Invitation au (non-)voyage

Casquette des Expos de Montréal

Soit la déclaration suivante, de Denis Coderre, l’omnimaire de Montréal, s’agissant du retour à Montréal d’une équipe professionnelle de baseball :

Est-ce que j’ai un site en tête ? Oui. Est-ce que j’ai un plan en tête ? Oui. Mais on n’est pas rendus là. Il ne faut pas partir en peur, il faut y aller étape par étape (la Presse+, 1er avril 2017).

Et ce passage de Document 1 de François Blais (2012) :

Et quand je disais qu’il nous en coûterait deux cent cinquante dollars par jour (hébergement inclus) pour subsister, je calculais trois repas par jour au restaurant, mais je me rends compte que je partais en peur (p. 146).

Partir en peur ? Non pas voyager, mais «S’effrayer, s’affoler, s’emballer», dixit Usito, le dictionnaire numérique.

Restons chez nous. C’est plus prudent.

 

Référence

Blais, François, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p.

Poème du jour

Nature morte, dite à la balle de baseball

La saison de baseball commence. Célébrons ce moment avec de la poésie lutétiosportive.

The crack of a bat

Dick Roraback

Away on this side of the ocean
When the chestnuts are hinting of green
And the first of the café commandos
Are moving outside for a fine
And the sound of spring beats a bolero
As Paree sheds her coat and her hat
The sound that is missed more than any
Is the sound of the crack of a bat.
There’s an animal kind of feeling
There’s a stirring down at Vincennes Zoo
And the kid down the hall’s getting restless
Taking stairs like a young kangaroo
Now the dandy is walking his poodle
And the concierge sunning her cat
But the heart’s with the Cubs and the Tigers
And the sound of the crack of a bat.
In the park on the corner run schoolboys
With a couple of cartons for props
Kicking goals à la Fontaine or Kopa
While a little guy chikies for cops
“Goal for us,” “No it’s not,” “You’re a liar,”
Then the classical shrieks of a spat
But it’s not like a rhubarb at home plate
Or the sound of the crack of a bat.
Here the stadia thrill to the scrumdowns
And the soccer fans flock to the games
And the chic punt the nags out a Longchamp
Where the women are dames and not dames
But it’s different at Forbes and at Griffith
The homes of the Buc and the Nat
Where the hotdog and peanut share laurels
With the sound of the crack of a bat.
No, a Yank can’t describe to a Frenchman
The rasp of an umpire’s call
The continuing charms of statistics
Changing hist’ry with each strike and ball
Nor the self-conscious jog of the slugger
Rounding third with the tip of his hat
Nor the half-smothered grace of a hook slide
Nor the sound of the crack of a bat.
Now, the golfer is buffing his niblick
And the tennis buff’s tightening his strings
And the fisherman’s flexing his flyrod
Like a thousand and one other springs
Oh, the sports on both sides of the ocean
Have a great deal in common, at that
But the thing that’s not HERE
At this time of the year
Is the sound of the crack of a bat.

Le char, en quelques-unes de ses incarnations québécoises

Charlton Heston, en char, dans Ben-Hur (1959)

Il y a le véhicule automobile : «Sous le char, je n’ai pu m’accrocher à rien, mais je suis allé m’étendre au milieu, épuisement entier du corps, ils ne pouvaient pas m’atteindre. J’ai fait le mort. J’ai fait le mort et puis ç’a cessé d’être un jeu, c’était trop long. Le père Mailloux m’a poussé du dessous du char à l’aide d’une pelle, la mère Mailloux m’a cueilli de l’autre côté. Elle a secoué la neige de mon habit, elle ne riait pas, le père Mailloux non plus ne riait pas, on a regagné le traîneau, j’ai dormi le reste du trajet» (Mailloux, p. 10).

Ptits, les chars sont des tramways. Gros, des trains, par opposition.

Ils peuvent servir d’unité de mesure (imprécise) : c’est pas les gros chars.

Bis : «Vite, qu’on appelle Amazon et qu’on commande un char et une barge d’amis à expédier illico au Québec !» (la Presse+, 22 mars 2017)

Ter : Il lui a envoyé un char de bêtises.

Qui a vu passer les gros chars en aurait vu d’autres.

Allégorique, il (dé)pare les défilés.

Fussent-ils olympiques, certains, enfin, sont odoriférants.

 

Référence

Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière, Montréal, L’effet pourpre, 2002, 190 p.

23 mars 1944

Tableau de Jack Reppen, «#5 in the Prudential Collection “Great Moments in Canadian Sport”», 1961

Le 23 mars 1944, pendant les séries éliminatoires, au Forum de Montréal, dans une victoire de 5 à 1, Maurice Richard marque les cinq buts de son équipe, les Canadiens — c’est du hockey —, contre les Maple Leafs de Toronto et il obtient les trois étoiles du match.

Un publiciste des Canadiens, Camil DesRoches, affirme dans le documentaire Peut-être Maurice Richard de Gilles Gascon (1971) que le Forum recevait «des milliers de téléphones à tous les ans» de gens qui voulaient vérifier le résultat de ce match.

Le même DesRoches a consacré une strophe d’un long poème à ce match :

Et nous voilà rendus aux séries pour la coupe,
D’abord contre Toronto, en premier une défaite,
Richard décide d’y voir et dans la second’ joute,
Maurice compte les cinq buts… Les Maple Leafs sont «frets».

(On appréciera la rime «défaite» / «frets».)

Une bande dessinée évoque ce haut fait d’armes dans Babe Ruth Sports Comics en février 1950. De même, la soirée est rapportée par des dizaines de commentateurs, en français comme en anglais.

Elle est souvent l’objet de récits erronés. Ainsi, dans le cadre de «La rue Sainte-Catherine fait la une», une exposition présentée au Musée Pointe-à-Callière du 7 décembre 2010 au 24 avril 2011, on pouvait lire : «5 buts et 3 passes en un seul match; il obtient les 3 étoiles de la rencontre !» Les concepteurs de l’exposition confondaient les événements du 23 mars avec ceux (à venir) du 28 décembre 1944. (Dans la Presse du 15 mars 1998, Stéphane Laporte fait la même confusion.) Rien là d’étonnant : on ne prête qu’aux riches.

La soirée du 23 mars 1944 est une des pièces essentielles du mythe de Maurice Richard : déjà jeune (il a 22 ans), il est l’homme des grandes occasions. Il le restera longtemps.

P.-S. — Certains disent que les trois étoiles ont été attribuées à Richard par Foster Hewitt ou par Elmer Ferguson. Le plus souvent, on parle toutefois de Charles Mayer, même si celui-ci ne revendique pas explicitement ce choix dans Dow présente l’épopée des Canadiens (1956, p. 183).

Illustration : tableau de Jack Reppen, «#5 in the Prudential Collection “Great Moments in Canadian Sport”», 1961. Une reproduction de ce tableau était offerte aux nouveaux clients de la compagnie d’assurances Prudential Life au début des années 1960.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Dow présente l’épopée des Canadiens (par Charles Mayer) de Georges Vézina à Maurice Richard. 46 ans d’histoire. 1909-1955, Montréal, Brasserie Dow, 1956, 198 p. Ill. Préface de Léo Dandurand. Nouvelle édition revue et corrigée. Édition originale : 1949.

Laporte, Stéphane, «Mes oncles et Maurice Richard», la Presse, 15 mars 1998, p. A5.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Bande dessinée. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Peut-être Maurice Richard, documentaire de 66 minutes 38 secondes, 1971. Réalisation: Gilles Gascon. Production: Office national du film du Canada.

«Poésie à la “Jean Narrache” due à la plume de Camil DesRoches et dédiée à Maurice “Record” Richard. — Cette poésie fut débitée à la Parade Sportive le 14 janvier 1945 au poste CKAC», poème sur feuille volante, s.d.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture