, 8-9 décembre 2012, p. D4).

À propos de l’Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises de Patrick Rambourg (Paris, Perrin, 2010) : «Un ouvrage fascinant qui se laisser dévorer…» (le Devoir, 15-16 janvier 2011, p. F6).

«Appeler un disque “Clair et net” devrait être interdit… SURTOUT si t’es clarinettiste. #MauditsJeuxDeMots #OnEstBonsLaDedansLesQuebecois» (@melissamaya).

«Autobus Lion se met en chasse» (la Presse, 19 février 2013, cahier Affaires, p. 7).

«SkyVenture : pour qui rêve de s’envoyer en l’air !» (le Devoir, 23-24 février 2013, p. H5).

«La mine basse. Les sociétés minières ont un besoin criant de financement, selon un rapport» (la Presse, 1er mars 2013, p. A1).

«Programme de procréation assistée. Fertile en coûts» (le Devoir, 1er mars 2013, p. A8).

«Planification funéraire : n’ayez crainte, vous n’en mourrez pas !» (la Presse, 1er mars 2013, publicité).

«L’Océanic prend l’eau» (rds.ca, 1er mars 2013).

«La ville de l’auto en panne sèche !» (le Devoir, 2-3 mars 2013, p. C5).

«Ski acrobatique. Le Canada survole les Mondiaux» (la Presse, 11 mars 2013, cahier Sports, p. 1).

Sur la mort de Paul Rose : «En désespoir de Rose» (le Devoir, 15 mars 2013).

Arrêtons ici : la liste serait infinie.

Divergences transatlantiques 026

Soit le tweet suivant, de @Lazaret1981 : «@franceculture Merci pour l’invite faite à JC #Michéa, enfin quelqu’un d’épais intellectuellement pour la #gauche.» Être «épais intellectuellement» a donc une valeur positive.

Ce n’est pas du tout le cas au Québec. On peut y être épais (l’adjectif) ou un épais (le substantif) et ce n’est positif ni dans un cas ni dans l’autre : personne n’aime se faire dire qu’il est bête.

Exemples : «Pourquoi es-tu si épaisse ?» (Hockey de rue, p. 56); «J’étais tellement épais, parfois» (Hockey de rue, p. 103).

Dans le glossaire de son livre Un Québec si lointain (2009), Richard Dubois propose une longue et utile définition d’un des types de l’épais :

Comme le suggère le terme, quelqu’un qualifié d’«épais» n’est ni mince ni fin ni quoi que ce soit faisant penser à un mille-feuilles. Un «épais», c’est un mal dégrossi, un rustre, un ours, mais on ne parle pas ici que de manières. Il existe même des épais très civils, polis, sachant vivre et tout et tout, mais qui au niveau de la tournure d’esprit, portant sur tout des conclusions simples, rapides, terminales, font preuve d’une ignorance à vrai dire… foudroyante. Pire que l’ignorance, une certaine joie de l’ignorance, perçue par l’épais comme normale, très répandue, donc normale… L’épais ne doute de rien, jamais, et parle sur le ton de l’évidence («ben wèyons…»). Puisant à pleines mains dans la «sagesse populaire», et notamment les proverbes, il est bardé de certitudes. «L’épais» trouve beaucoup de monde «épais». Les autres, ceux d’en haut, car il reconnaît que l’on peut avoir un intellect plus développé que le sien, il s’en fout («pas le temps de m’occuper de ces niaiseries-là»), il n’irait pas jusqu’à parler des «intellectuels», il y a là trop de syllabes, il préfère, pour tous ceux qui s’imaginent le dépasser, le terme de «frais-chié» (p. 208-209).

Remarques

On voit parfois être épais dans le plus mince. Ce n’est pas mieux, bien au contraire.

Il va de soi que l’épais n’est ni un gnochon / niochon ni un nono.

 

[Complément du 26 janvier 2018]

Autre exemple, lui aussi venu de Twitter :

Tweet de @quitusais, 25 janvier 2018

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Vingt-cinquième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Soit la phrase suivante : Ça l’a l’air que c’est une chose à ne pas faire.

Comment désigner cette adjonction du «l» au verbe avoir après «ça» ?

S’agit-il d’une épenthèse ?

«Ling. Apparition à l’intérieur d’un mot d’un phonème non étymologique. L’épenthèse se produit pour adoucir des articulations inhabituelles. L’épenthèse du b dans nombre qui vient du latin “numerus» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Stricto sensu, non : le «l» ajouté à «a» («ça l’a») n’est pas «un phonème non étymologique» ajouté «à l’intérieur d’un mot» (l’Oreille tendue souligne).

Serait-ce un phonème éphelcystique ?

«Un phonème éphelcystique (du grec […], “attiré à la suite”) est, en phonétique, un phonème — la plupart du temps une consonne — ajouté à la fin d’un morphème ou d’un mot (c’est dans ce cas une paragoge) pour des raisons euphoniques, lesquelles sont le plus souvent la résolution de l’hiatus» (Wikipédia).

Exemples : «On tira-Z-à la courte paille (bis) pour savoir qui qui qui serait mangé (bis) (“Il était un petit navire”)» (@MrJeg57); «Il resta-T-au village, tout le monde l’aimait bien (“Le petit âne gris”)» (@MrJeg57).

Si «ça l’a» semble bien être lié à la «la résolution de l’hiatus», le «l» superfétatoire ne se situe pas «à la fin d’un morphème ou d’un mot» (bis).

Et si c’était, tout bêtement, une forme (fautive) de la prosthèse ?

«Ajout, au début [ter] d’un mot, d’une lettre ou d’une syllabe qui n’en modifie pas le sens : fr. populaire, un esquelette» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 391).

Le débat reste ouvert.

Synonymes médiatiques

Pierre Foglia, dont c’est une des bêtes noires, parle de «lalaïsation», cette «lèpre» (la Presse, 4 octobre 2012, p. A10).

Antoine Robitaille, sur Twitter, propose «çalatisme» : «Karine Vallières, députée de Richmond, vient de nous sortir un joli “ça l’allait”.»

 

Référence

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Familiarité de la pancarte

On a beaucoup vu de pancartes au Québec depuis un an.

Ci-dessous, cinq exemples, choisis pour leurs caractéristiques communes, dont les deux premiers sont tirés de l’actualité immédiate.

«Heille Agnès
Couper les moins nantis
C’est cheap en esti !» (le Devoir, 5 mars 2013, p. A3).

«Pauline
c’est pas
vargeux
ton
affaire» (le Devoir, 26 février 2013, p. A3).

«Line
mange un
osti d’charest
d’marde !
Les étudiants» (les Pancartes de la GGI).

«Bachand,
tes
hausses
de tarifs
fous-toi
les dans
le cul !» (les Pancartes de la GGI).

«Charest !!!
Décalisse
C’est tu clair» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1).

Ces caractéristiques ? Le tutoiement. L’interlocution directe («Heille»), soit par le prénom (pour les femmes : Agnès Maltais, Pauline Marois, Line Beauchamp), soit par le patronyme (pour les hommes : Raymond Bachand, Jean Charest). Le recours au juron («esti», «osti», «Décalisse») ou à la vulgarité («marde», «cul»).

Peut-on dire de ces pancartes qu’elles sont représentatives de l’ensemble de celles qu’on a vues pendant le Printemps érable et depuis ? Évidemment pas : il aurait été impossible de relever le contenu de toutes les pancartes alors brandies. Peuvent-elles servir, seules, de corpus pour essayer de comprendre le rapport des Québécois à l’autre ? Pas plus. Disent-elles néanmoins quelque chose de ce rapport ? Sans aucun doute : que la familiarité reste un des traits profonds de la société québécoise, jusque dans son langage politique.

Précautions pré-commentaires

On objectera à l’Oreille tendue que toutes les pancartes n’avaient pas recours à cette proximité supposée. C’est vrai : «Où s’en va le Québec ? / M. Charest, / je veux connaître / votre itinéraire» (les Pancartes de la GGI); «Charest / reculez» (le Devoir, 17 avril 2012, p. A5); «Charest / les / voyous / c’est / vous» (le Devoir, 25 mai 2012, p. A1).

On lui objectera que certains manifestants avaient un vrai sens de la formule, familiarité ou pas. C’est encore vrai : pour l’Oreille, «Mon père est dans l’anti-émeute» (les Pancartes de la GGI) est un texte de pancarte admirable.

On lui objectera enfin que la vulgarité avait un ton bonhomme. Là-dessus, l’Oreille ne sera pas d’accord. «1625 / moé l’cul» (les Pancartes de la GGI); « Charest / Ta yeule / On peut s’crosser tu-seuls» et «Charest / Salaud / Le peuple aura ta peau» (le Devoir, 2-3 juin 2012, p. A1 et la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Charest, en prison, échappe pas ton savon» (la Presse, 16 juin 2012, p. A20); «Étudiants / fourrés / Beauchamp / mal / baisée !» : non, ce ne sont pas des textes bonhommes.

S’indigner devant le Printemps érable

Paul Chamberland, les Pantins de la destruction, 2012, couverture

[Septième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Les Pantins de la destruction, l’essai qu’a publié Paul Chamberland en septembre de l’année dernière, n’est pas à proprement parler un livre sur ce que l’on appelle maintenant le Printemps érable. Seul le premier de ses trois chapitres, «Croc à phynances et carré rouge» (p. 9-32), aborde explicitement ce qui s’est passé au Québec en 2012. Au mieux, la «crise étudiante» est la «toile de fond» de l’ouvrage (quatrième de couverture).

De quoi est-il question alors dans ce livre ? De «la Destruction en cours» du monde dans lequel nous vivons, sous la poussée de divers courants mortifères : Nécronomie, Némocratie, thanatocratie, nécrodictature, etc. (L’auteur aime les néologismes et les majuscules.)

En un (rare) passage synthétique, les incarnations de Thanatos, la pulsion de mort, sont décrites :

Colossales et conjuguées, trois vagues de fond, trois forces de destruction massive emportent désormais le cours du monde. La première résulte de l’exploitation effrénée et irresponsable des ressources de la biosphère, provoquant du coup la dégradation du milieu qui forme la niche de l’espèce humaine. La deuxième doit sa malfaisance à la voracité mondialisée, et sévissant en toute impunité, de l’oligarchie des superprédateurs financiers, à qui les chefs d’État «démocratiques» donnent le champ libre au détriment des peuples. La troisième investit toute la vie en société grâce au dispositif de gestion technocratique et biopolitique des populations de manière à codifier et à «normaliser» l’ensemble des comportements selon une logique instrumentale tout à fait indifférente aux aspirations qui donnent son sens proprement humain à une vie digne d’être vécue (p. 83-84).

Si tant est qu’un lien clair puisse être établi entre les trois forces de ce «système globalitaire» (p. 84) et les événements de 2012, il faudrait probablement le chercher du côté de la deuxième et, surtout, de la troisième. Un ancien premier ministre du Québec («Grossevoix Lucien Bouchard», p. 13), un ancien ministre des finances («Ubu-Bachand», passim) et des financiers («les Paul Desmarais de ce monde, père et fils», p. 19) feraient partie de ces «pantins» toujours prêts à écraser les autres sans se rendre compte que la logique du monde tel qu’il va a programmé qu’ils seront eux aussi écrasés à leur tour. La situation québécoise ne serait qu’une manifestation de plus d’une déréliction généralisée, un exemple de plus parmi ceux que Chamberland empile les uns sur les autres tout au long du deuxième chapitre.

S’il n’évoque les grèves étudiantes de 2012 qu’allusivement, les Pantins de la destruction permet néanmoins de poser une question à l’ensemble des textes les abordant : pourquoi écrire sur elles ?

Certains se contenteront de rapporter, presque sur le vif, ce qui a été vécu. D’autres voudront prendre du recul et essayer de comprendre ce qui s’est passé, voire de proposer des pistes de solution. D’autres, enfin, utiliseront la fiction pour problématiser la crise sociale. Ceux-là postulent l’existence d’un interlocuteur : à interpeler, à convaincre, à séduire — à qui s’adresser.

Pendant les 100 premières pages de l’essai de Paul Chamberland (qui en compte 109), il n’en va pas de même. Le lecteur est placé devant un soliloque. La basse continue de ce «véritable manifeste citoyen» (quatrième de couverture) est l’indignation contre la situation du monde. Y est postulée une fin inéluctable. Un point de comparaison est sans cesse présent : le nazisme. Que répondre à une phrase comme «Les puissants d’aujourd’hui, puisqu’ils en ont les moyens, entendent assujettir à leur règne l’humanité entière» (p. 57) ? Ce cri est à prendre ou à laisser.

Il faut attendre le troisième chapitre, et tardivement dans ce chapitre, pour voir se dessiner quelque chose de l’ordre de la sortie de l’état de crise. Un «Nous» apparaît (p. 100-101), auquel une forme de «résistance» est proposée. Personne n’est à même de mettre un frein aux forces de Thanatos, mais des choix éthiques s’offrent tout de même à ceux qui refusent «l’avancée de l’inhumain» (p. 85).

Pareille position est parfaitement légitime. Elle confine néanmoins au solipsisme.

 

Référence

Chamberland, Paul, les Pantins de la destruction, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 109 p.