L’histoire qui s’écrit

Pauline Marois, la chef du Parti québécois, est devenue la première première ministre du Québec le 4 septembre 2012.

À la télévision, ce soir-là, on a martelé qu’il s’agissait d’un «moment historique» et d’une «page d’histoire».

Sur Twitter, on a écrit que l’histoire s’écrivait «sous nos yeux».

La couverture du numéro de la revue Châtelaine lancé aujourd’hui va dans le même sens.

Châtelaine, septembre 2012

Le gouvernement Marois sera minoritaire ? «Une victoire historique… et un Québec divisé», titre Alec Castonguay sur son blogue de l’Actualité. «Historique mais courte», lit-on dans la Presse (5 septembre 2012, p. A4).

On aurait aimé que l’élection d’une femme au plus haut poste de l’État soit le seul événement historique de la soirée. Celle-ci passera malheureusement à l’histoire comme celle où un attentat a eu lieu en pleine célébration électorale. Ce n’est pas le premier événement de ce type au Québec, mais il restera sans aucun doute dans les mémoires.

L’Oreille tendue, elle, se souviendra aussi, et avec douleur, des appels au meurtre d’une femme élue démocratiquement que l’on a pu lire sur les médias dits «sociaux» (Twitter, Facebook). C’était (c’est) odieux.

Pudeur journalistique

Il peut parfois être difficile, pour les médias, de savoir comment citer les personnes dont ils rapportent les propos. Si ces personnes font des fautes, faut-il les corriger ? De la même façon, que faire si elles ont recours à des registres de langue jugés «familiers», voire «vulgaires» ? The New Yorker, dans son édition du 2 juillet 2012, racontait, par exemple, comment le mot «motherfucker» avait été d’adoption lente à ce magazine.

Le quotidien le Devoir, lui, vient, à trois reprises, de donner une réponse un brin étonnante à ces questions.

Le 20 août dernier, lors d’un face-à-face télévisé avec la chef du Parti québécois, Pauline Marois, Jean Charest, du Parti libéral du Québec, l’a accusée de vouloir faire planer «un épée de Démoclès» sur la tête des électeurs québécois. On l’a beaucoup raillé pour cette double bourde, répétée dans une conférence de presse tenue immédiatement après le face-à-face.

Le Devoir du lendemain a corrigé les propos de celui qui était encore premier ministre du Québec à l’époque à l’endroit de celle qui l’est devenue depuis, en écrivant «une épée de Damoclès».

Le Devoir -- Épée de Damoclès

Marie-France Bazzo, sur Twitter, a décrit cette façon de faire comme du «photoshop textuel».

Quelques jours plus tard, le 30 août, Martin Caron, un candidat du parti dirigé par François Legault, la Coalition avenir Québec, explique pourquoi il a dit du projet de loi 78, devenu loi 12, que «c’est de la marde».

Paul Journet, de la Presse, et Michel Dumais, du Journal de Montréal, rapportent la chose sur Twitter et utilisent tous les deux le mot «marde». Le Devoir est plus réservé, tant sur Twitter que sur son site Web, qui, en titre, substitue «merde» à «marde».

«Merde» dans le Devoir

Dernier cas.

Le jour des élections, le 4 septembre, Antoine Robitaille, lui aussi du Devoir, suit Jean Charest. Il twitte ceci : «Manifestants à l’arrivée de Jean Charest au local électoral libéral de Vimont. 3 manifestants, 3 affiches, une faute.» Et il reproduit l’affiche fautive, avec son «s» de trop à «dégages» :

Trois pancartes dans le Devoir

Le Devoir du lendemain publie en p. A1 et A10 un texte de Robitaille, accompagné d’une photo montrant les trois mêmes manifestants avec leurs affiches. Un détail diffère cependant : la photo est cadrée de telle façon que le «s» inutile de «dégages» a disparu. Sur cette photo-là, il n’y a plus de fautes.

Que se passe-t-il donc au Devoir pour que la pudicité linguistique s’y fasse sentir de cette façon ?

Langue de campagne (22)

La campagne électorale québécoise s’achève : on vote aujourd’hui.

On s’est plaint, plus à gauche qu’à droite, de l’absence de la culture durant cette campagne. C’est largement exagéré.

Jean Charest n’a jamais hésité à exposer l’étendue de sa culture classique. Lors du débat des chefs du 19 août, il a parlé d’«Éole, le vent». Le lendemain, toujours à la télévision, il évoquait «un épée de Démoclès».

Les électeurs ont aussi eu droit à deux chansons, «À nous de choisir», la chanson-thème du Parti québécois, et «Dans les yeux de Léo», de Dominique Beauchamp, alias DouceRebelle, un hymne à la gloire de Léo Bureau-Blouin, candidat du même parti dans la circonscription de Laval-des-Rapides.

Ce n’est quand même pas rien.

Langue de campagne (21)

En cette année olympique et électorale, du moins au Québec, à qui attribuer des médailles pour les plus belles fautes de langue de la campagne qui vient de se terminer ? La compétition est forte.

La médaille de bronze pourrait aller à Manon Massé, candidate montréalaise pour Québec solidaire, pour un tweet du début août, aujourd’hui disparu du sien, mais encore visible sur d’autres comptes : «@ManonMasse_Qs: QS sera debout pour défendre les travailleurs-trices.» Cette féminisation de «travailleurs» était pour le moins inattendue.

La médaille d’argent irait à Jean Charest, l’actuel premier ministre du Québec et chef du Parti libéral, pour une déclaration de son face-à-face télévisé du 20 août avec Pauline Marois, la chef du Parti québécois, déclaration reprise en conférence de presse immédiatement après ce face-à-face : il accusait son adversaire de laisser planer «un épée de Démoclès» (au lieu d’«une épée de Damoclès») sur la tête des Québécois.

François Legault, de la Coalition avenir Québec, mériterait la médaille d’or avec son «Jacques Duchesneau a été enquêté», plusieurs fois répété dans les débats télévisés du 21 et du 22 août. On pourrait aussi la lui remettre pour son utilisation immodérée de la formule «C’que l’Québec a besoin».

Félicitations à tous.

Langue de campagne (19)

Les expressions et mots préférés des chefs de parti politique du Québec, surtout selon les débats télévisés des 19, 20, 21 et 22 août ?

Jean Charest (Parti libéral) : «poser des gestes», «cela étant dit» et «pour cent». Voilà un homme responsable, mais qui sait faire la part des choses et qui est tout à fait capable de retenir des statistiques.

François Legault (Coalition avenir Québec) : «gêné», «livrer la marchandise». Voilà un autre homme responsable, qui tient ses promesses, même s’il se laisse parfois emporter : le 22 août, il a répété cinq fois de suite «wô»; le lendemain, c’était «non» et «complètement faux» quatre fois, et «wow», deux fois.

Pauline Marois (Parti québécois) : «cependant», «petit peu» (l’autobus des médias attachés à la couverture de sa tournée électorale a été surnommé «le petit peu bus») et «bein» (pour «bien»). Voilà une femme nuancée, modérée et qui sait parler comme le peuple.

Ce n’est pas plus compliqué que cela.