Dialoguer dans la nature

«Chez nous, on aime se tirer une vraie bûche», publicité, 2021

Tout un chacun devrait le savoir : au Québec, s’asseoir est synonyme de parler. Les exemples ne manquent pas, à commencer par ici.

Autre synonyme : se tirer une bûche. Il est vrai qu’on peut approcher un siège (se tirer une bûche, littéralement) sans nécessairement prendre langue, mais, implicitement, on s’attend à ce que, la bûche tirée, on cause.

Exemple : «J’ai l’impression qu’avec nos chaussures de course, on est un peu comme des voisins qui viennent dire bonjour et se tirent une petite bûche pour jaser après la mort d’un proche» (la Presse, 22 juillet 2013, p. A5).

On l’aura compris : la bûche est le siège naturel du Québécois de souche.

P.-S. — Le tumblr Notre Québec offre, par «Un crayon français, des mots québécois». Tire-toi une bûche y est.

 

[Complément du 22 septembre 2014]

En musique : Tire-toi une bûche, album du groupe Mes Aïeux (2006).

Bref lexique québécois de l’imbibition

Tout le monde le dit : quand il fait chaud, il faut beaucoup boire.

Il peut toutefois arriver que l’on boive trop. Au Québec, cela se dit de plusieurs façons, au-delà des expressions du français hexagonal (bourré, paf, pompette, soûl, etc.).

Le buveur qui a cédé à l’excès peut y être en boisson (l’expression paraît ancienne), rond comme une bine (cette bine n’est pas la bine), paqueté (pas comme un club), parti, chaud. Il prend une brosse.

Un degré de moins et il est chaudasse ou gorlot (autre orthographe possible : gueurlot). Gorlot, il aura la gueule de bois.

Un degré de plus et celui qui prend un coup aura arrêté de lire ce texte avant d’être arrivé à la fin.

 

[Complément du 19 août 2013]

Un article du Devoir sur le dictionnaire en ligne Usito (10-11 août 2013, p. B2) rappelle l’existence de l’expression se paqueter la fraise. Dont acte.

 

[Complément du 11 septembre 2019]

À côté de chaudasse, on trouve chaudaille, notamment dans Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert (p. 70, p. 108).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dialogue entre une Française et un Québécois, dans la Trajectoire des confettis, de Marie-Ève Thuot (2019) :

«—Louis, tu m’écoutes ? Tu t’es pris une sacrée murge, dis donc.
— Une quoi ?
— Tu t’es bourré la gueule.
— Ah… Ici on dirait se soûler la face. Ou se paqueter la fraise. Ou virer une brosse. Ou…
— Comme tu veux. Pour moi, tu t’es bourré la gueule» (p. 77).

 

[Complément du 11 janvier 2021]

À côté de pompette, chaudaille et garleau, ajout du jour : «Ti-guedaille : Expression saguenéenne et jeannoise. Se dit d’une personne chaude qui a le vin gai» (J’ai bu, p. 98).

 

[Complément du 28 janvier 2021]

Dans quelques jours commencera le Défi 28 jours sans alcool. Il ne faudra pas confondre brosse et brosse.

Publicité pour le Défi 28 jours sans alcool

 

[Complément du 30 juillet 2022]

Il est une expression que l’Oreille tendue ignorait jusqu’à la lecture de Là où je me terre, de Caroline Dawson : «Derrière nous, les yeux écarquillés par la scène qui se jouait devant lui, il y avait un monsieur, encore un peu cocktail de son verre de vino dans l’avion, qui revenait paisiblement d’un voyage d’affaires» (p. 24). Être cocktail : c’est noté.

 

[Complément du 23 août 2022]

Trois ajouts, venus du roman la Bête creuse de Christophe Bernard (2017) : à l’opposé de celui qui «tient la boisson» (p. 209), il y a celui qui est «garlot» (p. 96) ou «chaudette» (p. 473).

 

[Complément du 26 février 2023]

Chaud comment ? Réponse de Kevin Lambert dans Que notre joie demeure (2023) : «chaud comme un poêle» (p. 82).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Lambert, Kevin, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Thuot, Marie-Ève, la Trajectoire des confettis. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2019, 615 p.

Il faut que ça tienne

Publicité de la Société de transport de Montréal, Twitter, 14 mars 2017

On a vu l’expression l’autre jour dans une publicité de Maison Corbeil : Attache ta tuque avec de la broche y était rendue, en français de référence, par Sois prêt à affronter des difficultés.

Reprenant son Dictionnaire québécois instantané (2004), l’Oreille tendue proposerait des définitions légèrement différentes.

1. Attacher sa tuque. Se préparer au meilleur. Attache ta tuque (album des Cowboys fringants). «Attache ta tuque avec Coke» (publicité).

Existe en version urbaine : «Les Cowboys fringants. Attache ton quadrilatère !» (le Devoir, 29 juillet 2003).

Et en version country : «Le show Cowboys fringants. Attachez vos chapeaux western !» (la Presse, 28 juillet 2003).

2. Attacher sa tuque avec de la broche. Se préparer au pire ou, du moins, à quelque chose qui va décoiffer.

«Gilles Proulx fait ses débuts à l’animation d’un téléjournal. Attachez vos tuques avec de la broche !» (la Presse, 21 août 2000).

Remarque 1

On peut attacher sa tuque avec nombre de matériaux.

«Attachez vos tuques avec de la fibre [optique] !» (la Presse, 16 février 2001).

Remarque 2

La tuque n’a pas à être attachée. Elle peut être accrochée, comme chez Akroche tatuk.

Remarque 3

La tuque peut être remplacée par un autre couvre-chef.

«Le dernier-né des délires de la droite canadienne. Attachez votre turban avec de la broche, après Adolf Bouchard, voici Oussama ben Boisclair» (le Devoir, 15 août 2007, p. A7).

Remarque 4

Un groupe québécois de rap — à moins que ce ne soit du hip-hop — s’est appelé Atach Tatuq.

 

[Complément du 4 février 2018]

Variation sur le même thème dans l’excellente série télévisée Fatale-Station : «Attache ta tuque avec du tape électrique» (Ina Beausoleil, neuvième épisode, 21e minute).

 

[Complément du 14 janvier 2020]

Si l’on en croit les Bibliothèques de Montréal, on aurait aussi intérêt, à l’occasion, à accrocher son «clavier avec d’la broche».

 

[Complément du 7 février 2020]

La Société de transport de Montréal — à qui l’on doit l’illustration qui coiffe ce billet — propose la traduction qui suivante.

«Attachons notre tuque», Société de transport de Montréal, janvier 2020

«Hold on to your tuques», Société de transport de Montréal, janvier 2020

 

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

L’oreille publicitaire

Maison Corbeil mène une campagne publicitaire sur le thème «L’accent québécois». On peut lire ce slogan sur des affiches le long des routes et dans un encart publicitaire distribué dans le journal la Presse, où il est développé.

Théoriquement, d’abord :

Maison Corbeil est fière de vous proposer ce qui se fait de plus beau et de plus séduisant dans le monde du design.
Pour souligner la créativité québécoise, nous vous présentons notre collection de meubles conçus et fabriqués dans notre belle province.

Pratiquement, ensuite. Sur une double page grand format (55 cm de largeur par 54 cm de hauteur), sous le titre «Pure laine», avec fond de décor moderne épuré, les concepteurs ont choisi onze expressions de la langue parlée au Québec (en majuscules, en bleu foncé) et les ont accompagnées de leur équivalent en français hexagonal (dans une police plus petite, en bleu très pale). Dans l’ensemble, les équivalents sont bien choisis.

Parmi ces expressions, quatre ont été recensées par l’Oreille tendue.

Mouiller à sciaux / Pleuvoir à verse, en grande abondance

Ne pas niaiser avec la puck / Agir rapidement

Être gorlot / Être ivre

Guidoune / Personne habillée de façon provocante

Changer quatre trente sous pour une piastre / Changer une situation pour n’y voir aucun avantage

Attache ta tuque avec de la broche / Sois prêt à affronter des difficultés

Gosser / Bricoler ou taper sur les nerfs

Écornifler / Fouiner

Accouche qu’on baptise / Dépêche-toi

Avoir de la broue dans le toupet / Être débordé

Être habillé comme la chienne à Jacques / Être vêtu de mauvais goût

Page suivante, cette illustration de souche.

Maison Corbeil, publicité, 2013

En dernière page est annoncée la création du «nouvel espace la fabricq entièrement consacré aux produits créés et fabriqués au Québec».

Du travail bien fait, avec humour.

Personne dehors

L’inclusion, c’est bien.

Au sujet d’une équipe de foot : «Une formation compétitive prônant le nous inclusif […]» (la Presse, 4 juin 2013, cahier Sports, p. 6).

«Pour une stratégie énergétique forte et inclusive» (le Devoir, 1er février 2013, p. A9).

«Louise Harel veut un parti plus “inclusif”» (le Devoir, 29 juin 2009, p. A3).

«L’inclusion des personnes handicapées au Québec est menacée» (le Devoir, 11 décembre 2003, p. A7).

«[Une] métropole qui se veut démocratique et inclusive» (Gérald Tremblay, 9 septembre 2002).

L’exclusion, c’est mal.

«Citoyenneté québécoise. Un projet rassembleur ou porteur d’exclusion ?» (la Presse, 25 août 2001).

 

[Complément du 10 juillet 2024]

Des cocktails inclusifs (la Presse+, 30 juin 2024, publicité), c’est nécessairement bien.

Publicité pour des cocktails inclusifs, la Presse+, 30 juin 2024

 

[Complément du 14 juillet 2024]

Si les cocktails peuvent l’être, le vin aussi (la Presse+, 14 juillet 2024). Cela va de soi.

«Avoir le vin inclusif», la Presse+, 14 juillet 2024