
L’Oreille tendue — c’est une de ses nombreuses batailles perdues d’avance — n’aime pas l’emploi du verbe quitter sans complément. C’est comme ça et ça dure depuis sa naissance en 2009.
Elle s’en plaignait déjà, par exemple, le 7 juillet 2009. François Bon lui avait alors signalé l’existence de «on trace», en France, dans un sens similaire.
Depuis, elle a repéré quelques occurrences de ce verbe.
«— Je croyais que tu avais tracé, dit Mikael.
— J’ai fait demi-tour à Uppsala» (Millénium 1, p. 497).
«Un expert trace à Samothrace […]» (Salut, mon pope !, p. 22).
Nouveau repérage dans le prodigieux Enfer de Dante mis en vulgaire parlure d’Antoine Brea :
«après nous ils vont tracer plus féroces
qu’un dogue ayant le garenne aux babines…» (p. 209)
La chasse continue.
[Complément du 24 septembre 2021]
L’Oreille, lisant le «Glossaire» du livre d’Antoine Brea, trouve cette définition de tracer : «Ne pas s’arrêter, marcher vite, filer» (p. 387).
[Complément du 20 octobre 2025]
On trouve le verbe dans ce paragraphe angoissant tiré du roman Autoroute (2025) de Sébastien Bailly :
Est-ce qu’un service est chargé de s’assurer que tous les camions qui rentrent sur l’autoroute en ressortent bien ? Comment peut-on être sûr qu’aucun n’est avalé par l’asphalte ? Il faudrait noter aux entrées de l’autoroute les plaques d’immatriculation des camions et, à la sortie, cocher devant : est bien ressorti. Est-ce qu’on sait combien l’autoroute dévore de camions chaque année et comment elle les digère ? Tu as vu ceux arrêtés sur les côtés, comme endormis sur des aires vides de tout commerce où il semble n’y avoir aucune raison de stationner. Depuis combien de temps sont-ils là ? Combien sont abandonnés par leurs chauffeurs qui ont tracé à travers bois, à travers champs, pour échapper au sort du véhicule qui se noie lentement dans l’humus de bitume ? Combien de camions se sont fondus dans l’autoroute sans laisser la moindre trace de leur cargaison, du conteneur attendu à l’autre bout du monde, ni de la cabine soigneusement décorée, avec ses photos de pin-up ou de famille, ses guirlandes de velours parme et son chiot bleu à la tête pantelant au rythme des virages ? (p. 114-115)
Références
Bailly, Sébastien, Autoroute, Paris, Le Tripode, 2025, 175 p.
Brea, Antoine, l’Enfer de Dante mis en vulgaire parlure. Poème, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 160, 2021, 390 p.
Larsson, Stieg, les Hommes qui n’aimaient pas les femmes. Millénium 1, Arles, Actes Sud, coll. «Actes noirs», 2006, 574 p. Traduction de Lena Grumbach et Marc de Gouvenain. Édition originale : 2005.
San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.