Traduction (quasi) simultanée

En première page du cahier des sports de la Presse le 14 août : «Boxe. Un gros combat, ce soir, au Centre Bell ? Mettez-en !»

En page quatre : «Un gros combat ? Sans l’ombre d’un doute.»

Le mystère du mettez-en élégamment résolu.

À ne pas oublier

Quoi qu’en pensent le Figaro et la Presse (2 septembre 2010, p. A16), quand une célébrité publie le récit de sa vie, elle ne publie pas une œuvre dont le genre serait le féminin, de belles mémoires. Cette célébrité publie de gros mémoires, au masculin.

Mieux encore, en bonne typographie, le mot prend toujours la majuscule : des Mémoires spitants.

Bref, les mémoires de Tony Blair ne sont pas barbantes / passionnantes. Ses Mémoires sont barbants / passionnants.

Tout se perd.

 

[Complément du 31 août 2011]

L’Oreille tendue, le 31 août 2011, a fait paraître un texte sur l’ex-joueur de hockey Jean Béliveau dans le quotidien le Devoir (p. A7). Imaginez combien elle fut marrie de découvrir qu’un correcteur, pensant bien faire, avait enlevé la majuscule qu’elle avait mise à «Mémoires». Elle ne s’en remettra peut-être pas.

 

[Complément du 14 mai 2015]

Merci, @MondedesLivres, pour ce tweet :

Méchante distinction

Grâce à @Hortensia68, l’Oreille tendue découvre un texte de deux linguistes français en vue de la «Construction d’un lexique affectif pour le français à partir de Twitter». Il s’agit d’une proposition de communication pour le congrès Traitement automatique des langues qui vient de se tenir à Montréal.

On y lit la phrase suivante : «Les auteurs ont commencé par deux types d’adjectifs germes : positifs (comme “bonne”, “agréable”, “excellent”, etc.) et négatifs (“mauvais”, “méchant”, etc.).» Au Québec, il faudrait nuancer : «méchant» n’est pas toujours négatif. En fait, c’est un intensif fort prisé dans la Belle Province.

Les publicitaires s’en servent :

«Les Méchants Mardis sont de retour et Stéphane Pelletier tentera sa chance au concours du Méchant Million» (2003).

«Méchante offre de Fido» (la Presse, 24 septembre 2008, p. A10).

Les écrivains aussi :

Nicolas Charette : «Je sais pas, c’est un hasard ! Un méchant hasard !» (p. 10)

François Lepage : «Je commençai à craindre qu’il se mette à boire à même la bouteille, ce qui aurait déclenché un méchant scandale» (p. 82).

Diane Vincent : «Méchants maniaques !» (p. 113)

Les chanteurs ne sont pas en reste, Shaka (2001) en tête :

Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards
Méchants pétards, méchants pétards, méchants pétards

On ne confondra donc surtout pas le «méchant» affectif, négatif et assez banal, et le «méchant» intensif, plus neutre, mais ô combien populaire, et d’usage varié.

 

Références

Charette, Nicolas, Jour de chance. Nouvelles, Montréal, Boréal, 2009, 225 p.

Lepage, François, le Dilemme du prisonnier, Montréal, Boréal, 2008, 151 p.

Shaka, «Méchants pétards», disque audionumérique, étiquette Guy Cloutier Communications, PGC-CD-132 DJ, 2001, 3 minutes 1 seconde.

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Des pitons

Ils sont nombreux au Québec.

Les quincailliers et les géologues ont les leurs, comme il se doit, les mêmes qu’ailleurs dans la francophonie.

Ils désignent aussi des boutons, comme dans peser sur le piton — du téléphone, de la télécommande, de la machine distributrice, de la manette. Au figuré, on trouve être vite sur le piton (être alerte, éveillé; dégainer rapidement).

En un sens différent, (se) remettre sur le piton signifie retrouver la forme. Exemple journalistique : «La saison 2008-2009 n’a jamais décollé en raison d’une fracture à un péroné de [la patineuse Annabelle] Langlois durant un entraînement estival. Deux opérations ont été nécessaires pour la remettre sur le piton» (le Droit, 15 janvier 2010, p. 44). Exemple musical, style néotrad (peut-être) : «Une pilule, une p’tite granule, une crème, une pommade / Y a rien de mieux mon vieux si tu te sens malade / Une pilule, une p’tite granule, eine infusion, eine injection / Y a rien de mieux fiston pour te remettre su’l’piton» (Mes Aïeux, «Remède miracle», Ça parle au diable, 2000).

L’origine de (se) remettre sur le piton est un mystère, évidemment insondable.

Leçons d’anatomie

«Putamen», par Woutergroen

L’Oreille tendue a un peu de mal.

Selon son Petit Robert, le cerveau est la «Masse nerveuse contenue dans le crâne de l’homme, comprenant le  cerveau […], le cervelet, le bulbe et les pédoncules cérébraux» ou la «Partie antérieure et supérieure de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères cérébraux et de leurs annexes (méninges).» Il ne paraît donc pas être un muscle, cette «Structure organique contractile qui assure les mouvements.» Si tant est qu’une crampe soit bel et bien une «Contraction douloureuse, involontaire et passagère d’un muscle ou d’un groupe de muscles», on ne devrait donc pas avoir de crampe au cerveau.

Ce n’est pas l’avis du journal la Presse : «La crampe au cerveau [du Brésilien] Felipe Melo, dont l’expulsion pour avoir cramponné Arjen Robben a forcé les Auriverdes à finir le match à 10, a certes aidé les Néerlandais» (cahier Sports, 10 juillet 2010, p. 3).

Mais il y a plus délicat.

Les définitions du cerveau qu’on vient de lire sont classées sous la rubrique «Concret». Il y a aussi une rubrique «Abstrait», dans laquelle on trouve la définition suivante : «Le siège de la vie psychique et des facultés intellectuelles», laquelle est suivie des synonymes esprit, tête, cervelle.

Peut-on imaginer une crampe de l’esprit ? Oui, si l’on en croit Tanguy Viel, dans Insoupçonnable (p. 81).

Le cerveau de l’Oreille tendue, lui, n’arrive pas à tout bien suivre.

 

[Complément du 2 juillet 2014]

«Crampe au cerveau» est une chanson de Serge Fiori sur l’album qui porte son nom (étiquette Gsi musique, 2014), chanson peu amène envers le ROC (Rest of Canada).

 

[Complément du 7 mai 2015]

Hier soir, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont perdu leur match contre le Lightning de Tampa Bay. Andreï Markov, le défenseur de Montréal, lui pourtant si fiable depuis des années, a joué un mauvais match (ce n’est pas son premier des présentes séries éliminatoires). Cela a entraîné le commentaire suivant, sur Twitter, d’@ArponBasu : «If there was a brain farts/60 stat, I think Markov would be leading the playoffs.» Selon lui, si une statistique du nombre de «brain farts» par 60 minutes de jeu (la durée d’un match de hockey) existait, Markov y dépasserait tout le monde.

Mais que sont ces flatuosités du cerveau ou de l’espritbrain farts») ? Parmi les 30 définitions que donne le Urban Dictionary de ce mot («brain fart» ou «brainfart»), beaucoup étant liées au défaut de mémoire, une retient particulièrement l’attention de l’Oreille : «An involuntary release of stupidity. Usually at the least opportune time» (Quelque chose d’involontairement stupide, au moment le moins opportun). N’est-ce pas aussi cela la crampe au cerveau ?

 

[Complément du 22 mars 2017]

Dans la Presse+ du jour, le journaliste Patrick Lagacé traduit «ce que les Anglais appellent joliment un brain fart» par pet de / du cerveau.

 

[Complément du 10 décembre 2020]

La crampe au cerveau ne serait pas qu’individuelle si l’on en croit le quotidien le Devoir : «Même en retenant l’hypothèse d’une crampe au cerveau collective, l’Assemblée nationale a eu de multiples occasions de s’amender» (8 décembre 2020, p. A4).

 

[Complément du 24 mai 2023]

Ni crampe ni pet, la bulle : «Après avoir donné une mise en échec à Mark Stone, le capitaine des Stars [Jamie Benn] a eu ce qui s’apparente à une bulle au cerveau : il a asséné un inutile et brutal double échec au visage de son adversaire déjà étendu à ses pieds» (la Presse+, 24 mai 2023).

 

Illustration : partie externe du noyau lentiforme du cerveau, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Viel, Tanguy, Insoupçonnable, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 59, 2009, 138 p. Édition originale : 2006.