Accouplements 211

«Deux hommes penchés sur un vélo sur une route de Pontoise», photographie attribuée à Delizy, 1897

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

À la fin des années 1990, l’émission de télévision française les Guignols de l’info attribue au coureur cycliste dopé Richard Virenque une expression qu’il n’a pas dite, mais qui lui colle encore à la peau : «à l’insu de mon plein gré» (voir le Wiktionnaire).

Il faut connaître cette expression apocryphe pour comprendre une phrase du roman Ne tirez pas sur le pianiste ! de Frédéric Lenormand : «Il fallait donc qu’on l’eût occis au détriment de son plein gré.»

Il faut encore la connaître devant tel jeu de mot du spitant Fabrizio Bucella : «Que ce soit à l’insu de son plein gré ou à l’ingré de son plein su.»

L’édition 2023 du Tour de France vient de commencer.

 

Référence

Lenormand, Frédéric, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre seizième Édition numérique.

Accouplements 209

Jean-François Nadeau, Bourgault, 2007, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«Ce qui vient au monde pour ne rien troubler
ne mérite ni égards ni patience.»
René Char

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle n’aime pas les biographies. Par obligation professionnelle, elle en lit — sur la littérature, sur le sport, sur le numérique, sur la musique, sur le cinéma —, mais ce n’est pas du tout sa tasse de thé. C’est comme ça.

Cela étant, elle est sortie ravie de la biographie de Pierre Bourgault qu’a publiée Jean-François Nadeau en 2007. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce que Nadeau ne fait preuve d’aucune complaisance envers son sujet. Bourgault était un «homme d’exception» (p. 533), certes, mais il ne manquait pas de défauts. Il s’agissait de le dire, en évitant tant le portrait à charge que le panégyrique. Mission accomplie.

Pourquoi vous raconter cela aujourd’hui ?

En épigraphe au dix-huitième chapitre, Nadeau met deux vers de René Char : «La lucidité est la blessure / la plus rapprochée du soleil» (p. 491).

Or, tout juste après la lecture de Bourgault, l’Oreille s’est mise à celle de l’abécédaire mémoriel Où de vivants piliers, de Régis Debray. Extrait ? «D’où vient qu’une citation de Char en épigraphe d’un ouvrage, en guise d’exorcisme, tire toujours vers le haut.»

 

Références

Debray, Régis, Où de vivants piliers, Paris, Gallimard, coll. «La part des autres», 2023, 192 p. Édition numérique.

Nadeau, Jean-François, Bourgault, Montréal, Lux éditeur, coll. «Histoire politique», 2007, 606 p. Ill.

Accouplements 208

Guy Berthiaume, Mes grandes bibliothèques, 2023, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

 

«Parce que c’était lui,
parce que c’était moi.»
Montaigne

 

Lionel Messi — c’est du football, donc du soccer — annonce qu’il souhaite jouer en Amérique du Nord. Des amis sont intéressés à se joindre à lui. Sous-titre dans la Presse+ du 15 juin, italique certifié d’origine : «Un chum, c’t’un chum

Guy Berthiaume publie ses Mémoires : «car, contre vents et marées, je restai solidaire d’Alain [Bideau], sans doute au-delà de ce qui était raisonnable. Mais, comme le disait Bernard Trépanier devant la commission Charbonneau : “un chum c’t’un chum”» (p. 180).

Pour le dire à la façon de Pascal, «L’amitié a ses raisons que la raison ne connaît point».

P.-S.—Ce chum est un ami, voire un ami personnel.

 

Référence

Berthiaume, Guy, Mes grandes bibliothèques. Mes archives. Mes mémoires, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 359 p. Ill.

Jazzer le hockey

Hugo Blouin, Sport national, 2023, pochette

«Le but !
But, but, but, but, but !»

L’Oreille tendue s’intéresse aux liens entre sport et culture au Québec. Elle a écrit, entre autres sujets, sur des icônes sportives — Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur —, sur les relations entre bande dessinée et hockey, et sur la chanson et ce sport.

Elle se devait d’écouter le plus récent album du compositeur et contrebassiste Hugo Blouin, Sport national (2023).

Blouin n’est (n’était ?) pas un amateur de hockey : les onze pièces «de musique de chambre de hockey» qu’il vient de lancer «suivent [sa] découverte fascinée de ce sport et de cet objet culturel», à la «manière d’un documentaire» (livret de l’album). Il n’est donc pas obsédé — comme l’est parfois l’Oreille — par la langue de puck ou — comme le sont certains — par les arcanes du sport.

Il met en scène des événements largement connus : l’équipe des Canadiens de Montréal est créée en 1909, comme le rappelle «Sport national»; l’émeute du 17 mars 1955 à la suite de la suspension de Maurice Richard est évoquée dans «La soupape» et dans «Ne plus causer de trouble»; la série de 1972 (dite «du siècle») entre les Canadiens et les Soviétiques, ces «robots», se retrouve dans «Attaboy» (en français, en anglais et en russe), dans «God is Canadian» (en anglais) et dans «This is War» (en anglais et en français). Blouin sait qu’il y a eu récemment une équipe de la Ligue nationale de hockey à Québec, mais qu’il n’y en a plus : «Ce n’est pas une séparation / Ce n’est pas un divorce / C’est une mort» («Le glas»).

Relevant du jazz, les chansons sont toutes interprétées par Julie Hamelin, souvent accompagnée par un chœur, sauf la dernière, «Ne plus causer de trouble». (L’Oreille doit confesser un tout petit chagrin : au «trouble» de cette version, elle aurait préféré le «troubbe» d’origine.) La plupart des pièces s’appuient, de façon plus ou moins importante, sur des «repiquages» d’extraits sonores : reportages télévisés (Radio-Canada, CBC, etc.), documentaires, vox-pop, conférences de presse (Pierre Elliott Trudeau, Phil Esposito). On reconnaît aussi bien Marc Bergevin que Foster Hewitt, Jean St-Onge et Kim Saint-Pierre. Des paroles sont tirées de déclarations officielles, d’entrevues, de chroniques, de reportages, de tribunes téléphoniques ou d’histoires du sport. Olivier Niquet a collaboré à «Ça sent la coupe», en fournissant «les propos de nos hommes de hockey préféré», propos tous moins glorieux les uns que les autres.

Des choses sont inattendues. En néophyte, Blouin n’a pas de prévention envers le hockey féminin : «Manon» rappelle les souvenirs de la carrière de Manon Rhéaume et les niaiseries sexistes auxquelles elle a dû faire face; «Le but» fait entendre la victoire en prolongation de l’équipe féminine canadienne contre l’équipe américaine aux jeux Olympiques de Sotchi en 2014. «Sport national» s’appuie sur un court métrage assez peu connu des amateurs de sport, Un jeu si simple, de Gilles Groulx (1964). Faire chanter la violence et les bagarres par une voix féminine donne un air d’étrangeté aux propos des goons : «Lachez pas, y faut toutes les tuer» («Pas des mitaines»). Peu de joueurs sont nommés, alors que plusieurs des chansons enregistrées multiplient traditionnellement ce genre d’allusions. Tout cela est bienvenu.

Bref, foi d’Oreille, c’est à mettre entre entre toutes (les oreilles).

P.-S.—Elle est un peu perplexe devant le refrain de «Sport national» : «Bassin ! Bassin !»

 

Références

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Pas derrière Zdeno Chára

Dans la Presse+ d’hier, rubrique «Mauvaise conduite», sept journalistes qui y couvrent le sport répondaient à la question «Quelle expression liée au sport vous irrite le plus ?» Réponses : le recours au «tu» collectif (Simon-Olivier Lorange), «éthique de travail» (Guillaume Lefrançois), «grande finale» (Mathias Brunet), «match sans lendemain» (Richard Labbé), «tir sans avertissement» (Justin Vézina), «équipe canadienne de soccer féminin» (Nicholas Richard), «vibrer les cordages» (Jean-François Tremblay).

L’Oreille tendue a beaucoup (trop) réfléchi à la langue du hockey. Que répondrait-elle à cette question ?

Elle choisirait probablement le verbe se blottir, si cher au cœur du commentateur Yvon Pedneault. Exemple : «X est allé se blottir derrière le défenseur.»

Au sens strict, cet usage peut se défendre, si l’on en croit les définitions du Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Se ramasser sur soi-même, de manière à occuper le moins de place possible»; «Se mettre à l’abri, en sûreté.»

Cela étant, l’Oreille, quand elle entend se blottir, pense lit, couverture, confort. Le Petit Robert, encore : «Se blottir dans un coin, dans son lit, sous ses couvertures.»

Elle ne penserait jamais à cela en allant se placer derrière (l’ancien joueur) Zdeno Chára, 2,06 m, 116 kilos (souvent déposés peu délicatement sur un joueur adverse). Il y a des endroits plus accueillants dans la vie.

Bien sûr, vous vous blottissez où vous voulez sur la glace. Tous les dégoûts sont dans la nature.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture