Une weltanschauung dans un adjectif

D’une part, ses études. Ses cours de philosophie au cégep n’ont pas laissé à l’Oreille tendue les souvenirs attendus. Elle en retient cependant un mot, weltanschauung, la vision du monde. (À dix-huit ans, ça sonne fort.)

De l’autre, sa bible, le Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française de Jean Girodet, plusieurs fois réédité depuis 1981. Elle y trouve ceci à l’entrée deuxième : «En principe, second doit s’employer quand il y a seulement deux éléments, deuxième quand il y en a plus de deux» (éd. de 1988, p. 237).

Seconde Guerre mondiale ou Deuxième Guerre mondiale ? L’Oreille choisit la seconde expression. C’est dire si elle est optimiste.

 

[Complément du 29 juillet 2014]

Tous les grammairiens ne s’entendent pas là-dessus, il est vrai : «L’usage a toujours ignoré ces raffinements (que Littré contestait déjà)» (le Bon Usage, douzième édition, § 581 b).

En revanche, écrit @fbon sur Twitter, «ts correcteurs édition respectent».

Le débat reste ouvert.

 

[Complément du 6 novembre 2015]

«Radio-Canada présente la seconde et dernière saison de Série noire», écrit en titre le quotidien le Devoir du 5 novembre 2015 (p. B9). Un puriste pourrait lui reprocher de faire dans le pléonasme.

 

[Complément du 6 novembre 2015]

Réponse du quotidien :

 

 

[Complément du 17 février 2019]

Pareille distinction existerait-elle en norvégien ? On peut se poser la question en lisant Police, de Jo Nesbø, traduit par Alain Gnaedig :

«Ah merde !» Arnold s’était penché en avant. «Et en troisième lieu ?»
Harry fit signe à Nina qu’il voulait l’addition.
«Est-ce que j’ai parlé d’un troisième lieu ?
— Tu as dit “deuxième”, et pas “second”, comme si tu n’avais pas terminé ton énumération.
— Il va falloir que je fasse plus attention au choix de mes mots» (p. 336).

 

[Complément du 9 mars 2024]

La narratrice du Roman d’Isoline (2024), de David Turgeon, se tâte :

je ne sais pas encore, Rebecca, si j’écrirai seconde au lieu de deuxième, je connais la règle (enfin je sais que ce n’est pas une règle à proprement parler) mais je ne sais pas

[…]

ce n’était pas une troisième réplique, c’était l’écho de la deuxième

la seconde, en l’occurrence (p. 80-81)

 

Références

Girodet, Jean, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988 (troisième édition), 896 p.

Grevisse, Maurice, le Bon Usage. Grammaire française, Paris-Gembloux, Duculot, 1986 (douzième édition refondue par André Goose), xxxvi/1768 p.

Nesbø, Jo, Police. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 762, 2014, 670 p. Traduction d’Alain Gnaedig. Édition originale : 2013.

Turgeon, David, le Roman d’Isoline, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 186, 2024, 196 p.

Mise au point nécessaire

Le constructeur automobile Ford lance le système Sync : vous parlez à votre voiture pour contrôler votre lecteur multimédia ou pour utiliser votre téléphone.

Sync offre une commande Messages textes audibles :

Vous voulez recevoir et répondre à un message texte au volant ? Aucun problème avec Sync, il vous suffit d’appuyer sur un bouton et Sync vous le lira. Le système est assez intelligent pour traduire des expressions courantes en langage SMS comme MDR et :). Et en plus, vous pouvez répondre en mode mains libres. Dites simplement à Sync d’envoyer une de ses 15 réponses textes personnalisées.

La publicité télévisée de Ford met en vedette cette commande. On entend une voix (féminine) lire un texto : «Amène-moi une pinte de lait.»

Le système n’est encore pas tout à fait au point. La voix est un peu artificielle. Les fautes de langue, par exemple un verbe mal choisi («Amène»), ne sont pas corrigées.

Ça viendra ?

Cochon vicieux

Les publicités télévisées pour les produits de charcuterie Lafleur sont désolantes : accent caricaturalement nasillard en voix off, graphisme primaire, scénarios affligeants.

Ajoutons à cela une langue grossièrement fautive : «Qu’est-ce que tu dirais que j’te f’rais un bon déjeuner ?»

La totale.

De l’apocope

Tout le monde fréquente l’apocope. Le Petit Robert la définit ainsi : «Chute d’un phonème, d’une ou plusieurs syllabes à la fin d’un mot» (édition numérique de 2007). Exemples ? Télé pour télévision, cinéma pour cinématographe, taxi pour taximètre.

Dans 99 mots et expressions à foutre à la poubelle (2009), Jean-Loup Chiflet ne paraît guère apprécier ce type de troncation : l’«homme pressé» est «si pressé qu’il écourte tout, vivant à l’heure de l’apocope qui mutile les adolescents pour en faire des ados à vélo ou à moto qui vont au ciné porno même s’ils sont cathos» (p. 11).

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de relever quelques formes nouvelles de l’apocope : diff pour difficile, confo pour confortable.

Dialogue à la radio, il y a peu : «Elle.— Je vous remercie. Lui. — C’est moi.» Comment désigner pareille coupure, chère aux garçons de café hexagonaux, non pas d’un phonème, d’une syllabe ou de plusieurs «à la fin d’un mot», mais de mots complets à la fin d’une phrase (C’est moi mis pour C’est moi qui vous remercie) ?

Doit-on parler d’apocope syntaxique ? Question full de diff.

 

[Complément du 15 novembre 2017]

Cette apocope, repérée par @jeanphipayette en Finlande, ne pousse guère à la consommation.

Produit alimentaire nommé «gastro» en Finlande

 

Référence

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

La liberté de PKP

Portrait de Fontenelle

Pierre Karl Péladeau est président et chef de la direction du groupe Quebecor (médias, imprimeries, télécommunications, etc.). On l’entend souvent chanter les mérites de la convergence et rappeler la prépondérance des contenus sur leurs canaux de diffusion dans l’économie médiatique contemporaine.

Hier soir, au gala célébrant le centième anniversaire du Devoir, il a fait preuve, dans son allocution, d’une grande liberté.

Envers la syntaxe, d’abord : beaucoup de ces phrases étaient bancales.

Envers l’histoire de la littérature, ensuite : il a associé Fontenelle, l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, et le quotidien montréalais. Le prétexte ? Fontenelle est mort quelques semaines avant d’avoir 100 ans, alors que le Devoir, lui, est bel et bien centenaire. Le rapport entre le XVIIIe siècle et le journal ? La liberté de penser (si l’Oreille tendue a bien compris). L’Encyclopédie ramenée au seul nom de Fontenelle ? Cela relève, c’est le moins qu’on puisse dire, du raccourci historique : Fontenelle n’a pas collaboré à l’entreprise, bien qu’il l’ait influencée.

Pierre Karl Péladeau a raison : les contenus sont importants.