L’Église se transforme

Pour des raisons intergénérationnelles, quelques fois l’an, l’Oreille tendue est tenue de s’exposer à la liturgie catholique. Cette année, c’était le 24 décembre, à la messe de minuit, celle de 21 h, à l’Oratoire Saint-Joseph, à Montréal.

Un des officiants souhaita la bienvenue aux (in)fidèles, ceux qui se trouvaient dans l’église, mais aussi «aux auditeurs du réseau Cogeco». La cérémonie était en effet radiodiffusée.

Pendant des années, c’est CKAC qui était le diffuseur ecclésiastique. Cela a donc changé. L’Église ne cesse de se transformer.

Qui oserait le lui reprocher ?

L’Oreille sort du placard (à musique)

Vous voulez attendrir l’Oreille ? Qu’elle ait le mo(t)ton ? C’est facile.

Vous lui passez la scène de «La Marseillaise» dans Casablanca, le film de 1942 de Michael Curtiz.

Vous lui faites entendre «It’s Only a Paper Moon» dans l’interprétation d’Ella Fitzgerald (1945).

Vous mettez dans ses balados celle du 23 novembre 2013 de l’émission de radio The Vinyl Cafe, «Christmas Medleys». (Si si : c’est vrai aussi avec de la musique de Noël.)

Vous lui demandez d’assister à un concert du chœur de son fils aîné.

Cela marchera à tous les coups : pour elle, il n’est rien de tel, musicalement, que l’harmonie des voix. Elle ne saurait expliquer pourquoi.

 

[Complément du 21 octobre 2017]

L’Oreille a assisté tout à l’heure à une des dernières représentations de la production montréalaise de Demain matin, tout le monde m’attend, la comédie musicale de François Dompierre (musique) et Michel Tremblay (texte), dans une mise en scène de René Richard Cyr. Rien à faire : dans un des premiers numéros collectifs, elle a été émue, sans que le sujet abordé ait été particulièrement dramatique. Ça doit être physiologique.

 

[Complément du 11 mars 2018]

Une autre occurrence ? Devant l’installation vidéo multiécran I’m Your Man (A Portrait of Leonard Cohen) de l’Allemande Candice Breitz (2017), qu’on peut voir au Musée d’art contemporain de Montréal dans le cadre de l’exposition consacrée à Cohen. Dix-huit hommes, de toutes conditions, chantent, a cappella, du Cohen (I’m Your Man, 1988). On marche devant leur image. C’est magnifique.

 

[Complément du 12 mars 2024]

Hier soir, à la finale de la sixième édition du concours d’éloquence Délie ta langue, rebelote en découvrant Édelène Fitzgerald et son scat (entre autres belles choses).

 

La langue de Denis Coderre

L’Oreille tendue est épistologue à ses heures. S’intéressant à la lettre, elle a porté attention à la décision récente de Postes Canada de cesser, d’ici quelques années, la livraison à domicile du courrier.

Si ses oreilles ne la trompent pas, elle a entendu son (!) maire, Denis Coderre, déplorer cette décision à la radio : «Ça m’écœure», «C’est dégueulasse», «Les maudites boîtes, ousqu’i vont les mettre ?».

Quelqu’un pourrait-il expliquer au premier magistrat montréalais qu’il existe une telle chose que les niveaux de langue ? Qu’on ne parle pas de la même façon dans les médias et à la taverne ?

Ce serait probablement peine perdue, mais on peut toujours rêver.

Longue citation chorale du samedi matin

Hommage à la langue française (Chœur parlé), 1937, couverture

En 1937, le père Laurent Tremblay, o.m.i., fait paraître à Hull (Québec), à l’enseigne du Comité central des Ligues de retraitants, une brochure de vingt pages, suivies de plusieurs pages de publicité, Hommage à la langue française (Chœur parlé). Du XVIe au XXe siècle, l’auteur brosse à grands traits l’histoire du peuple né de la «semence immortelle» jetée par la France en Amérique.

Les dernières pages (p. 18-20) mettent en scène la langue française.

«LE DISEUR :—Que voulez-vous donc ?

LES MUSES :—Que voulez-vous donc ?

TOUS :—Nous voulons NOTRE LANGUE ! (Archi-terrible)

(La Langue Française apparaît en Reine richement parée.
Pages. Décors. Féeries. Rien d’efféminé. Sur elle, l’inscrip-
tion “JE ME SOUVIENS”.)

LA LANGUE FRANÇAISE :—Me voici.

(Coup de théâtre, déplacement général. L’orchestre ac-
compagne bruyamment comme pour une présentation d’armes.)

TOUS :—Vive la Langue Française !

LE DISEUR :—Elle règne depuis cinq cents ans sur un trône de gloire et de fierté.

LES MUSES :—Toujours jeune, depuis le temps des Troubadours et des Trouvères.

TOUS :—Toujours au service des grandes causes.

LE DISEUR :—Illustrée par des grands génies.

LA LANGUE :—(Posément et fermement, avec beaucoup de noblesse) Ma gloire principale est d’avoir servi la Foi.

LES MUSES :—La vérité.

LE PRÊTRE :—L’Église.

TOUS :—La civilisation.

LA LANGUE :—Dieu m’avait beaucoup donné. Je suis née sur les lèvres de la Fille Aînée de l’Église. J’ai beaucoup reçu.

LE DISEUR :—Et beaucoup rendu.

LA LANGUE :—Je veux donner encore ! c’est pourquoi je suis restée jeune.

LES MUSES :—Féconde.

LE DISEUR :—Vénérée.

TOUS :—Bien-aimée.

LA LANGUE :—(Autoritaire) Et respectée !… Ce tribut est mon droit. Cet hommage, je le revendique, je l’impose, je le prescris, je l’ordonne.

LES MUSES :—En Reine ?

LA LANGUE :—En Mère.

TOUS :—Tu l’auras. (En crescendo, comme plus haut pour le “non”)

LA LANGUE :—Je veux ma vraie place dans les cœurs.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’école.

LES ENFANTS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au foyer.

LES FEMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À l’église.

LE PRÊTRE :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au comptoir.

LES HOMMES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Dans la rue.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—À la radio.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au téléphone.

LES FILLES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au Parlement.

LE DISEUR :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Au théâtre.

LES MUSES :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Sur les enseignes, sur les monnaies, sur les timbres et les imprimés officiels.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Partout.

TOUS :—Tu l’auras.

LA LANGUE :—Je veux que l’on me parle parfaitement.

TOUS :—Nous le ferons.

LA LANGUE :—Que l’on m’écrive correctement.

TOUS :—Nous le jurons.

LA LANGUE :—Souvenez-vous que je suis claire et qu’entre mille mots je choisis le terme propre.

TOUS :—Nous nous corrigerons.

LA LANGUE :—Il suffit d’un mot louche et rustaud, d’un anglicisme vilain pour me défigurer.

TOUS :—Nous nous surveillerons.

LA LANGUE :—Gardez-vous de bannir votre parlure ancienne, et de mépriser les vieux mots apportés de France. J’y tiens comme une grand’mère tient à ses gages de fiançailles, comme une reine tient à ses premiers bijoux.

TOUS :—Nous garderons notre ancienne parlure. Nous conserverons et ressusciterons nos vieux mots.

LA LANGUE :—Chérissez, aimez, défendez, et gardez votre langue française, c’est elle qui vous gardera.

(Enveloppée de nuages, la Langue Française s’élève, et
disparaît comme le Sauveur au jour de l’Ascension. Tous, les
yeux fixés sur elle, lui envoient de la main un amoureux baiser.
La mélodie monte, puis s’éteint. Un temps de religieux silence.)

TOUS :—(Bien scandé avec émotion et résolution) Aimons, chérissons, défendons, gardons notre Langue Française, c’est elle qui nous gardera.

(L’orchestre reprend triomphalement les cinq dernières mesures
du refrain de “JADIS LA FRANCE SUR NOS BORDS”. En-
suite, les figurants et toute l’assistance chantent un vibrant “Ô
CANADA”.

—RIDEAU—»

 

[Complément du 16 septembre 2014]

L’Oreille tendue vient de faire paraître une courte analyse de la place de Voltaire dans ce texte. Voir dans les références ci-dessous.

 

Références

Melançon, Benoît, contribution au dossier «Enquête sur la réception de Candide (XII). Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty et André Magnan», Cahiers Voltaire, 13, 2014, p. 239-242.

Tremblay, Laurent, Hommage à la langue française (Chœur parlé), Hull, Comité central des Ligues de retraitants, 1937, 20 p.

PP (parlons poil[s])

Le 25 septembre 2010, il était question ici des poils de grenouille à gosser.

Le 18 novembre 2010, du sens du poil.

Le 2 septembre 2012, du poil des jambes.

Le 27 avril 2013, du poil à couper.

Le 17 juillet 2012 et le 7 mai 2013, du poil en voie de raréfaction.

Ajout à cette liste incomplète, entendu dans la bouche d’Olivia de Lamberterie, le 27 octobre 2013, à l’émission le Masque et la plume de France Inter : avoir les poils signifierait avoir la chair de poule.