Protectionnisme linguistique

Vous faites des photocopies ? Chez l’Oncle Sam, vous pouvez utiliser une marque de commerce devenue verbe : «to xerox».

En fait, non : vous ne devriez pas pouvoir; la société Xerox n’aime pas ça. Elle va même jusqu’à se payer des publicités pour vous demander de ne pas le faire. C’est Erin McKean qui rapporte la chose dans sa chronique de cette semaine du Boston Globe :

Xerox occasionally runs ads in major magazines (most recently in the Hollywood Reporter this past May) reminding people that Xerox is still a trademark, and asking writers not to use Xerox the trademark as a verb.

C’est clair : touche pas à mon verbe.

Méchante distinction

Grâce à @Hortensia68, l’Oreille tendue découvre un texte de deux linguistes français en vue de la «Construction d’un lexique affectif pour le français à partir de Twitter». Il s’agit d’une proposition de communication pour le congrès Traitement automatique des langues qui vient de se tenir à Montréal.

On y lit la phrase suivante : «Les auteurs ont commencé par deux types d’adjectifs germes : positifs (comme “bonne”, “agréable”, “excellent”, etc.) et négatifs (“mauvais”, “méchant”, etc.).» Au Québec, il faudrait nuancer : «méchant» n’est pas toujours négatif. En fait, c’est un intensif fort prisé dans la Belle Province.

Les publicitaires s’en servent :

«Les Méchants Mardis sont de retour et Stéphane Pelletier tentera sa chance au concours du Méchant Million» (2003).

«Méchante offre de Fido» (la Presse, 24 septembre 2008, p. A10).

Les écrivains aussi :

Nicolas Charette : «Je sais pas, c’est un hasard ! Un méchant hasard !» (p. 10)

François Lepage : «Je commençai à craindre qu’il se mette à boire à même la bouteille, ce qui aurait déclenché un méchant scandale» (p. 82).

Diane Vincent : «Méchants maniaques !» (p. 113)

Les chanteurs ne sont pas en reste, Shaka (2001) en tête :

Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards
Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards

On ne confondra donc surtout pas le «méchant» affectif, négatif et assez banal, et le «méchant» intensif, plus neutre, mais ô combien populaire, et d’usage varié.

 

Références

Charette, Nicolas, Jour de chance. Nouvelles, Montréal, Boréal, 2009, 225 p.

Lepage, François, le Dilemme du prisonnier, Montréal, Boréal, 2008, 151 p.

Shaka, «Méchants pétards», disque audionumérique, étiquette Guy Cloutier Communications, PGC-CD-132 DJ, 2001, 3 minutes 1 seconde.

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Banlieue linguistique

Un lecteur de la Presse (21 juillet 2010, p. A15) en a contre une nouvelle publicité pour la sécurité routière à Repentigny, en banlieue de Montréal. (Du temps où l’Oreille tendue y grandissait, il n’y avait pas de telles publicités. Il est vrai que des vaches paissaient près de chez elle.) Celle-ci :

René Saint-Pierre, de Laval (autre banlieue montréalaise), s’en prend à ce «bel exemple de pollution visuelle» et il déplore l’utilisation du verbe slaquer.

Les autorités municipales avaient prévu le coup. On peut lire sur le site ralentircheznous.com cette fine remarque linguistique : «Pour ceux et celles qui se questionneraient sur la validité du verbe slaquer, ils peuvent être rassurés, car cet emprunt nuancé de la langue anglaise est aujourd’hui reconnu comme un verbe bien de chez nous.» Traduction proposée (malgré tout) de ce «langage imagé» : «Relâcher l’accélérateur.»

Tout cela appelle une brève explication de texte.

«Rassurés» ? L’Oreille ne l’est pas.

«Emprunt nuancé» ? Où ça, la nuance ? C’est un emprunt, point à la ligne.

«Reconnu» ? Par qui ? L’Oreille aimerait beaucoup le savoir. Il existe peut-être un dictionnaire du bon usage repentignois.

«Bien de chez nous» ? Quel est-il ce «chez nous» ? Y aurait-il un microclimat linguistique dans la couronne nord de Montréal ? Le président de la Commission de la sécurité publique et de la circulation de la Ville de Repentigny, Raymond Hénault, paraît le croire : «c’est une expression couramment utilisée et comprise par tous».

«Slaque», pas «slaquez» ? Voilà une administration proche de ses contribuables : elle les tutoie. (D’autres slogans sont à venir : Roule la pédale douce et Perds pas les pédales.)

«La pédale» : on voit d’ici s’épanouir le sourire du graffiteur s’apprêtant à déposer sa virgule sur une des affiches.

«Slaque la pédale» ? L’Oreille est sceptique. Un mécanicien pourrait, on l’imagine, slaquer une pédale; il suffirait qu’il s’assure qu’elle soit plus facile à relâcher. Mais, s’agissant de ralentir, la formulation retenue par les fortes autorités linguistiques repentignoises étonne : Slaque su’a pédale aurait mieux fait l’affaire, du moins aux oreilles de l’Oreille.

Il est vrai qu’elle a quitté la banlieue depuis longtemps.

 

[Complément du 22 juillet 2010]

La visibilité de ces affiches, selon des taupes repentignoises, est maximale. Leur efficacité l’est peut-être moins : «Un chauffard entêté arrêté à Repentigny», lit-on dans la Presse de ce matin (22 juillet 2010, p. A10). Il ne slaquait manifestement pas la pédale : il roulait à 200 km/h.

Exercice de traduction, et de cinq

Cette publicité, pour une agente immobilière, reçue l’autre jour :

Agence immobilière, Montréal, juillet 2010, publicité

Oublions le «de» oublié après «besoin».

Ne tenons pas compte du fait que la disponibilité est importante en français («7 jours sur 7, de jour et en soirée»), alors qu’en anglais c’est la confiance qui compte («confidence»).

Attachons-nous une seconde au s de couchers dans «chambres à couchers». Il y en a plus qu’un; soit. Mais combien de couchers une chambre peut-elle recevoir ? Cela paraît aussi difficile à évaluer que ceci.

L’ami sans complément

Voici une nouvelle campagne publicitaire pour la chaîne de pharmacies Jean Coutu.

Jadis, on disait qu’on pouvait tout y trouver, même un ami.

Aujourd’hui, à la radio, on affirme que tout y est disponible «pour débuter une vie».

Le premier slogan était cucu, mais il n’utilisait pas un verbe intransitif (débuter) avec un complément d’objet direct (vie). Cucu mais sans faute.