Les occasions ne manquent jamais de déplorer l’emploi de quitter sans complément. Ce verbe n’est pourtant pas seul dans la triste catégorie du verbe orphelin.
Il y a évidemment, et banalement, consommer — de l’alcool, de la drogue, des médicaments, des substances interdites, toutes choses qu’il n’est pas nécessaire de nommer. Exemples : «Avec trois matchs en trois soirs, l’équipe qui compte aucun joueur qui consomme va avoir de la misère» (la Presse, 10 décembre 2003); «Une initiative surprenante, d’autant plus que Presley lui-même ne buvait pas d’alcool… même s’il consommait pas mal !» (la Presse, 17 juin 2004, cahier LP2, p. 2)
Moins banalement, on voit désormais, employés de façon absolue, faire une tentative (de suicide), consulter (le psy de son obédience) et rencontrer (quelqu’un d’un sexe qui nous sied) — comme dans Son mari est mort le mois dernier. Elle veut attendre encore un peu avant de rencontrer.
Un autre cas de ces économies lexicales qui nous entourent ?
[Complément du 1er décembre 2012]
L’Oreille tendue avait spontanément cru que consulter sans complément était un québécisme. L’illustration ci-dessous, tirée de l’excellent tumblr Chers voisins, la force à revoir cette croyance.
[Complément du 21 octobre 2015]
Dans la Presse+ du jour, ceci :
[Complément du 26 janvier 2018]
Dans certains cas, il est fortement recommandé de consulter.
[Complément du 26 août 2024]
Les exemples littéraires de consulter pris absolument en contexte médical foisonnent, et pas seulement au Québec.
«On connut donc une période difficile où Béliard se mit à geindre tant, tout le temps, qu’on tenta tout pour lui. On lui conseilla de consulter — mais la médecine des âmes, il n’avait pas confiance» (Au piano, p. 215).
«Impossible de convaincre sa mère d’aller consulter […]» (Fleurs de crachat, 76).
«il se demande si, tout compte fait, il n’aurait pas mieux valu consulter» (la Ballade de Nicolas Jones, 30).
«Yvonne a suggéré presque calmement à ma collègue de consulter, pendant que nous nous mettions à trois pour la retenir» (Sous pression, p. 79).
«Après dix jours de dandinement dans la ville, boiteuse au bord du climax de la douleur, je dois me résoudre à aller consulter» (le Parfum de Janis, p. 57).
Références
Chassay, Jean-François, Sous pression. Roman, Montréal, Boréal, 2010, 224 p.
Echenoz, Jean, Au piano, Paris, Éditions de Minuit, 2003, 222 p.
Larochelle, Corinne, le Parfum de Janis. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 139 p.
Mavrikakis, Catherine, Fleurs de crachat, Montréal, Leméac, 2005, 198 p.
Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.