Craques foisonnantes

La Presse+, 29 septembre 2015

En français québécois, la craque est multiple, par proximité avec l’anglais crack.

Au sens de fissure, d’espace entre deux choses, de fente, de crevasse, elle apparaît dans les endroits les plus divers.

Le construit : «les craques des trottoirs» (Comme des sentinelles, p. 58).

L’anatomie humaine : «À la radio, l’invité de Christiane Charette parle d’“un décolleté de fesses”. Joli nom pour une craque de plombier. ;-)» (@Hortensia68, Twitter, 28 janvier 2010). N.B. Ce qui s’applique aux fesses, fussent-elles de plombier, s’applique aussi aux seins, voire au sexe féminin.

L’enseignement : «Son système, c’est un peu celui qu’exprime Cohen dans ce qui est en passe de devenir un cliché tant on le rabâche : there is a crack in everything, that’s how the light gets in… Catherine enseigne dans les craques du quotidien, de sa routine, dans les craques des jeux des enfants. Bref, son école va de craque en craque» (la Presse, 15 septembre 2012, p. A5).

C’est en ce sens que craque apparaît dans l’expression tomber dans une craque, qui s’utilise dans les milieux de travail pour dire que quelque chose, qui aurait dû être fait, ne l’a pas été : «au bureau, on utilise beaucoup “c’est tombé dans une craque”» (@david_turgeon).

L’adjectif né de cette craque est, évidemment, craqué, et le verbe, craquer.

Si le français de référence connaît la craque au sens de «mensonge par exagération. => hâblerie. Il nous a raconté des craques» (le Petit Robert, éd. numérique de 2014), celui du Québec considère plus volontiers les craques comme des vannes : «Remarque ou allusion désobligeante à l’adresse de qqn. => 2. pique. Lancer, envoyer, balancer une vanne, des vannes à qqn» (bis). On peut donc lâcher une craque comme on lance une vanne.

Celui qui n’a pas toute sa tête est un crackpot, voire un craquepo(t)te : «Et quelques craquepotes comme vous ont trouvé que ça suffisait pour venir jouer les héros en jurant qu’ils sont les assassins» (J’haïs le hockey, p. 88). Ces non-coupables sont manifestement fêlés.

Merci à @revi_redac pour l’illustration, tirée de la Presse+ du 29 septembre 2015.

 

Références

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 2011, 111 p.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Autopromotion 291

Mediapart, 8 avril 2017, manchetteMediapart a récemment envoyé à Montréal le journaliste Antoine Perraud pour essayer de comprendre l’«ontologie du “justintrudeauïsme”». Son article vient de paraître. On peut y lire quelques propos de l’Oreille tendue sur la langue du premier ministre du Canada. (Ce n’est pas la première fois qu’elle se livre à l’exercice.)

Pas de «gentleman trappeur» ici, ni de confusions comme celles de la journaliste française (fictive) Sandrine Rambalde-Cochet de l’émission À la semaine prochaine : Antoine Perraud a bien fait ses devoirs.

P.-S. — On a longtemps pu entendre Antoine Perraud à France Culture. L’Oreille pleure encore la disparition de son émission Tire ta langue.

Le pogo de Manon Massé

Boîte de pogos

Le gouvernement du Québec déposait hier son budget. Manon Massé, la députée de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques pour Québec solidaire, n’a pas été convaincue (euphémisme) par ce qu’elle a découvert, d’où cette déclaration :

Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte pour comprendre qu’après avoir mis le feu dans la bâtisse, ce n’est pas un coup de peinture et des nouveaux rideaux qui vont changer les choses.

«Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte» ? Traduction libre : pas besoin d’être spécialement allumé. (Pogo ? Par ici.) Synonyme (ancien) : ça prend pas la tête à Papineau.

La langue de Donald Trump regorge d’expressions de même nature (source) :

Not the sharpest knife in the drawer.

Got into the gene pool while the lifeguard wasn’t watching.

A room temperature IQ.

Got a full 6-pack, but lacks the plastic thingy to hold it all together.

A gross ignoramus — 144 times worse than an ordinary ignoramus.

A photographic memory but with the lens cover glued on.

A prime candidate for natural deselection.

Bright as Alaska in December.

One-celled organisms out-score him in IQ tests.

Donated his body to science before he was done using it.

Fell out of the family tree.

Gates are down, the lights are flashing, but the train isn’t coming.

Has two brains; one is lost and the other is out looking for it.

He’s so dense, light bends around him.

If brains were taxed, he’d get a rebate.

If he were any more stupid, he’d have to be watered twice a week.

If you give him a penny for his thoughts, you’d get change.

If you stand close enough to him, you can hear the ocean.

It’s hard to believe that he beat out 1,000,000 other sperm.

One neuron short of a synapse.

Some drink from the fountain of knowledge; he only gargled.

Takes him 1 1/2 hours to watch 60 minutes.

Was left on the Tilt-A-Whirl a bit too long as a baby.

Wheel is turning, but the hamster is dead.

Variante : «No one is asking him to bring the potato salad to the Mensa picnic» (merci à @catheoret).

Le pogo dégelé est en bonne compagnie.

 

[Complément du jour]

@maxdenoncourt (merci) indique à l’Oreille tendue deux autres occurrences de l’expression, l’une dans la Presse+, l’autre sur Twitter, les deux datant de l’automne 2016.

 

[Complément du 2 avril 2017]

Variation radiophonique, entendue tout à l’heure à l’émission La soirée est (encore) jeune, à Radio-Canada, dans la bouche de Jean-Sébastien Girard : «Pas besoin d’être le condom le plus lubrifié dans la boîte.»

 

[Complément du 10 septembre 2019]

Emploi romanesque, dans Querelle de Roberval, de Kevin Lambert, en 2018 : «C’est pas le pogo le plus dégelé de la boîte, la Kathleen, Christian le dit quand elle est pas là, il la connaît depuis la maternelle, elle vient de Mashteuiatsh elle aussi : quand elle se met à boquer sur quelque chose, il y a rien à faire» (p. 28).

 

[Complément du 24 octobre 2019]

Le pogo peu dégelé n’est pas très brillant, d’où la variation suivante, tirée de la Presse+ du 22 octobre : «Disons que l’ex bellâtre Kevin Fontaine, ruiné et déprimé sexuellement, n’est pas le tube le plus fluorescent du lit de bronzage.»

 

[Complément du 28 novembre 2020]

Sur le plan politique, cela peut donner «Les crayons les moins aiguisés de l’isoloir», chez les excellents David Robichaud et Patrick Turmel (2020, p. 37).

 

Références

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Robichaud, David et Patrick Turmel, Prendre part. Considérations sur la démocratie et ses fins, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 18, 2020, 103 p. Ill.

Entrée à saveur de lundi matin

«À saveur vintage», titre la Presse+ le 15 octobre 2016

À l’occasion (2009, 2010, 2011, 2013, 2014, 2015), l’Oreille tendue pratique un tri sélectif dans sa corbeille de à saveur, cette calamité québécoise.

L’expression peut être suivie par un nom.

«Moreau fait une offre finale à saveur d’ultimatum» (la Presse+, 24 février 2017).

«Kim Kardashian déclenche une controverse à saveur de médicament» (Radio-Canada, 7 août 2015).

«Une passe à saveur de jeu au sol» (Pierre Vercheval, Réseau des sports [RDS], 27 août 2015).

«Synode sur la famille : un revers à saveur de victoire pour le pape François» (le Devoir, 20 octobre 2014, p. A1).

«Une discussion à saveur Big Brother» (Marie-France Bazzo, Télé-Québec, 20 février 2014).

Le plus souvent, un adjectif fait l’affaire.

«Coup de circuit à saveur québécoise» (la Presse+, 17 octobre 2016).

«Une aventure fantastique à saveur québécoise par un auteur d’ici» (@QuebecBD).

«Environnement. Un début de mandat à saveur internationale» (la Presse+, 3 novembre 2015).

Un carnet Web «à saveur langagière» (le Devoir, 7 décembre 2003).

«une télé à saveur locale» (la Presse, 6 septembre 2013, cahier Affaires, p. 6).

Les épithètes en -ique sont particulièrement prisées.

«essais à saveur érotique» (le Devoir, 3-4 septembre 2016, p. F8).

«une fiction biographique à saveur psychanalytique» (le Devoir, 23-24 janvier 2016, p. F4).

«Mais de longs, longs textes, à saveur sociologique, ethnologique et journalistique» (la Presse, 5 décembre 2011, cahier Arts, p. 6).

«ses billets ironiques à saveur sociologique» (le Devoir, 19 août 2011, p. B10).

Stephen Harper en Colombie : «une visite à saveur économique» (Radio-Canada, 10 août 2011).

Ce qui est le plus souvent évoqué ? L’échéance électorale.

«Des millions à saveur électorale» (le Devoir, 28 juillet 2015, p. A2).

«Publicité à saveur électorale pour l’ex-ministre Penashue» (la Presse, 19 mars 2013, p. A14).

«Budget à saveur électorale à Washington» (la Presse, 13 février 2012, cahier Affaires, p. 4).

«Remaniement mineur à saveur électorale» (la Presse, 5 janvier 2011, p. A1).

«Déjà des pubs à saveur électorale» (la Presse, 23 mars 2011, p. A5).

À votre service.