Le don d’être vu

Publicité à la télé : un barman prépare, avec ostentation, un cocktail. Commentaire du cadet de l’Oreille tendue : «Skills !»

Skills ? S’emploie pour marquer l’admiration : qui mérite cet honneur a du talent et aime le montrer (l’épate, voire le tape-à-l’œil, est son essence). Ne concerne que les activités cool : attraper une passe difficile au football peut valoir un Skills bien senti; définir un mot avec ce que l’on espère être le plus de précision possible, non.

Merci de votre constante collaboration

Ces jours derniers, les médias ont été bons pour l’Oreille tendue. Démonstration.

Rubrique ville urbaine. Le critique théâtral du Devoir qui recense une «tragédie urbaine» (7-8 juillet 2012, p. C7) se fait damer le pion par la critique gastronomique de la Presse. Elle a pris un lunch «urbain» sur terrasse «très urbaine». Était-ce en ville ? Oui : «On est en ville et on ne se le cache pas» (7 juillet, cahier Maison, p. 13). Cette chroniqueuse fait concurrence à l’animatrice de la radio de Radio-Canada qui, jeudi dernier, parlait d’«une bande-annonce énergique, presque urbaine». «Presque» ? «Urbaine» ? «Presque urbaine» ?

Rubrique extrême. Le Devoir de la fin de semaine compare la «prédiction politique» à un «sport extrême» (7-8 juillet 2012, p. B2) et la Presse raconte des «rénovations extrêmes» (7 juillet, cahier Maison, p. 6).

Rubrique à saveur. Peut-on décrire un «Plan de campagne à saveur minière» ? Le Devoir peut (7-8 juillet 2012, p. B1).

Rubrique jupon. Si le jupon d’Amir Kadir dépasse, on ne verrait que «poindre» celui du «procédé» chez Éric Plamondon. C’est la Presse qui le dit (7 juillet 2012, cahier Arts, p. 15).

Tant de médiatics, si peu de temps.

La situation pourrait-elle devenir problématique ?

Daniel Grenier, Malgré tout on rit à Saint-Henri, 2012, couverture

Degré zéro de l’expression, sans adresse.

«C’est quoi le problème ?» (Hockey de rue, p. 108)

On monte d’un cran quand l’interlocuteur est visé.

«C’est quoi ton problème ? demanda Anou en enfilant son chandail» (Meurtres sur la côte, p. 149).

L’ajout d’un juron rend la menace plus nette.

«C’est quoi ton estie de problème ?» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 237)

Dans ces exemples, le / ton problème ? est une interrogation purement rhétorique : il ne s’agit ni de s’enquérir ni de compatir, mais de faire taire — avec des degrés d’intensité divers.

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

MacGregor, Roy, Meurtres sur la côte, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 12, 2008, 162 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2000.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Rien de neuf autour du soleil

L’expression la planète + X n’est pas récente.

Elle reste néanmoins d’actualité, comme le montre la lecture de la presse québécoise des derniers jours :

«les meilleurs espoirs de la planète hockey» (la Presse, 23 juin 2012, cahier Sports, p. 3);

«Tremblant arrive sur la planète Ironman» (la Presse, 23 juin 2012, cahier Sports, p. 6);

«Sur la planète vélo on aime aimer Cadel même s’il n’est pas beau» (la Presse, 30 juin 2012, cahier Sports, p. 4);

«Québec sur la planète design» (le Devoir, 30 juin-1er juillet 2012, p. D4).

Des humains, des planètes, tout cela orbitant : il est bon que les lois de l’univers soient immuables.

Résolument «résolument» ?

Soit le tweet suivant, de @RemiMathis : «De même qu’un esquif est toujours “frêle”, ce qui est contemporain l’est toujours “résolument” #Galeries #Communicants.»

Laissons voguer le frêle esquif — non sans citer la définition que donne le Petit Robert (édition numérique de 2010) de ce substantif : «Littér. Petite embarcation légère. Un frêle esquif» — et attachons-nous à résolument.

Résolument contemporain est en effet fort populaire. Résolument moderne ne l’est pas moins, ainsi que l’attestent ces jours-ci les pages sportives du quotidien la Presse : «Le style de Bergevin est résolument […] moderne» (14 juin 2012, p. 1); «Sylvain Lefebvre sera un entraîneur-chef résolument moderne» (15 juin 2012, p. 3).

On sera sensible aussi au résolument urbain, qui n’est peut-être, en définitive, qu’un synonyme de résolument contemporain et de résolument moderne : «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (le Devoir, 3 juillet 2009, p. B7).

On ne saurait être résolument contre cet adverbe, même si l’on rappellera qu’il ne devrait s’appliquer qu’à des personnes, dans la mesure où sa définition est la suivante : «D’une manière résolue, décidée; sans hésitation»; «Avec une résolution qui dénote du courage, de l’intrépidité» (le Petit Robert, bis).

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Image du jour, tirée de Twitter.

 

[Complément du 15 octobre 2018]

En France aussi.