Hautes distinctions

En ces temps de fêtes du Québec et du Canada, les occasions ne manquent pas de rappeler que le Québec est une société distincte. Comment ?

«Le Québec se distingue dans l’univers de l’insolvabilité» (le Devoir, 4 juillet 2012, p. B1).

«Tourisme distinct» (le Devoir, 24-25 avril 2004, p. D4).

«Le Québécois : un mangeur distinct» (Québec science, été 2009).

«Un régime [d’assurance automobile] distinct qui doit le demeurer» (le Devoir, 14 avril 2004, p. A7).

«Le meuble québécois : un design distinct» (la Presse, 28 août 2004, Mon toit, p. 7).

Pétons-nous les bretelles. (Plastronnons.)

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Camion d’Ikea

Dimanche dernier, au micro de Franco Nuovo (Dessine-moi un dimanche), à la radio de Radio-Canada, l’Oreille tendue a présenté quelques-uns des mots de la Saint-Jean(-Baptiste), donc de la fête nationale du Québec (on peut (ré)entendre l’entretien ici).

Ce matin, rebelote, en quelque sorte : à la même antenne, il sera question, entre 9 h et 10 h, des mots de la Fête du Canada.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

Réjean Ducharme, de force

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

Aux yeux de l’Oreille, Réjean Ducharme est, avec Mordecai Richler, un des deux plus grands romanciers du Québec.

Parmi ses œuvres, en 1973, l’Hiver de force. La preuve du succès de ce roman, du moins dans la langue ?

«L’hiver de force constitutionnel a assez duré» (Pauline Marois, le Devoir, 17 avril 2012, p. A9).

«Un hiver de force. L’état des médias un an après les soulèvements populaires dans les pays arabes» (le Devoir, 3 mai 2012, p. A1).

«L’histoire d’un père seul et ultra-protecteur avec sa fille dans un hiver de force qu’on envie presque en cette journée de chaleur accablante…» (le Devoir, 21 juin 2012, p. B7).

Quand hiver ne se suffit plus, quand de force lui est adjoint automatiquement, c’est le signe de la force d’une expression (devenue) figée, qu’elle ait un sens ou pas.

 

[Complément du 13 juillet 2012]

En 1966, Ducharme publie l’Avalée des avalés. En première page de la Presse aujourd’hui : «TMX, l’avaleur des avalés.»

 

[Complément du 13 janvier 2014]

Sur Twitter, aujourd’hui : «Il serait peut-être temps d’en finir avec l’hiver de force. #chroniquefd http://bit.ly/1eP1vqs» (@FabienDeglise).

 

[Complément du 17 janvier 2014]

Dans la Presse du 11 janvier 2014, en titre : «Hiver de force» (cahier Arts, p. 2).

 

[Complément du 26 septembre 2014]

«Devant la rigueur du climat, l’austérité du paysage, il est impossible de se fuir soi-même, vain d’espérer se distraire, s’oublier, se défiler. Dans cet hiver de force, il faudra bien que le protagoniste affronte ses démons, sonde ses limites, apprivoise ses qualités et ses défauts» (Christian Saint-Pierre, «Théâtre. Hiver de force», le Devoir, 25 septembre 2014, p. B7).

 

[Complément du 8 décembre 2014]

En titre, dans la Presse+ du jour, pour un article sur l’offre d’hydro-électricité dans le nord-est de l’Amérique du Nord durant l’hiver 2015 : «L’hiver de force.»

 

[Complément du 15 février 2015]

Grosse journée Ducharme hier dans les journaux montréalais. «L’hiver de force, mais pas forcément l’hiver», titrait le Devoir (p. C9). «Les 120 premiers jours suivant la greffe sont comme un hiver de force […]», pouvait-on lire dans la Presse (p. A8).

 

[Complément du 12 avril 2015]

C’est d’abord un sous-titre dans un texte signé Ianik Marcil : «L’hiver de force» (2015, p. 8). Puis, à la page suivante, c’est une affirmation : «C’est l’hiver qu’on nous impose de force» (p. 9).

 

[Complément du 26 avril 2015]

Un duo catalan dansera à Montréal sous peu : «Hiver de force», titre le Devoir (25-26 avril 2015, p. E6).

 

[Complément du 19 mai 2015]

Citer Ducharme, tout en prenant savamment ses distances ? Bien sûr : «Mais une rue de janvier à peine recouverte d’une mince couche blanche, qui peut y croire, surtout après la saison de force qu’on vient de subir ?» (le Devoir, 19 mai 2015, p. B8).

 

[Complément du 29 mai 2015]

Dans le Devoir du jour, rubrique Vins (p. B6), s’agissant d’un blanc : «À faire rigoler l’été en attendant l’hiver de force.»

 

[Complément du 5 juin 2015]

«Fin d’un hiver de force

Le suspense ne finit plus de rebondir dans cette singulière série, qui nous a entraînés dans des recoins joyeusement inattendus. On se demande bien ce que nous réserve le dernier épisode de cet hiver de force dans le petit monde étrange de ces deux scénaristes pas si ratés que ça. Ils nous manquent déjà…

Série Noire, Radio-Canada, 21h» (le Devoir, 31 mars 2014, p. B7).

 

[Complément du 26 décembre 2015]

S’il faut en croire la rumeur publique (planétaire), un nouvel épisode de la saga Star Wars aurait été lancé récemment. Le titre ci-dessous, tiré du Magazine Cineplex, pourrait étonner un esprit non averti. (Merci à @machinaecrire pour l’image.)

Magazine Cineplex, 2015

 

 

[Complément du 23 août 2017]

Réjean Ducharme vient de mourir. Dans la Presse+ du jour : «La mort de force.» Puis, sur Twitter :

 

[Complément du 27 août 2017]

Dans le Devoir

du 23 août : «C’est aussi un grand styliste, un géant, un monument de la littérature québécoise, qui est entré de force dans le froid d’un hiver éternel, un être singulier jusqu’au bout, qui a laissé sa marque sur tout un peuple, ont salué en chœur plusieurs personnalités touchées mardi par la mort du romancier Réjean Ducharme.»

…du 26 août : «Réjean Ducharme, entré dans l’éternité d’un hiver de force, aura été tout ça dans les 76 années d’une vie qui a pris fin au début de cette semaine.»

 

[Complément du 2 février 2018]

Prise du jour, gracieuseté de @revi_redac : «Kalina Bertin avait 5 ans la première fois qu’elle a mis les pieds au Québec. C’était en février, au plus creux de l’hiver de force» (la Presse+).

 

[Complément du 13 février 2018]

On l’a vu le 12 juillet 2012 : il n’y a pas que l’Hiver de force dans la vie. Dans la section «Affaires» de la Presse+ du jour, ce titre : «La valeur de l’avalée

 

[Complément du 25 février 2018]

Dans la Presse+ du jour :

«Hiver de force», la Presse+, 25 février 2018

 

[Complément du 13 mai 2018]

Le Devoir de cette fin de semaine rend compte de l’ouvrage Porn Valley. Une saison dans l’industrie la plus décriée de Californie, de Laureen Ortiz. «Dans la vallée des avalés», titre le quotidien (D magazine, 12-13 mai 2018, p. 26).

 

[Complément du 3 juin 2018]

Dans la Presse+ du jour : «Après la mort de sa compagne, Ducharme s’est fait plus rare. Ce fut son hiver de force.»

 

[Complément du 5 juin 2018]

L’Oreille tendue fait du ménage. Elle tombe sur un article du Devoir du 14 avril 2008. Son titre ? «Un 401e hiver de force pour le Québec» (p. A6).

 

[Complément du 17 juin 2018]

Lu dans la Presse+ du jour : «Le libraire Maxime Nadeau donne rendez-vous aux amateurs de littérature à CIBL 101,5 FM dès le 22 juin à 8 h. Il animera l’émission radiophonique Libraire de force (Ducharme, quand tu nous tiens !) qui traitera de roman, essai, poésie, BD, jeunesse, théâtre.»

 

[Complément du 10 mars 2019]

Ceci, de la rubrique pinard du Devoir de cette fin de semaine : «Voilà qu’il n’est nul besoin d’une hirondelle pour annoncer le printemps qui peine à venir quand ce blanc sec se faufile entre vous et cet hiver de force (merci Réjean) qui est le nôtre.»

 

Références

Ducharme, Réjean, l’Avalée des avalés. Roman, Paris, Gallimard, 1966, 281 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1393, 1982, 379 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Marcil, Ianik, «Introduction. La privatisation tranquille», dans Ianik Marcil (édit.), 11 brefs essais contre l’austérité. Pour stopper le saccage planifié de l’État, Montréal, Somme toute, 2015, p. 7-21.

Toponymie sportive

Première page de la Presse d’hier : «Exclusif. Remplacement de Champlain. Un pont Maurice-Richard ?». Au-dessus de ces mots, un montage : une photo du joueur, souriant, avec son maillot de capitaine des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, devant une partie de la structure du pont Champlain.

Sous le titre «Un pont Maurice-Richard ? Le futur pont Champlain pourrait porter le nom du Rocket», à côté d’une autre photo du joueur, mais en pleine action, une explication (p. A4). Le pont qui lie actuellement Montréal et la Rive-Sud, le pont Champlain, doit être remplacé par un nouveau. Et il pourrait changer de nom.

Le ministre des Transports, Denis Lebel, a indiqué que le nom de l’ancien joueur de hockey du Canadien de Montréal se démarque nettement de toutes les autres suggestions soumises par les Québécois intéressés par le nom de l’ouvrage qui doit remplacer le pont Champlain d’ici 10 ans au plus tard.

Le ministre a indiqué que le gouvernement choisira le nom après avoir consulté les citoyens, au moment opportun.

L’Oreille tendue ayant beaucoup écrit sur Maurice «Rocket» Richard, cette possibilité toponymique l’intéresse. Ci-dessous, quelques réflexions préliminaires.

Une constatation, d’abord : le pont va donc changer de nom ? Cela avait échappé à l’Oreille. On devrait pourtant savoir, au Québec, qu’il peut parfois être délicat de faire disparaître un nom venu du passé. On en a fait l’expérience dans la ville de Québec, en 2009, puis en 2012, quand on a voulu rebaptiser l’autoroute Henri-IV en route de la Bravoure. Des professeurs du Département d’histoire de l’Université Laval, Michel De Waele et Martin Pâquet, se sont prononcés contre cette proposition dans les pages du Devoir le 20 janvier 2012, en rappelant l’importance du roi Henri IV dans la colonisation de la Nouvelle-France. Il n’est pas toujours indiqué de faire table rase du passé. (En mai 2012, la Commission de toponymie a tranché : «C’est le prolongement de l’autoroute Henri-IV, qui va de l’avenue Industrielle jusqu’à Shannon, qui portera désormais ce nom» de route de la Bravoure. Cela s’appelle couper la poire en deux.)

Un rappel, ensuite : ce n’est pas le premier projet d’envergure qui concerne la patrimonialisation du Rocket. Au moment de sa mort, certains auraient voulu baptiser l’aéroport international de Dorval de son nom; on a choisi plutôt celui d’un ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau. Pour d’autres, le Centre Molson, le mont Royal, les rues Sainte-Catherine, Atwater ou Sherbrooke, ou le pont Viau auraient fait l’affaire. Après les autoroutes politiques (Jean-Lesage) et musicales (Félix-Leclerc), on a pensé faire de l’autoroute 50, celle qui mène les Montréalais à Gatineau, puis à Ottawa, l’autoroute Maurice-Richard. Quelqu’un a suggéré de remplacer la fête de Dollard, instituée en l’honneur de Dollard des Ormeaux, ce pseudo-héros du XVIIe siècle, par la fête de Maurice Richard.

Une mise au point : si ces projets n’ont pas abouti, la mémoire de Maurice Richard est néanmoins diversement honorée au Québec. Il a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son lac, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. À sa baie, la baie du Rocket, à l’extrémité du lac Brochu, dans le réservoir Gouin, près de La Tuque. À sa rue et à sa place, à Vaudreuil-Dorion. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, à Montréal. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. À ses trophées : la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal honore périodiquement un sportif en lui remettant le prix Maurice-Richard; Sports-Québec souligne les exploits par ses «Maurice» — il n’est pas nécessaire de dire le nom de famille de ce Maurice-là. À ses statues (quatre, uniquement à Montréal) : devant l’aréna auquel il a donné son nom; au complexe commercial Les Ailes; dans l’Atrium des champions, au Centre de divertissement du Forum Pepsi, l’ex-Forum de Montréal, là où s’est déroulée la carrière du joueur; à côté du Centre Bell. (Lecteur, crois-le ou non : cette énumération est volontairement incomplète.)

Autrement dit : le nom de Maurice Richard n’est-il pas suffisamment déjà présent dans l’espace public québécois ?

Une question, pour terminer : que représente le nom de Maurice Richard ?

On a pu discuter de la pertinence de remplacer, à Montréal, le nom de Dorchester par celui de René Lévesque et de rebaptiser l’aéroport de Dorval en l’honneur de Pierre Elliott Trudeau. Il reste que personne ne peut mettre en doute l’importance de ces deux premiers ministres, le premier à Québec, le second à Ottawa, dans l’histoire de la province et du pays. Maurice Richard était certes un grand joueur, mais cela suffit-il à marquer durablement une société ? Voudrait-on inscrire une fois de plus dans l’espace public, et majestueusement, le souvenir d’un homme dont on ne connaît aucune position sociale significative ? Quel est le sens de l’idolâtrie envers celui qui fut presque muet sur les interrogations essentielles de son temps en matière de politique, de société et de culture ?

Il faudrait encore se poser la question de la violence de Richard du temps où il était joueur, violence attestée par les déclarations de Richard lui-même et par les chiffres (minutes de punition, montant des amendes). De deux choses l’une. Soit Maurice Richard était un joueur violent, et l’on peut se demander s’il faut légitimer, même rétrospectivement, cette violence. Soit Maurice Richard répondait par la violence à la violence exercée à son endroit, et l’on peut se demander pourquoi il faudrait signaler les faits d’armes d’une victime. Le discours commun fait souvent l’économie d’une réflexion sur ce problème; le discours étatique devrait y aller voir d’un peu plus près.

On peut très bien reconnaître l’importance de Maurice Richard au Québec et dans le reste du Canada, et hésiter à pousser la commémoration au point de vouloir mettre son nom à la place de celui de Samuel de Champlain.

P.-S. — Dans la version Web de la Presse, ce sujet est devenu la «Question du jour». C’est dire son importance.

Question du jour, la Presse, Montréal, 2012