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Table ronde «Des mots aux mythologies»

La langue n’est jamais neutre. L’apparition et la disparition des mots, le choix de certains, le refus d’autres — tout cela dit quelque chose d’un état de société et de ses mythologies. Qu’en est-il de la Belgique et du Québec d’aujourd’hui ? Quels sont les mots du jour et les mots de passe qu’on y entend ?

Avec

Jean-Marie Klinkenberg

Université de Liège

Auteur de Petites mythologies belges (2003 et 2009)

Benoît Melançon

Université de Montréal

Co-auteur du Dictionnaire québécois instantané (2004) et blogueur (oreilletendue.com)

Pierre Popovic

CRIST, Université de Montréal

Co-auteur du Dictionnaire québécois instantané (2004) et auteur du Dzi (2009)

Animation

Martine-Emmanuelle Lapointe

Université de Montréal

Auteure d’Emblèmes d’une littérature (2008)

Organisée par le Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises, la Délégation Wallonie-Bruxelles au Québec et Radio Spirale.

10 février 2010

16 h 30

Université de Montréal

Pavillon Lionel-Groulx

3150, rue Jean-Brillant

Salle C-8141

Entrée libre

Affiche (PDF)

 

[Complément du 31 août 2011]

On peut (ré)entendre la table ronde ici.

Au suivant

Aux footballs (le mondial, l’américain, le canadien) comme au hockey, les marqueurs aiment bien manifester leur joie, parfois sans la moindre retenue.

Ce n’est pas le cas de Mike Cammalleri, l’ailier gauche des Canadiens de Montréal.

Description d’un journaliste sportif du quotidien la Presse : «Si Alexander Ovechkin manque défoncer les baies vitrées chaque fois qu’il marque un but, Cammalleri, lui, est un modèle de discrétion : un demi-sourire, un petit geste de reconnaissance envers le coéquipier qui lui a refilé la rondelle et, hop, on passe à un autre appel» (30 janvier 2009, cahier Sports, p. 6).

Passer à un autre appel ? L’expression vient du vocabulaire des tribunes téléphoniques à la radio. Son sens : on passe à autre chose.

L’Oreille tendue va donc maintenant passer à un autre appel.

 

[Complément du 20 janvier 2014]

Le défenseur des Canadiens P.K. Subban a parfois des relations tumultueuses avec son entraîneur, Michel Therrien. À la suite du plus récent incident entre les deux hommes, le joueur a déclaré ce qui suit : «“On doit se remettre à jouer du hockey à notre façon”, a résumé P.K. Subban qui doit ardemment souhaiter que le Québec en entier passe à un autre appel» (la Presse+, 11 janvier 2014). «Le Québec en entier» : rien de moins.

Exorcismes

Dans le quotidien montréalais la Presse, il y a quelques jours, ceci : «George W. Bush, sors de ce corps…» (16 janvier 2010, p. A31)

L’Oreille tendue s’interroge. Quelles sont les personnes qu’il faut faire sortir de tel ou tel corps ? Ne s’agit-il que de personnes réelles ? Ce troublant phénomène identitaire — quelqu’un squattant le corps de quelqu’un d’autre — est-il propre au Québec ?

Enquête dans des périodiques parus depuis un an. (Merci à Eureka.cc.)

Première constatation : les personnes à chasser viennent d’un peu partout. Outre Bush junior, il y a eu, dans les douzes derniers mois, Flaubert, J-Lo, Jean Perrault, Ray Manzarek, Normand L’Amour, Stephen King, Arnold Schwarzenegger.

Deuxième constatation : les personnes réelles dominent, mais il peut parfois s’agir de personnages fictifs (Jack Bauer ou l’héroïne éponyme du film Jennifer’s Body), voire d’un comportement. «Démon de l’adultère, sors de ce corps…» peut-on lire dans le Soleil du 17 octobre 2009.

Troisième constatation : le phénomène paraît surtout québécois, mais pas uniquement. La presse française et belge a aussi ses menaces internes, réelles et fictives : Warren Beatty (Marianne), Katharine Hepburn (Libération), François Pignon (le Soir).

Quatrième et dernière constatation : le tutoiement est de rigueur. Il n’y aucune occurrence de Sortez de ce corps.

Nos démons nous sont familiers.

 

[Complément du 16 août 2016]

«Sors de mon corps, Éric Neuhoff.» Cette phrase de Patricia Martin, dans la livraison du 14 août 2016 de l’émission le Masque et la plume de France Inter, pourrait porter à confusion.

 

[Complément du 23 mars 2022]

Le gouvernement du Québec, afin de lutter contre l’inflation, dit-il, enverra un chèque de 500 $ à plusieurs millions de Québécois. Cette mesure est électoraliste, avance la Presse+ du jour, qui évoque en titre le règne d’un ancien premier ministre, Maurice Duplessis : «Duplessis, sors de ce chèque !»

De l’apocope

Tout le monde fréquente l’apocope. Le Petit Robert la définit ainsi : «Chute d’un phonème, d’une ou plusieurs syllabes à la fin d’un mot» (édition numérique de 2007). Exemples ? Télé pour télévision, cinéma pour cinématographe, taxi pour taximètre.

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle (2009), Jean-Loup Chiflet ne paraît guère apprécier ce type de troncation : l’«homme pressé» est «si pressé qu’il écourte tout, vivant à l’heure de l’apocope qui mutile les adolescents pour en faire des ados à vélo ou à moto qui vont au ciné porno même s’ils sont cathos» (p. 11).

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de relever quelques formes nouvelles de l’apocope : diff pour difficile, confo pour confortable.

Dialogue à la radio, il y a peu : «Elle.— Je vous remercie. Lui. — C’est moi.» Comment désigner pareille coupure, chère aux garçons de café hexagonaux, non pas d’un phonème, d’une syllabe ou de plusieurs «à la fin d’un mot», mais de mots complets à la fin d’une phrase (C’est moi mis pour C’est moi qui vous remercie) ?

Doit-on parler d’apocope syntaxique ? Question full de diff.

 

[Complément du 15 novembre 2017]

Cette apocope, repérée par @jeanphipayette en Finlande, ne pousse guère à la consommation.

Produit alimentaire nommé «gastro» en Finlande

 

Référence

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

De la lexicographie

Qu’est-ce que la lexicographie ? Deux réponses à cette question.

Celle de Marie-Éva de Villers dans Profession lexicographe, le petit livre qu’elle lui a fait le plaisir de signer dans «Profession», la collection que l’Oreille tendue dirige aux Presses de l’Université de Montréal.

Profession lexicographe, 2005, couverture

Sa définition est la suivante :

La lexicographie est la branche de la linguistique appliquée qui a pour objet d’observer, de recueillir, de choisir et de décrire les unités lexicales d’une langue et les interactions qui s’exercent entre elles. L’objet de son étude est donc le lexique, c’est-à-dire l’ensemble des mots, des locutions en ce qui a trait à leurs formes, à leurs significations et à la façon dont ils se combinent entre eux (p. 11).

Une deuxième réponse : celle d’Erin McKean, dans le cadre des conférences TED, sous la forme d’une vidéo de quinze minutes tournée en mars 2007 à Monterey en Californie.

Non seulement McKean présente le travail du lexicographe, mais elle s’intéresse aussi à l’évolution du dictionnaire.

Sur le plan lexicographique, elle est ouvertement descriptiviste : tous les mots sont égaux, et tous leurs sens doivent être décrits scientifiquement.

Sur le plan dictionnairique, elle est résolument tournée vers l’avenir, et cet avenir est numérique : «Paper is the enemy of words», affirme-t-elle, le papier ici évoqué étant celui des dictionnaires traditionnels. Pour rompre avec cette forme caduque, il faut se mettre à plusieurs, ramasser les mots — tous les mots —, retenir leur contexte. En un mot : «Make the dictionary the whole language.» Beau projet.

On peut suivre Erin McKean sur Twitter (@emckean), lire son blogue, Dictionary Evangelist, ou consulter son dictionnaire à collaborateurs multiples, Wordnik, «the most comprehensive dictionary in the known universe» («le dictionnaire le plus exhaustif de l’univers connu»).

P.-S. — TED ? Il s’agit d’un organisme à but non lucratif créé en 1984 afin de faire dialoguer la technologie, le spectacle et le design : Technology, Entertainment, Design. Ses vidéos (gratuites) sont passionnantes. La préférée de l’Oreille est ici.

 

[Complément du 1er mars 2016]

Pour un point de vue hexagonal sur ces questions, on écoutera, sur France Culture, la livraison du 24 février 2016 de l’émission de radio la Fabrique de l’histoire, «Lexicologie et terminologie : comment crée-t-on de nouveaux mots ?».