L’ivresse du pouvoir

Ce fut d’abord un subjonctif rétabli dans une publicité de Nissan.

Ce fut ensuite «quitter» (enfin) remplacé par «partir», à l’Université de Montréal.

C’est maintenant une énumération dont on a corrigé les temps verbaux. (C’était à cette antenne le 19 septembre : les promoteurs du projet immobilier Southam Lofts venaient de publier dans le Devoir une publicité dans laquelle une énumération était mal construite. La Presse du 24 septembre accueille la même publicité dans son cahier «Mon toit», page 4, mais corrigée.)

Ces trois corrections — avec lesquelles elle n’a peut-être rien à voir — risquent néanmoins de monter à la tête de l’Oreille.

Le poids du monde

Parmi les obstacles qui obstruent la route de la «vie bonne» dont parlent les philosophes, il y a les gens qui sont infoutus de construire une énumération. Ils mêlent tout, les substantifs avec les adjectifs, les verbes conjugués avec ceux qui ne le sont pas, etc.

Exemple, encore tiré d’une publicité des Southam Lofts (Lofts Southam ferait trop plouc) : «Contacter notre bureau des ventes pour plus de détails. / Ne manquez pas cette opportunité fantastique» (le Devoir, 17-18 septembre 2011, p. G2).

Ce mélange d’infinitif («Contacter») et d’impératif («manquez») rend le bonheur bien difficile à atteindre.

P.-S. — On pourrait aussi râler contre «opportunité», mais à chaque jour suffit sa peine.

Rappel géographique

Il est bon, périodiquement, de rappeler que la ville est urbaine.

Le Devoir du 10 septembre (p. A4) s’en charge. Une publicité nous y apprend que «Seulement 10 lofts authentiques entre 960 pi.ca. et 2000 pi.ca. restent disponibles» dans le projet montréalais Southam Lofts. Faites vite si vous voulez soigner «votre style de vie urbaine».

L’Oreille, elle, hésite encore (et se demande ce que serait un loft non authentique).

Ça, c’est du sérieux

Vous pouvez tout bonnement décider de faire ceci ou cela. Vous pouvez même — l’Oreille tendue vous le souhaite — choisir de vivre. Il est vrai que cela fait un peu plouc.

Marie-Lise Labonté, dans une publicité du Devoir du samedi 10 septembre, vous propose mieux : «Nous pouvons quitter l’état de victime et nous positionner dans le choix de vivre» (p. A2).

«Se positionner dans le choix de vivre» : voilà qui inspire confiance, non ?

Divergences transatlantiques 017

Vous en avez trop, et assez. Vous ramassez tout et vous foutez ça sur le trottoir : c’est à vendre.

D’un côté de l’Atlantique, vous organisez un vide-grenier.

François Bon : «On aime déambuler dans les brocantes ou les vide-greniers parce que ce sont de telles réminiscences qui reviennent aux choses d’hier, mais si usées par d’autres elles vous restent indifférentes, on ne dépenserait pas un centime pour se les approprier» («autobiographie des objets | 40, un Popeye en bouchon»).

Philippe Didion : «Tendance. Caroline et Lucie se rendent au marché de Noël du quartier. La prolifération de ces rassemblements va bientôt atteindre celle des vide-greniers. Elle est là la France coupée en deux : six mois de marché de Noël, six mois de vide-grenier» (Notules, no 90, 22 décembre 2002).

De l’autre, une vente de garage ou une vente (de) débarras. (En anglais : garage sale, yard sale.)

Bilinguisme québécois oblige, comme le faisait remarquer AH, on se retrouve parfois devant de troublantes affichettes (la première des deux ci-dessous).

Annonces de ventes de garage, Montréal, 2011

Qu’on se rassure : ni la vente ni le garage ne sont sales. (Mais l’habitude d’ainsi fondre les langues — vente de garage + garage sale = vente de garage sale —, si.)

P.-S. — Tendance nouvelle, du moins aux yeux de l’Oreille tendue, dans le quartier montréalais où elle habite : organiser une vente de garage au profit d’une bonne œuvre. Achetez un truc inutile que vous revendrez à votre prochaine vente de garage; double bénéfice, et renouvelable, pour la bonne œuvre.

 

[Complément du 26 septembre 2014]

Plus radical : «Vente DU garage.»

Vente «du» garage, Montréal, 2014, affiche

 

 

[Complément du 28 août 2016]

S’il faut en croire le narrateur de la nouvelle «Je t’aime, Cowboy» (1984) de T.F. Rigelhof, la vente de garage aurait une forte spécificité ethnoculturelle :

Even though Perrault speaks serviceable English, the term Garage Sale confuses him. These two words put together in this way suggest to him that it is le garage itself that is for sale. But this is only a momentary thing, good for a quick laugh at his own expense. There is another, deeper confusion that registers within him when he sees these words, the confusion of a man suddenly caught out of his depth. Garage Sales are an anglais thing. People in his own parish of St. Henri never sell the things they no longer use. What they don’t need, they give away. If one does not have a poor relation or neighbour, there is always the parish church with its clothing and furniture collections for fire victims. The only things that aren’t needed are the things nobody could ever use — stoves stripped of fittings, refrigerators stripped of motors and autos stripped of every possible part that are as burnt-out and skeletal as the gutted houses in whose yards they squat. And so Perrault always accelerates when he passes a Garage Sale : they are foreign, incomprehensible. More, they are somewhat indecent (éd. 1989, p. 237-238).

À chaque solitude son rapport à ses vieilleries ?

 

[Complément du 17 novembre 2019]

Éva Caradec, la narratrice du récent Propriété privée (2019) de Julia Deck, est claire : «J’abhorrais spécialement les vide-greniers. Depuis toujours, je me tenais éloignée de ces déballages d’objets inutiles, dont les propriétaires monopolisent le trottoir avec une jovialité indécente, comme s’il n’existait pas de plus grand bonheur sur terre que de se soûler tout un dimanche en exhibant ses rebuts» (p. 70-71).

 

[Complément du 19 octobre 2021]

Le garage sale n’est plus, commercialement, ce qu’il était : on y accepte maintenant les cartes.

Annonce de vente de garage, Westmount, 9 octobre 2021

 

Références

Deck, Julia, Propriété privée. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 173 p.

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Rigelhof, T.F., «Je t’aime, Cowboy», Matrix, 1984, reproduit dans Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, Toronto, Deneau, 1989, xix/290 p., p. 237-242.