Humour ?

Le festival Juste pour rire sévit actuellement à Montréal. Parmi les publicités de ses commanditaires, celle-ci, de la bière Labatt Bleue, pour sa zone BBQ : «Tu vas bouffer de rire. Viens-t’en à la Place Labatt Bleue.»

Deux choses à noter.

Encore une fois, l’inévitable tutoiement.

Surtout, cette substitution déconcertante — bouffer au lieu de pouffer —, qui rend le slogan difficile à interpréter, du moins à la première lecture. Pour qui devrait logiquement viser l’efficacité, c’est un drôle de choix.

Les enfants de la pub

Un lecteur du Devoir s’insurge contre l’emploi généralisé du tutoiement dans les publicités pour le nouveau vélo en libre-service de Montréal, le Bixi : «Change ta ville», «Pédale avec ta tête», «Change l’indice de smog», etc. Il considère que cela infantilise les utilisateurs potentiels de ces bicyclettes (14 juin 2009, p. C4). Il a raison.

En revanche, la publicité de l’Insectarium de Montréal, elle, a recours à juste titre au tutoiement : «Viens jouer dehors. Nouvel espace de découvertes. La Cour aux insectes.» Pourquoi ? Parce qu’elle s’adresse, elle, vraiment à des enfants, ceux qui iront courir dans la nouvelle aire de jeu du Jardin botanique.

Il est rassurant de savoir que quelqu’un, dans l’administration municipale, peut distinguer les vrais enfants des autres.

La ville, c’est urbain

L’urbain a la cote.

Un spa, c’est bien; un «spa urbain», c’est mieux. Vous songez à déménager à la campagne ? «Optez pour un naturel urbain» (Salaberry-de-Valleyfield, juillet 2005).

Mais il y a plus fort : le résolument urbain.

À Québec — qui, jusqu’à preuve du contraire, est une ville —, on peut fréquenter le Urba Resto Lounge. C’est, dit le Devoir de ce samedi, «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (3 juillet 2009, p. B7). Qu’y mange-t-on ? Une cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale». Qu’y écoute-t-on ? De la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine».

Peut-on être plus urbain que cela ? C’est résolument difficile à imaginer.

 

[Complément du 11 juillet 2009]

Déambulant hier soir rue Saint-Joseph, un lecteur québecquois de l’Oreille tendue est tombé sur la publicité suivante : «Votre boutique de chaussures urbaines bientôt ici». La ville, à Québec, ça marche.

 

[Complément du 18 juillet 2009]

Montréal n’est évidemment pas à l’abri de cette mode. Plaza Alexis-Nihon, au centre-ville, hier : «Totalement urbain.»

 

[Complément du 10 juin 2018]

«Hono Izakaya, un pub urbain à la japonaise», titre le Devoir de la fin de semaine. Dans l’article ainsi coiffé, on lit notamment ceci : «L’ambiance étonne. Pour ce resto d’une trentaine de places, les propriétaires ont voulu créer une ambiance urbaine et décontractée, voire minimaliste, avec un décor où dominent les planches nues, le mur de briques laissant deviner le tracé de l’ancien escalier et, bien sûr, l’espace bar où s’attablent amis et collègues le temps d’un verre ou deux.» Ce «pub urbain» à l’«ambiance urbaine et décontractée» se trouve dans la Vieille capitale.

Soyons rassurés : Québec reste une ville.

Une fête nationale d’ici

En ce jour de la Fête nationale du Québec, deux mots.

Un néologisme

Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, croit qu’il y a, chez les nationalistes francophones, des intolérants. (Profonde découverte.) Comment les appeler ? Sur le modèle des rednecks, il propose cous bleus. (Pourquoi bleus, demanderont les non-autochtones ? Parce que le bleu est, avec le blanc, la couleur officielle du gouvernement du Québec.) On permettra à l’Oreille tendue un pronostic : dans quelques mois, on ne souviendra guère de l’expression, car bien trop artificiellement construite et bien trop proche de col bleu.

Le d’ici

En 2004, au moment de faire paraître le Dictionnaire québécois instantané (2004), l’Oreille était frappée par le succès du d’ici. Cinq ans plus tard, il ne se dément pas.

Exemples — de la publicité, des journaux.

Le premier est (quasi) pléonastique : «Le Québec de demain : portraits de la relève d’ici» (la Presse, 18 juin, p. A22, publicité). Autrement dit : ici, la relève vient d’ici.

Le même jour, dans le même journal, une lettre ouverte dénonce la position de ceux qui croient inacceptable, pour ne pas dire pire, la présence d’artistes chantant en anglais à un spectacle tenu dans le cadre des festivités de la Fête nationale : «De précieux alliés. Toutes langues confondues, les artistes d’ici font partie intégrante de la culture québécoise et de notre identité nationale» (18 juin, p. A25). D’ici a le désavantage (l’avantage ?) de brouiller les critères d’identité («langues confondues», «d’ici», «culture québécoise», «identité nationale» : ça tient comment, tout ça ?). Il a l’avantage (le désavantage ?) de permettre de parler des anglophones sans les nommer. (L’article est moins pudique.)

Une publicité de l’Université McGill, en 2007, faisait preuve de la même discrétion : «Une université d’ici, d’envergure mondiale !»

La palme revient cependant à un article de la Presse du 20 juin (p. A24) : «Des gens d’avant-goût. Portrait de producteurs d’ici» (en surtitre); «Les microbrasseries pensent québécois. Des ingrédients d’ici pour la bière d’ici» (en titre). On a compris, merci.

 

[Complément du 30 mai 2012]

Il y aurait dorénavant des cous rouges au Québec. Du moins, ils ont leur site.

 

[Complément du 20 décembre 2012]

Vue hier, dans le métro de Montréal, cette publicité :

Une campagne publicitaire dans le métro de Montréal

Deux questions. La prostate d’ici est-elle différente de celle de là ? Est-il bien recommandé de se représenter une prostate soutenue ?

 

[Complément du 12 août 2015]

Quels auteurs encourager aujourd’hui ?

Le livre d’ici

Cela va pourtant de soi : «Pleins feux sur les créateurs d’ici» (le Devoir, 7 février 2012, p. A1); «Les créateurs d’ici en vedette» (le Devoir, 6 février 2012, p. B8).

(Merci à @NieDesrochers pour la photo.)

 

[Complément du 16 février 2016]

Même le pétrole pourrait être local. Le d’ici lui conférerait-il une plus grande acceptabilité sociale ?

«Le pétrole d’ici»

 

[Complément du 18 septembre 2017]

Sur Twitter, @machinaecrire démontrait récemment que le succès du d’ici ne se dément pas.

«Les “d’ici” d’ici», Nicolas Guay, Twitter, 9 septembre 2017

 

[Complément du 11 janvier 2020]

Toujours sur Twitter, une autre salve de @machinaecrire (le Devoir, 11-12 janvier 2020).

«D’ici», le Devoir, 11-12 janvier 2020

 

[Complément du 11 septembre 2020]

Il y a deux universités anglophones à Montréal.

McGill est «Une université d’ici, d’envergure mondiale !»

Concordia vous offre «l’expertise d’ici».

Université Concordia, Montréal, publicité, 2020

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Oui 001

Il y a toutes sortes de façons de dire oui au Québec. La compagnie Coke l’a bien compris. Sur les autobus de Montréal, on voit actuellement une publicité annonçant le Coke Zéro : «Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» Ce texte est suivi d’un astérisque, et l’astérisque introduit une note, qui tient en un mot : «sérieux». C’est un oui meilleur qu’un oui. Sérieux.

 

[Complément du 18 juin 2019]

Exemple essayistique, dans les Retranchées (2019) de Fanny Britt : «Sérieux, c’est de la pure bombe d’intelligence et de cœur» (p. 15 n. 3).

Exemples dialogués dans le même ouvrage : «Sérieux, j’ai un peu hâte qu’on arrête de valoriser autant la conscience […]» (p. 45); «Non mais sérieux, c’est tellement apaisant de faire la chose morale» (p. 45).

On le voit : au-delà de sa valeur affirmative (oui, c’est vrai), sérieux a surtout une valeur intensive (oui oui oui, je vous assure, c’est vrai).

 

Référence

Britt, Fanny, les Retranchées. Échecs et ravissement de la famille, en milieu de course, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 15, 2019, 97 p.