Aimer une langue ?

Louis Cornellier, le Point sur la langue, 2016, couvertureLouis Cornellier, le Point sur la langue, 2016, couverture

Au printemps dernier, le professeur et critique (au quotidien le Devoir) Louis Cornellier faisait paraître le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation.

Dans son «Avant-propos. Confession d’un converti», il expose son projet de la façon suivante :

Les essais qui suivent sont le résultat de ma conversion au discours orthographique et grammatical. Certains d’entre eux, dans une logique normative (dire et ne pas dire), s’adonnent au purisme pour en faire découvrir les voluptés. D’autres font appel à des notions de linguistique, dans le but de faire voler en éclats quelques idées reçues sur le français et même, au passage, sur l’anglais. L’approche sociolinguistique et politique, enfin, n’est pas absente du portrait, comme on le verra notamment en fin d’ouvrage dans quelques textes adaptés de mes chroniques qui évoquent les contributions d’essayistes qui se sont intéressés à cette importante question. La langue, en effet, est une réalité sociale. Au Québec, par exemple, il n’est pas concevable de se pencher sur l’enjeu de la qualité du français sans intégrer à la réflexion des considérations sur son statut, sans cesse menacé par l’omniprésence de l’anglais (p. 16).

L’Oreille tendue peut se reconnaître dans certaines des affirmations de cet avant-propos, comme dans des remarques sur tel ou tel fait de langue avancées par Louis Cornellier. Il y a pourtant des choses qui la distinguent de lui.

Ayant publié un livre l’an dernier pour s’en prendre à elles, ce n’est pas l’Oreille qui reprochera à l’auteur du Point sur la langue de vouloir combattre les idées reçues. Se réclamer de la sociolinguistique et de la politique ? L’Oreille répond elle aussi «Présente !» On ne saurait contester la démonstration du simplisme qui consiste à affirmer que «le niveau baisse» en matière de langue (p. 47-49, p. 151).

Préférer, dans certains cas, second à deuxième (p. 45) ? Oui. Se méfier de soi-disant (p. 64-66) et de renforcir (p. 83) ? Bis. Ne pas dire en quelque part (p. 88) ? Ter. Déplorer l’usage de je vous dirais (p. 33-34), cet envahissant décaleur ? Ne pas croire que «on» exclut toujours la personne qui parle (p. 111-113) ? Suggérer la lecture de l’article «L’effet Derome» d’André Belleau (p. 117-119) ? Encore et toujours.

Le riche herbier de Louis Cornellier rassemble des exemples venus de la télévision, du cinéma, de la chanson, de la radio, de la presse, du monde du sport, d’échanges avec ses collègues et même de sa participation à une dictée. Il n’est pas d’autre façon de saisir la langue, n’importe quelle langue, en ses incarnations multiples.

L’auteur n’hésite pas à se servir du registre populaire : «ça fesse», ne pas avoir «d’allure», «quétaine», «colon», etc. Là encore, la langue n’est pas une. Il faut savoir se servir de l’ensemble de ses ressources.

En revanche, sur plusieurs plans, il y a des différences assez considérables entre l’Oreille tendue et Louis Cornellier.

Chanter les mérites de Pierre Bourgault ou de Marie-Éva de Villers ? Certes. De Pierre Falardeau ? C’est bien plus difficile. On peut apprécier le travail de Guy Bertrand, le premier conseiller linguistique de Radio-Canada, sans constamment le porter aux nues.

Louis Cornellier dit aimer la langue française (quatrième de couverture, p. 175, p. 178), son «esprit» (p. 43, p. 137), voire son «génie» (p. 13, p. 153, p. 173). Ce n’est pas la position de l’Oreille, qui ne croit pas au génie des langues et qui n’accorde pas de statut affectif particulier à sa langue. Quand il lui arrive d’écrire en anglais, la nature de son plaisir ne change pas (ses moyens, si); il en allait de même quand, dans sa jeunesse, elle étudiait le latin et, brièvement, l’allemand. Toutes les langues sont des outils formidables, le français comme les autres. Autrement dit, c’est la langue qu’aime l’Oreille, plus qu’une langue. Elle parlerait tagalog que ce serait la même chose.

Elle a, comme tout un chacun en matière de langue, une série de lubies, auxquelles elle sait être attachée de façon irraisonnée. Pourtant, pour elle, la «logique normative» et le «purisme» — dont elle ne se défend pas de les pratiquer à l’occasion — ne contiennent pas de «voluptés» (p. 16). L’expression «purisme convivial» (p. 178) lui paraît plus juste que «conversion au discours orthographique et grammatical» (p. 16), avec ses accents religieux. (Un puriste — on est toujours le puriste de quelqu’un — pourrait d’ailleurs reprocher à Louis Cornellier quelques emplois de se vouloir et de faire en sorte que. On s’en gardera.)

En matière de rapport avec l’anglais, l’Oreille est moins portée que d’autres sur la chasse à l’anglicisme et aux manifestations de «colonisation linguistique» (p. 42), de «lâcheté linguistique» (p. 166) ou de «capitulation linguistique» (p. 170). Elle n’a pas de crainte devant l’enseignement intensif de l’anglais au primaire (p. 165-166). Elle s’interroge sur le bien-fondé de l’imposition, pour tous, du cégep en français (p. 38, p. 154, p. 161, p. 164-165). Elle ne sous-estime pas l’importance historique des relations entre le français et l’anglais, mais elle préconise une dépolarisation de la situation linguistique québécoise ou, plus justement, montréalaise. Il y a bien plus que deux langues dans le Québec d’aujourd’hui. Il est vrai que l’essai publié par VLB éditeur relève de la littérature de combat (on y met le point sur la langue, comme d’autres le poing) et que cela exige quelques oppositions binaires.

Il est encore un domaine où l’Oreille et Louis Cornellier ne pourraient pas être d’accord, le nationalisme, qui est un des socles de sa pensée; voyez, par exemple, le texte «Prophétiser le péril avec Vigneault» (p. 108-110), où il est question de «mort nationale» (p. 109). De même que pour le patriotisme, l’Oreille a du mal à comprendre pareil sentiment. (Comme l’enseignait André Belleau en 1983, on ne confondra pas nationalisme et indépendantisme.)

P.-S. — Louis Cornellier dit du bien du Langue de puck (2014) de l’Oreille tendue (p. 105-107). Elle serait malvenue de lui en tenir rigueur.

 

Références

Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Cornellier, Louis, le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation, Montréal, VLB éditeur, 2016, 184 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Lionel Duval (1933-2016)

Arsène et Girerd, On a volé la coupe Stanley, p. 13

Après Richard Garneau (1930-2013) et Gilles Tremblay (1938-2014), c’est au tour du journaliste sportif Lionel Duval (1933-2016) de mourir. Les trois étaient nés dans les années 1930 et ils avaient travaillé à la Soirée du hockey, à la télévision de Radio-Canada.

Dans la culture québécoise, Lionel Duval n’a pas eu droit au même traitement que René Lecavalier (1918-1999), un des présentateurs les plus célèbres du Québec, mais il est devenu, au fil des ans, une figure connue des amateurs de hockey.

On prononce son nom dans la pièce la Coupe Stainless de Jean Barbeau (1974).

Il apparaît dans la bande dessinée On a volé la coupe Stanley (1975, p. 13), aux côtés de Guy Lapointe (voir l’illustration ci-dessus), et dans un documentaire de l’Office national du film, Peut-être Maurice Richard (Gilles Gascon, 1971).

Christine Corneau l’a chanté en 1988 :

Quand j’entends la Soirée du hockey
Avec la voix de Lionel Duval
Qui m’parle en direct du Forum de Montréal
Quand j’entends la Soirée du hockey
La foule en délire
C’est plus fort que moi
[Choriste : C’est plus fort que moi]
Ça m’fait souvenir

C’est aussi le cas de Vincent Vallières, en 2003 :

C’est écœurant, y a même Bobby Smith, entre la première pis la deuxième
Qui parle à Lionel Duval pis qui dit :
«Ah ! c’est difficile ! Ah ! c’est difficile !»

En 2001, Luc Bertrand raconte sa vie. Le titre de son ouvrage reprend une des phrases les plus connues de Duval : «Revoyons les faits saillants.»

Marc Robitaille l’évoque en 2013 :

Il y a aussi les conversations avec les joueurs et M. Lionel Duval. J’ai appris que le hockey est un jeu d’équipe, qu’on dira ce qu’on voudra mais que ça se joue sur la glace, qu’il faut jamais prendre les adversaires pour acquis, qu’il y a des soirs comme ça où il y a rien qui marche et que l’important c’est de revenir forts en troisième (p. 30).

Beaucoup, enfin, se souviendront de lui pour sa participation aux campagnes de publicité de Pepsi, avec Claude Meunier.

Références

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Bande dessinée.

Barbeau, Jean, la Coupe Stainless. Solange, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 47-48, 1974, 115 p.

Bertrand, Luc, Lionel Duval. Revoyons les faits saillants, Montréal, TVA éditions, 2001, 192 p. Ill.

Corneau, Christine, «La soirée du hockey», En personnes, 4 minutes 15 secondes, disque audionumérique, 1988, étiquette Analekta, SNP-9801 Sonophile.

Gascon, Gilles, Peut-être Maurice Richard, documentaire de 66 minutes 38 secondes, 1971. Réalisation : Gilles Gascon. Production : Office national du film du Canada.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Vallières, Vincent, «1986», Chacun dans son espace, 4 minutes 40 secondes, disque audionumérique, 2003, étiquette Productions BYC, BYCD130.

Une nouvelle pièce d’équipement ?

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — jouent leur premier match présaison ce soir. Profitons de l’occasion pour ajouter une expression à la langue de puck.

Nous avons déjà vu qu’il n’est jamais recommandé de jouer en tenant son bâton trop serré.

En entrevue, hier, dans la Presse+, l’entraîneur des Canadiens a utilisé une expression, liée au bâton, que ne connaissait pas l’Oreille tendue :

La première chose que j’ai remarquée chez [Artturi Lehkonen], à London, c’est à quel point il avait un bon bâton, confie [Michel] Therrien. Dans le hockey d’aujourd’hui, la robustesse est encore importante, mais le jeu est tellement rapide que ça prend un bon sens du hockey, et l’une des premières choses qu’on apprend à nos joueurs, c’est d’avoir un bon bâton.

C’est noté. Merci.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Poème sportif du jour

Jean-Christophe Réhel, Les volcans sentent la coconut, 2016, couverture

C’est dimanche, jour de match pour le fils cadet de l’Oreille tendue et pour quelques dizaines de millions d’États-Uniens.

Pour l’occasion, ce poème, tiré du recueil Les volcans sentent la coconut (2016) de Jean-Christophe Réhel :

je suis un botaniste
dans l’appartement
j’arrose les plantes mais elles meurent
comme des connes
puis le facteur me livre une casquette
des panthers de la caroline
et je suis un joueur de football (p. 57)

 

Référence

Réhel, Jean-Christophe, Les volcans sentent la coconut. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 94 p.

Rappel anatomique du jour

Lisant la section sportive de la Presse+ l’autre jour, l’Oreille tendue s’arrête à une expression bien banale, puis tweete. Quelques jours plus tard, réaction tout à fait juste, par le même truchement, de Jean-Patrice Martel.

Il est toujours réconfortant de compter sur l’esprit et le bon sens anatomique de ses lecteurs.

 

[Complément du jour]

Pris d’un remords de conscience, le correspondant de l’Oreille lui indique qu’il faut rendre à Steve Martin ce qui est à Steve Martin.