Mémoire(s) de puck

Jay Baruchel, Born into It, 2018, couverture

«This is ours; all are welcome, but this is ours.»

Il y a plusieurs livres dans Born into It. A Fan’s Life de Jay Baruchel (2018).

Il y a, en effet, la vie de Jay Baruchel, le fan des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Élevé à Montréal, revenu dans cette ville après quelques années à Oshawa (Ontario), vivant aujourd’hui à Toronto, le comédien, scénariste et réalisateur est, tel Obélix, tombé dans la potion magique quand il était petit : il ne peut pas s’imaginer autrement qu’en partisan de cette équipe, lui qui ne pratique aucun sport. Faisant le récit de sa vie (il est né en 1982), il témoigne régulièrement de son amour pour sa mère. Avec son père (criminel, alcoolique, drogué, mort d’une overdose à 49 ans), c’est plus compliqué. Il ne dore pas la pilule : «a mess like I am» (p. 174).

Il y a de longs passages sur le hockey comme religion : «My father was Jewish, my mother, Catholic, and I was raised a Habs fan» (p. 15-16). Le théologien Olivier Bauer, le spécialiste par excellence de la dimension religieuse du hockey montréalais, trouverait à boire et à manger dans Born into It.

Il y a une déclaration d’amour à Montréal, malgré tous ses défauts. C’est un anglophone dont l’univers culturel est anglo-saxon qui parle, mais il fait montre d’ouverture envers la nature particulière de cette ville. Ça ne fait pas son affaire, mais il comprend pourquoi l’entraîneur des Canadiens doit parler français (p. 112). Il revient sans cesse sur le référendum de 1995 : il était du camp du Non, ce qui ne le pousse pas pour autant à diaboliser ses adversaires. Il reconnaît sans mal le caractère «distinct» du Québec (p. 114).

Il y a des textes de fiction : de faux courriels adressés aux équipes honnies (les Bruins de Boston, les Maple Leafs de Toronto, les Nordiques de Québec) et une longue nouvelle, «Fans», assez réussie, mettant en scène les deux interlocuteurs d’une tribune téléphonique de sport, qui discutent, entre autres sujet, des joueurs David Desharnais et Scott Gomez («Scott Gomez is a strong name», p. 136).

Il y un récit de l’intérieur de la création du film Goon (2011) : Baruchel a coscénarisé le film, avant de coscénariser et de réaliser sa suite, Goon. Last of the Enforcers (2017); de plus, il a joué dans les deux films. Le chapitre «On Fighting» est à la fois ce récit et une réflexion sur les raisons qui font que Baruchel aime les bagarres au hockey. (L’Oreille tendue n’est pas d’accord, qui souhaite depuis longtemps que les bagarres soient abolies au hockey.) Il prend acte de leur disparition, mais il les regrette : «Hockey fighting is dead, and its place is in history» (p. 180).

Il y une (interminable) description d’une des plus tristement célèbres bagarres du hockey moderne, «La bataille du Vendredi saint», entre les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec, le 20 avril 1984.

Bref, c’est un livre composite.

Qu’en est-il des positions de Baruchel sur le hockey ? Il n’aime ni le plafond salarial que toutes les équipes de la Ligue nationale de hockey doivent respecter (p. 214-215), ni le président de la LNH, Gary Bettman, à cause de sa volonté d’exporter le hockey dans le désert états-unien : «Gary Bettman loves sand» (p. 217). Il ne manque pas une occasion de citer le nom du gardien de but Patrick Roy et il a pleuré l’échange de P.K. Subban à l’équipe de Nashville («my whole world threw up», p. 106). S’agissant des Canadiens de Montréal — et c’est peut-être le point de vue le plus original du livre —, Baruchel est dans une position difficile : il idolâtre une équipe perdante. Elle a certes eu ses heures de gloire, mais, depuis 1986, elle n’a remporté le championnat de la LNH que deux fois, elle qui l’a dominée pendant plus de deux décennies auparavant. La mémoire des triomphes du passé est dure à porter : «I think we remember too much, and it’s driving us mad» (p. 240).

Être fan, cette activité compliquée, belle et laide à la fois, ne va pas de soi : «This is fandom, in all of its complicated, beautiful ugliness» (p. 241), affirme l’auteur à la fin de son livre. Fan, il l’est et le reste.

P.-S.—Oui, le livre est divisé en trois périodes, mais fortement déséquilibrées, l’essentiel du livre se trouvant dans la deuxième.

P.-P.-S.—Le clin d’œil de Patrick Roy en 1993 n’était pas destiné à Wayne Gretzky (p. 61), mais à Tomas Sandström.

 

Références

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life, Toronto, Harper Avenue, 2018, 249 p.

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2008, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Autopromotion 388

«Hostie», publicité du diocèse de Montréal, 2011

Un segment de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, qu’anime Marie-Louise Arsenault à la radio de Radio-Canada, est consacré à la définition de mots beaucoup présents dans l’espace public.

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion d’y réfléchir à débat, à expert, à authenticité, à porte-parole, à transparence, à mononcle et à touriste.

Cet après-midi, entre 14 h et 15 h, elle abordera le mot blasphème.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

L’étude du Pew Research Center sur l’état du blasphème dans le monde en 2014 se trouve .

La référence au livre d’Alain Cabantous est la suivante :

Cabantous, Alain, Histoire du blasphème en Occident. XVIe-XIXe siècle, Paris, Albin Michel, coll. «Bibliothèque de l’évolution de l’humanité», 2015, 352 p. Édition originale : 1998.

Jacques Laurin (1931-2018)

Roland Jacob et Jacques Laurin, Ma grammaire, éd. de 1998, p. 188-189

«Linguiste, professeur, éditeur, chroniqueur à la radio et à la télévision, conférencier et auteur de nombreux ouvrages» («Avis de décès», le Devoir, 20-21 octobre 2018, p. B7), Jacques Laurin est mort le 27 septembre.

L’Oreille tendue a souvenir, jeune, de l’avoir entendu dans les médias.

Elle cite volontiers sa Grammaire de 1994, dans laquelle Maurice Richard, le célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, sert d’exemple pour expliquer «Le déterminant numéral» (éd. de 1998, p. 188-189). On y apprend notamment que «Le Gentilhomme du hockey» ne cherchait «jamais» la bagarre. (Ça se discute.)

Troisième souvenir : lors d’une table ronde tenue le 8 octobre 2005, sous la gouverne de Noëlle Guilloton, à la librairie Le Fureteur de Saint-Lambert, Jacques Laurin et Guy Bertrand, le premier conseiller linguistique de Radio-Canada, avaient lu, sans y être préparés, un extrait dialogué du Dictionnaire québécois instantané, que l’Oreille avait (co)publié l’année précédente. Cela était inattendu et savoureux.

On savait Jacques Laurin chatouilleux en matière de grammaire. Il aurait probablement été marri de lire la phrase suivante dans l’«Avis de décès» que publiait le Devoir la fin de semaine dernière : «Le grand public a profité de ses conseils à partir des années 70 grâce aux chroniques sur la langue française qu’il a tenu à la radio et à la télévision […].» L’auteur d’Améliorez votre français et de Maîtrisez la conjugaison aurait sûrement déploré l’absence d’accord du participe passé du verbe tenir (il aurait fallu «tenues»). Cela lui aura été épargné.

 

Références

Jacob, Roland et Jacques Laurin, Ma grammaire, Montréal, Éditions de l’Homme, coll. «Réussite», 1998, xiii/434 p. Ill. Édition originale : 1994.

Laurin, Jacques, Améliorez votre français, Montréal, Éditions de l’Homme, coll. «Le bon mot», 2011, 92 p.

Laurin, Jacques, Maîtrisez la conjugaison, Montréal, Éditions de l’Homme, coll. «Le bon mot», 2011, 112 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Accouplements 121

Pierre Lemaitre, Couleurs de l’incendie, 2018, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lemaitre, Pierre, Couleurs de l’incendie. Roman, Paris, Albin Michel, 2018. Édition numérique.

«Il avait deux filles montées en graine, aux jambes maigres, aux genoux cagneux et à l’acné épanouie, qui pouffaient de rire en permanence, ce qui les contraignait à masquer avec la main la denture épouvantable qui faisait le désespoir de leurs parents; on aurait dit qu’à leur naissance, un dieu démoralisé avait balancé à chacune une poignée de dents dans la bouche, les dentistes étaient consternés; sauf à tout éradiquer et à leur poser un râtelier dès la fin de leur croissance, elles étaient promises à vivre derrière un éventail toute leur vie.»

Girard, Jean-Sébastien, émission la Soirée est encore jeune, radio de Radio-Canada, 8 septembre 2018, 11e minute.

«Tous les deux, on a une dentition qu’on pourrait qualifier de créative. Dans le monde de la santé dentaire, on appelle ça une dentition indépendante […] parce que chaque dent se crisse de l’autre.»

Autopromotion 377

Voltaire, buste

Entre 14 h et 15 h, l’Oreille tendue sera à la radio de Radio-Canada, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, au micro de Marie-Louise Arsenault, pour parler de Voltaire, en compagnie d’Ethel Groffier.

Il devrait être question de cette entrée de blogue (sur l’utilisation du nom de Voltaire au moment des attentats de Charlie hebdo), de cette collection de Curiosités voltairiennes et de cette vidéo.

L’entrevue a lieu dans le cadre de la présentation, au Théâtre du Nouveau Monde, d’une adaptation du conte Candide par Pierre Yves Lemieux.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.