Perplexité linguisticocommerciale du jour

Doordash, publicité, 7 avril 2022

Devant la publicité ci-dessus, l’Oreille tendue se demande s’il vaut vraiment la peine de faire une «première commande» auprès de ce service de livraison de nourriture. Quel serait l’intérêt, pour elle, d’«obtenir 0 $ de frais de livraison» ? Ne rien obtenir, cela peut-il être un but dans la vie ?

Tant de questions, si peu d’heures.

Swift à toutes les sauces

En 1726 paraît Gulliver’s Travels de Jonathan Swift. Ces voyages imaginaires ont connu une fortune considérable, notamment au cinéma et à la télévision.

C’est aussi vrai du dessin d’humour, dans lequel on aime bien rejouer la scène où Lemuel Gulliver, sur l’île de Lilliput, se réveille couché sur le dos, retenu par des câbles. Le 1er décembre 2018, André-Philippe Côté a ainsi mis en scène le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. Le 9 novembre 2020, Michael de Adder appliquait le même traitement au 45e président des États-Unis.

Grâce au magnifique site Wikia La BD de journal au Québec, l’Oreille tendue découvre une publicité illustrée parue dans la Presse le 8 mai 1943, en pleine Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’encourager les lecteurs du quotidien montréalais à participer à l’effort de guerre et à acheter des Obligations de la Victoire : tout effort individuel, même modeste, contribuera à financer «la machine de guerre la plus puissante de l’histoire du monde».

Publicité pour les Obligations de la Victoire, la Presse, 8 mai 1943

La littérature et le dessin, armes de guerre ?

P.-S.—Oui, vous avez bien lu, l’Oreille tendue évoquait la caricature de Côté dans son livre Nos Lumières (2020).

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Quiz télévisuel du jour

Un motel de Lac Mégantic offre la télévision couleur, 31 août 2021

L’Oreille tendue s’interroge : ses bénéficiaires et elle partagent-ils une culture télévisuelle états-unienne commune ?

Pour le savoir, prière de répondre à quelques questions dans la section des commentaires ci-dessous. (Attention : l’Oreille cite de mémoire.)

«Prison [jail ?] doesn’t count.» Un point pour le nom de la série.

«His life is a fantasy camp.» Un point pour le nom de la série et un point pour le nom du personnage décrit.

«He doesn’t like brocoli.» Un point pour le nom de la série et un point pour le nom du personnage évoqué.

«Yo-Yo Ma. Boutros Boutros-Ghali.» Un point pour le nom de la série.

Total des points : 6.

Oui, il y a un problème

«C’est quoi le problème ?»
(4 juillet 2012)

Les exemples ne manquent pas : les Québécois préfèrent les problématiques aux problèmes (voir ici).

À une époque, une informatrice avisée de l’Oreille tendue, appelons-la encore l’Acéricultrice, se demandait si inconvénient n’allait pas aussi supplanter problème, désagrément, perturbation, dérangement : «Nous rénovons pour mieux vous servir. Désolé des inconvénients.»

Pas plus tard que le 23 décembre, un autre de ses informateurs, pas moins avisé, l’Oreille québecquoise, écrivait ceci à l’Oreille :

Il me semble que, par les temps qui courent, on entend souvent enjeu là où on attendrait problème ou difficulté. Des exemples ? François Legault hier soir : «Il n’y a pas d’enjeu de ce côté-là.» Notre entrepreneur dans les dernières semaines : «Il y a, ici, un enjeu d’espace.» On dit aussi parfois enjeux de société pour parler de réalités qui, il me semble, devraient plutôt être considérées comme des problèmes, voire des irritants (!).

Puis arrive la veille du Premier de l’an. Une alerte numérique fait planter plusieurs commandes d’un fournisseur de services télévisuels. De quoi s’agit-il ? «À la suite de l’alerte en lien avec le couvre-feu instauré par le gouvernement du Québec, certains de nos clients pourraient vivre un enjeu avec leur service de télévision» (tweet effacé depuis).

Si l’on se fie aux réactions des clients de ce fournisseur de services, il y avait, ce soir-là, un vrai problème, pas seulement un enjeu.

Le 1er janvier 2013, l’Acéricultrice écrivait ceci sur Twitter : «Ça veut dire quoi, “développer un enjeu” ? #PerplexitéDuNouvelAn.»

Pile-poil neuf ans plus tard, qu’écrit @machinaecrire, autre informateur de première ligne ? «Cette année, je vous souhaite de ne connaître ni enjeux, ni problématiques.»

Les informateurs de l’Oreille tendue ont un don de prescience.

P.-S.—Ce n’était pas mieux en anglais : les enjeux y sont des issues.

Tweet de Vidéotron, 31 décembre 2021

 

[Complément du 17 janvier 2022]

Distinguons : s’il faut en croire certain acteur gouvernemental québécois en matière de lutte contre la pandémie, il y a enjeu et enjeu nommé.

Exemple : «Ce n’était pas un enjeu nommé. […] C’est le 11 mars qu’on peut considérer […] qu’on parlait d’un enjeu exprimé par quelqu’un en autorité ou par un répondant de la santé publique» (Martin Simard).

C’est noté.

 

[Complément du 18 janvier 2022]

Il y a quelques années, nous avions vu que le souci peut être un problème.

N’achetons pas local

Gilles Guilbault, joué par Michel Forget, dans Lance et compte

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ : «La majorité achète ces bonnes paroles.» Pourtant, il n’y avait pas de «bonnes paroles» à vendre.

D’où vient alors ce «achète» ? Directement de l’anglais : «The majority buys that argument» (traduction volontairement très libre).

Par quoi le remplacer ? Accepte, fait siennes, etc.

P.-S.—Les amateurs de séries télévisées québécoises se souviendront évidemment du Gilles Guilbault de Lance et compte : «J’achète pas ça.»