L’Oreille tendue se sent parfois vieille. Devant cette publicité, par exemple.
«Tweetez» ? Certes. Elle en est.
«Pokez» ? Elle n’a pas la moindre idée de ce que c’est.
Le fossé linguistique entre les générations se creuse sous nos yeux. Bis.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
L’Oreille tendue se sent parfois vieille. Devant cette publicité, par exemple.
«Tweetez» ? Certes. Elle en est.
«Pokez» ? Elle n’a pas la moindre idée de ce que c’est.
Le fossé linguistique entre les générations se creuse sous nos yeux. Bis.
En titre, dans la Presse du 18 septembre, pour décrire Anne-Marie Losique : «L’agace de bonne famille» (cahier Arts et spectacles, p. 19).
Le même jour, dans le même journal, une pub, pour le film Tout pour un A, dans un autre cahier : on y voit la photo de l’actrice Emma Stone, accompagné des mots «Flirt», «Facile» et «Agace» (cahier Cinéma, p. 9).
Agace ? Le mot étonnera un lecteur qui ne serait pas de souche. Traduction : allumeuse.
Son origine ? Avant l’agace, il y eut l’agace-pissette. (On notera que cette pissette n’est pas l’«Appareil de laboratoire produisant un petit jet liquide» dont parle le Petit Robert, même si elle sert aussi à émettre des liquides.)
Achdé & Lapointe, dans leur album les Canayens de Monroyal. La ligue des joueurs extraordinaires (p. 29), n’avaient pas la pudeur de la Presse.
(Le s à pissettes laisse l’Oreille tendue songeuse.)
C’est également sous agace-pissette qu’on trouve le mot dans le Petit lexique de mots québécois […] d’Ephrem Desjardins :
Agace-pissette (n. f. et adj.) : La pissette étant le sexe masculin, c’est donc une allumeuse… On dit aussi une agace. Ou, comme adjectif : trop agace pour plaire aux garçons (ou aux filles). Il arrive qu’on utilise ce terme en s’adressant à un homme, mais le mot reste féminin : «Toé, Robert, t’es rien qu’une vraie agace…» À noter qu’en pareil cas — et ça va de soi — on ne dit pas agace-pissette… (p. 24-25).
Et pourquoi pas ? L’auteur a une conception bien restrictive de la séduction masculine.
[Complément du 15 février 2014]
Exemple romanesque, chez le Réjean Ducharme de l’Hiver de force (1973) :
Je veux partir toute seule dans ma petite Citroën, je veux arriver toute seule à mes rendez-vous, pas avec quarante-deux chaperons, comme Trudeau, Nixon, Mao, puis toutes les agace-pissette (p. 141).
[Complément du 20 février 2014]
Lisant les Déliaisons de Martin Robitaille (2008), l’Oreille découvre l’existence de «l’agace-chatte» (p. 87).
[Complément du 7 juin 2015]
Agace est surtout utilisé pour caractériser une personne. Plus rarement, on le voit associé à un inanimé : «C’était de nouveau un jour gris, sous une pluie fine, une pluie agace» (la Bête à ma mère, p. 203).
[Complément du 1er septembre 2016]
Que pratique l’agace-pissette ?
[Complément du 23 juin 2017]
Sur son blogue, J’ai rien compris, Sophie Bédard évoque, en bande dessinée, l’agace, la pute, la fille facile et la fille semi-facile. C’est ici.
[Complément du 15 août 2019]
Le Libertin est une pièce de théâtre d’Éric-Emmanuel Schmitt parue en 1997. Plusieurs scènes font dialoguer Denis Diderot et Anna Dorothea Therbouche, «portraitiste et escroc» (p. 9) d’origine «prusso-polonaise» (p. 12). La maîtrise du français de celle-ci est excellente et il lui arrive même de proposer des modifications lexicales de son cru à sa langue d’adoption. Qu’est-ce qu’une pyromane ? «Elle allume des feux qu’elle n’éteint pas. Dans une minute, lorsque vous auriez été fou de désir, elle se serait éclipsée pour une raison ou une autre. Petite vicieuse ! Ce qu’elle aime, c’est donner la fièvre» (p. 116). On parle toujours des mêmes «feux».
[Complément du 23 octobre 2020]
Un lecteur de l’Oreille tendue, cinéphile à ses heures, lui signale l’existence du personnage d’Agathe Pichette dans le film Elvis Gratton II. Miracle à Memphis de Pierre Falardeau (1999). Qu’il en soit remercié.
[Complément du 15 décembre 2022]
Lisant le roman Une femme extraordinaire (2022) de Catherine Éthier, l’Oreille tendue se demande si la «taquine saucisse» (p. 44) ne serait pas proche parente de l’agace.
[Complément du 25 mai 2023]
Elle peut être matière poétique, comme dans le poème «Dernière chose», de Patrice Desbiens (p. [70]) :
un petit vent
agace-pissette
[Complément du 25 octobre 2023]
En 1970, Jean Basile n’avait pas d’état d’âme linguistique : «agace-queue» (p. 13).
Références
Achdé & Lapointe, les Canayens de Monroyal. Saison 1. La ligue des joueurs extraordinaires, Boomerang éditeur jeunesse, 2009, 46 p. Couleur : Mel.
Basile, Jean, les Voyages d’Irkoutsk, Montréal, HMH, 1970, 1969. (La couverture indique Irkoutsk; la page de titre, Irkousz.)
Desbiens, Patrice, Fa que, Montréal, Mains libres, 2023, 69 p. Ill.
Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.
Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.
Éthier, Catherine, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p.
Goudreault, David, la Bête à sa mère, Montréal, Stanké, 2015, 231 p.
Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.
Schmitt, Éric-Emmanuel, le Libertin, Paris, Albin Michel, 1997, 172 p.
Les journaux gratuits distribués dans le métro de Montréal ont causé un problème écologique dès le début de leur distribution : que faire de ce papier quotidiennement abandonné sur place ? Il fallait, et il faut toujours, assurer son recyclage. On a donc installé des bacs à cette fin.
Il restait cependant, et il reste toujours, à inciter les voyageurs à s’en servir. D’où l’injonction suivante :
Ce «Bac moi !» mérite une seconde d’attention.
S’il est vrai que les bacs accueillent toute sorte de choses — des canettes, par exemple, sur cette photo —, c’est bien au journal qu’ils tendent leur bouche gourmande : le point d’exclamation final est fait d’un numéro du journal et, sous l’injonction, on trouve le slogan «Métro. Le plus branché sur le monde.»
En bonne grammaire, un trait d’union entre «Bac» et «moi» aurait été bienvenu, mais voilà surtout un journal qui se met en scène («moi») et qui tutoie ses lecteurs. Cela s’explique en partie parce que nous sommes au Québec, où le tutoiement connaît peu de limites. Cela s’explique peut-être aussi par des raisons orthographiques. Que «Bac» soit considéré comme un verbe, sur ce plan-là, est déjà fort étonnant. Imaginons cependant que les concepteurs de ce message aient voulu utiliser la deuxième personne du pluriel, qu’auraient-ils écrit, attendu que «Bacez moi» n’aurait pas été compréhensible ? «Bacquez moi !» ? «Backez moi !»
Les métropolitains ont au moins échappé à cela.
L’ami Antoine Robitaille se demandait récemment quelle graphie préférer, de plogue ou de plugue. À l’Assemblée nationale du Québec, on a tranché pour le u. Débat ici.
Le mot, lui, ne pose pas de problème : il est d’usage courant.
Il peut désigner la promotion (ploguer un spectacle), voire l’autopromotion (autoplogue). L’expression «Pure plogue promotionnelle» (le Devoir, 10 septembre 2001) est donc pléonastique.
Il désigne aussi une prise — de courant, pour les écouteurs, etc. Exemple (ça ne s’invente pas) : «Ploguez vos écouteurs» (vol Air Canada AC 945, Orlando => Montréal, 11 août 2010).
Puisqu’on peut ploguer, on peut aussi déploguer, voire tirer la plogue, au sens littéral comme au figuré. L’expression signifie alors mettre fin à : «Autant tirer la plogue moi-même avant que les gens me déploguent» (la Presse, 20 mars 1999).
On l’aura compris : quoi qu’en pense l’Assemblée nationale, l’Oreille tendue préfère la graphie en o, histoire d’être fidèle à la prononciation du mot et de ses dérivés.
[Complément du 16 juillet 2025]
En premier écran de la Presse+ du jour : «Ce matin, j’aurais tiré la plug tellement j’étais découragé.» Plug, donc.
Vous faites des photocopies ? Chez l’Oncle Sam, vous pouvez utiliser une marque de commerce devenue verbe : «to xerox».
En fait, non : vous ne devriez pas pouvoir; la société Xerox n’aime pas ça. Elle va même jusqu’à se payer des publicités pour vous demander de ne pas le faire. C’est Erin McKean qui rapporte la chose dans sa chronique de cette semaine du Boston Globe :
Xerox occasionally runs ads in major magazines (most recently in the Hollywood Reporter this past May) reminding people that Xerox is still a trademark, and asking writers not to use Xerox the trademark as a verb.
C’est clair : touche pas à mon verbe.