Découvertes en goguette

Enseigne de la boutique East of Montreal, Halifax, octobre 2023

L’Oreille tendue avait prévenu ses bénéficiaires : elle partait à la retraite — et en voyage. Pendant ce périple automobile de 21 jours et d’un peu plus de 5000 kilomètres, elle a fait quelques découvertes. Les voici.

Elle ne pourra plus jamais prendre de vacances.

Pour qui prend sa retraite, il n’y a plus de (fins de) semaine, plus de lundi, etc.

Sa voiture prend soin de l’Oreille. Un après-midi, après plusieurs heures de route ininterrompues, un message est en effet apparu sur son tableau de bord : «Voulez-vous vous reposer ?» «Non, merci», l’Oreille a-t-elle répondu, attendrie. Elle aurait moins bien réagi à «Veux-tu te reposer ?»

Ce n’est jamais la même eau ni le même homme.

Plage, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Le renard brun est un brick géant.

«The quick brown fox jumps over the lazy dog» traduit en français par «Voyez le brick géant que j’examine près du wharf»

Tu as beau jouer au scrabble en français avec un jeu en anglais — tourisme oblige —, placer toutes tes lettres du premier coup peut rendre ton adversaire un brin mécontente.

Y a-t-il vraiment des hommes qui font leurs besoins dans le golfe Saint-Laurent ?

Panneau signalétique, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Écriture limpide, instructif, (auto)critique, concret, sens de la formule («les problèmes ne naissent pas des solutions»). L’imprimeur a moins bien travaillé : pages de traviole.

Mélikah Abdelmoumen, les Engagements ordinaires. Lutter de mères en filles, 2023, couverture

Salsa sur passage pour piétons.

Panneau signalétique, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Les jeux de mots capillaires sont aussi nombreux en anglais qu’en français. (Le Notulographe en fait collection.)

Salon de coiffure Cara’s New Hairizons, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

À Truro,
Comme au McDo,
On peut acheter du pot
Au service à l’auto.

On trouve de tout dans les maisons de location.

Nourriture pour aigle, maison de location, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

La Nouvelle-Écosse a ***deux*** emblèmes météorologiques, la hallebarde et la vache-qui-pisse.

Alerte météorologique, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

Le matin, vers 9 h, à l’école primaire-secondaire d’Iona (Nouvelle-Écosse), on diffuse, en version bilingue déséquilibrée (quelques mots de français à la fin), l’hymne national du Canada. Au loin, en randonnée, ça dépayse.

Prendre une chambre d’hôtel au-dessus d’un bar n’est peut-être pas l’idée du siècle.

Morale de tout cela ? L’Oreille tendue se couche désormais moins niaiseuse.

L’amour de la balle

Andrew Forbes, De l’utilité de l’ennui, 2017, couverture

«l’amour du baseball
n’est pas à la portée de tout le monde»
Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion

Qui n’a pas, un après-midi d’août 1996, sous un soleil de plomb, à Reno, avec sa compagne, assisté à un concours de traite de vaches entre deux manches d’un match de baseball, lequel opposait des équipes d’une ligue semi-professionnelle ? Qui n’a pas, au milieu des années 1980, au parc de Vincennes, avec un de ses étudiants, suivi un match éliminatoire du championnat de France de baseball ? C’est à ces situations communes que songeait l’Oreille tendue en lisant le recueil d’Andrew Forbes De l’utilité de l’ennui, particulièrement le chapitre «Les gradins». Tout le monde le sait : l’amour du baseball est fait de moments comme ceux-là.

Or Andrew Forbes aime le baseball : ses rituels (les collections de cartes de joueurs, les camps d’entraînement, les saisons de 162 matchs), son histoire (il collectionne les casquettes d’équipes «défuntes», il s’attache à quelques carrières brisées), son rythme, ses lieux (stades, gradins, divans, voitures), son ennui. Dès le premier chapitre, «Sanctuaire», le baseball est décrit comme une pratique religieuse, et cela revient tout au long des textes : «besoin de croire», «chose sacrée et vibrante», «dessein spirituel». La psychologie du partisan est auscultée sous toutes les coutures. L’auteur a une équipe favorite, les Blue Jays de Toronto, et deux héros («Vous avez vos héros et moi j’ai les miens»), un contemporain, Ichiro Suzuki, et un plus ancien, Roberto Clemente. À ce sujet, on peut ne pas partager son avis : «Je ne vois pas d’autres joueurs plus dignes de cet honneur [être un héros] que Roberto Clemente.» L’Oreille, si : Jackie Robinson (peut-être pas plus, mais au moins autant). Forbes sait tout ce que le baseball doit à la radio : «Essayez de vous imaginer en train de vaquer tranquillement à vos occupations pendant l’après-midi tout en écoutant un match de hockey. L’ambiance et le décor ne concordent pas»; le baseball, c’est le contraire.

Forbes parles d’«essais»; ses traducteurs, de «textes de balle». Peu importe : se mêlent, sous sa plume, des analyses et des souvenirs, des parallèles entre la vie et le sport ainsi que des allusions au travail des écrivains. Plusieurs phrases emportent l’adhésion de l’amateur et du lecteur : «le baseball est affaire d’épiphanies»; «La saison est longue, mais l’hiver est encore plus long»; «L’échec est l’oxygène du baseball»; «Je regarde le baseball dans l’espoir d’assister à la perfection»; «Le cœur s’ennuie tendrement de tout ce qui disparaît sans promesse de retour.»

Les traducteurs de De l’utilité de l’ennui, Daniel Grenier et William S. Messier, sont deux écrivains québécois dont l’Oreille tendue a déjà loué le travail (le premier, le second, entre autres lectures). Leur traduction ne déroutera pas leurs compatriotes. Leur lexique est fait de plusieurs mots du français du Québec : «perdu dans la brume» (littéralement et au figuré), «philo de cégep», «s’obstiner» (discuter vivement), «pas à peu près», «tout croche», «prendre pour une équipe», «poser un geste», «chaudières» (seaux), «pinottes» (arachides), «sacre» (jure). C’est même vrai d’emplois parfois critiqués : «excessivement» (pour extrêmement), «dispendieux» (cher), «marié» (épousé). À un moment, l’Oreille serait allée plus loin qu’eux : au lieu de «l’accumulation de la gadoue et de la glace», elle aurait écrit «l’accumulation de la slotche et de la glace» — mais c’est affaire de goût.

Il va de soi que Grenier et Messier maîtrisent le vocabulaire technique du baseball en français du Québec; on ne les prendra pas en défaut sur ce plan. On signalera aussi quelques allusions bienvenues. Dans un monde où le gant est parfois appelé mite, on notera avec plaisir la présence de «boules à mites». Les lanceurs doivent lancer des prises, mais vient un moment dans leur carrière où ils doivent manier le «lâcher-prise». Cela étant, on peut bien sûr discutailler. À leur «cogne», l’Oreille préfère spontanément la frappe ou la claque, mais cela n’engage qu’elle (et encore). Un circuit ? Nos traducteurs : «la voilà qui s’en va». L’Oreille : «elle est partie». Pour le duo, un lanceur qui n’a plus tous ses moyens a «perdu le marbre de vue». Or ce lanceur voit encore le marbre, mais il n’arrive pas à y placer la balle comme il le voudrait. Pourquoi ne pas se contenter de la formule, plus habituelle, «il a perdu le marbre» ? Une «balle à changement de vitesse», n’est-ce pas, plus économiquement, «un changement de vitesse», surtout quand on parle, au même endroit, de «lancer» ? Bagatelles que tout cela.

Que faire après avoir lu De l’utilité de l’ennui ? Lire, du même auteur et des mêmes traducteurs, la Constance d’Ichiro et autres textes de balle (2022). Allons-y.

 

[Complément du 5 septembre 2023]

Quand elle a rédigé ce qui précède, l’Oreille tendue croyait avoir perdu les notes qu’elle avait prises en 1996. Depuis, elle les a retrouvées; elles étaient rangées dans un dossier nommé… «Baseball»… Elle peut donc préciser ses souvenirs.

Ce n’était pas en août 1996, mais le 21 juillet, au Moana Stadium de Reno. Il faisait plus de 33 degrés Celsius. Les places coûtaient 4 $. C’était le «John Coats Day», en l’honneur d’un joueur local.

Dans un match de la Western Baseball League, les Chukars de Reno ont, ce jour-là, défait les Bandits de Bend par la marque de 9 à 3, devant 1127 spectateurs, dont deux Montréalais.

Il était bien question d’une vache, mais pas d’une vache réelle. Il s’agissait plutôt d’une mascotte.

Le concours était lacté, mais sans traite; les concurrents devaient, selon les moments du match, ingurgiter la plus grande quantité possible de crème glacée ou boire un litre de lait plus rapidement que leurs opposants.

En l’occurrence, tout ce qui entourait le match était placé sous le thème du lait.

Il y eut aussi une demande en mariage : devaient convoler un instructeur des Chukars (le numéro 4, Jacques Bolton) et une dénommée Selina (orthographe approximative).

La mémoire est bien la faculté qui oublie.

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Forbes, Andrew, De l’utilité de l’ennui. Textes de balle, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2017, 196 p. Édition originale : 2016. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier. Édition numérique.

Forbes, Andrew, la Constance d’Ichiro. Nouveaux textes de balle !, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2022, 312 p. Édition originale : 2021. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier.

Découverte bien tardive

Claude Steben, dans le rôle du Capitaine Cosmos, les Satellipopettes, 1978-1987

L’Oreille tendue savait déjà que l’expression «Deux morceaux de robot», au Québec, récompensait une bonne réponse.

Exemple :

«— Tu veux dire que le projet de troisième lien destiné aux automobiles à Québec n’a jamais eu de sens ?
— Deux morceaux de robot pour toi !»

L’Oreille ne s’était jamais toutefois demandé d’où venait cette expression.

L’exposition De Pépinot à la Pat’ patrouille. Notre enfance télévisuelle du Musée canadien de l’histoire lui a fourni l’explication.

Dans l’émission pour enfant les Satellipopettes (1978-1987, soit bien après l’enfance de l’Oreille), le Capitaine Cosmos, joué par Claude Steben, «est l’animateur d’un populaire jeu de questions et d’adresse opposant des élèves de deux écoles primaires. / Lorsqu’une équipe gagne, elle remporte un ou des morceaux en vue de construire son robot.»

À votre service.

N’oublions pas Louis Sébastien Mercier

Carte du monde, années 1780, exposition Ô merde !, Québec, 19 février 2023

L’Oreille tendue le racontait hier : elle revient de voir trois expositions au Musée de la civilisation, dont Ô merde !

Pourquoi cette exposition ? Parce que le caca est un excellent révélateur «pour en apprendre sur la culture, le rapport aux autres et l’environnement».

La variété des formes de l’excrétion est à l’honneur à Québec : à l’intérieur comme à l’extérieur, sur terre et dans l’espace; textures, couleurs, odeurs; cachée ou publique; discours religieux, scientifiques et médicaux qui l’encadrent; rythme et composition chimique du pet. Autrement dit, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’étron sans jamais oser le demander.

Dix-huitiémiste de son état, l’Oreille a traqué les manifestations du siècle des Lumières dans l’exposition. Deux livres de l’époque sont présentés : De la digestion, et des maladies de l’estomac (1730, édition revue et augmentée), de Philippe Hecquet; Traité de la dyssenterie (1712), d’Antoine Maubec. Sont aussi évoqués deux innovateurs britanniques en matière de chasse d’eau : Alexander Cumings et Joseph Bramah.

L’Oreille a fort apprécié Ô merde!, mais elle y déplore une absence : celle du Tableau de Paris (1781-1788) de Louis Sébastien Mercier, dans lequel plusieurs textes sont consacrés à la gestion des matières résiduelles.

Extrait du chapitre DCCCLXIV, «Latrines», tome onzième, 1788 :

Que ceux qui ont soin de leur santé, ne jettent jamais leurs excréments chauds dans ces trous qu’on appelle latrines, et qu’ils n’aillent point offrir leur anus entrouvert à ces courants d’air pestilentiels; mieux vaudrait y mettre la bouche, car l’acide de l’estomac les corrigerait. Plusieurs maladies prennent leur origine sur ces sièges dangereux, d’où s’exhalent des miasmes putrides qu’on fait entrer dans son corps. Les enfants ont horreur de ces trous infectés; ils croient que c’est là la route de l’enfer : telle était mon opinion dans mon enfance. Heureux les paysans ! ils ne se vident qu’au soleil; ils sont frais et gaillards (éd. de 1994, tome 2, p. 1071-1072).

Méditons ces sages paroles.

 

Référence

Mercier, Louis Sébastien, Tableau de Paris, Paris, Mercure de France, coll. «Librairie du Bicentenaire de la Révolution française», 1994, 2 vol. : 8/ccii/1908 et 2063 p. Édition établie sous la direction de Jean-Claude Bonnet. Édition originale : 1781-1788.

Les cendres de René Lévesque

Cendrier et cigarettes, Musée de la civilisation, Québec, 19 février 2023

Il y a plusieurs lustres, l’Oreille tendue a visité le pavillon de Flaubert à Croisset; elle a raconté son expérience ici.

Hier, elle était au Musée de la civilisation à Québec. Elle y a vu trois expositions : le Temps des pharaons; Ô merde !; René et Lévesque.

Dans la troisième, on ne cesse de rappeler que l’ancien premier ministre du Québec fumait beaucoup. Pour être bien sûr que le public a compris, l’exposition donnait à voir plusieurs «articles de fumeur», comme on dit en nos contrées : cigarettes, paquets de cigarettes, et deux cendriers, dont au moins un n’a strictement rien à voir avec Lévesque.

Un verre de «poète», c’est beaucoup; deux cendriers de premier ministre, c’est trop.