Autopromotion 569

RaccourSci, logo, 13 mai 2021

Pour le site RaccourSci. La communication scientifique sans détour, l’Oreille tendue vient de rédiger le texte «Du bon usage (ou pas) des notes». Il se trouve ici.

RaccourSci est le fruit d’une collaboration entre l’Association francophone pour le savoir (Acfas) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Il s’agit d’une «une plateforme numérique qui a pour but de donner des outils à la communauté universitaire, et à qui en ressent le besoin, pour apprendre à mieux communiquer».

La thèse, entrée et sortie

Emmanuelle Bernheim et Pierre Noreau (édit.), la Thèse. Un guide pour y entrer… et s’en sortir, 2016, couvertureLes manuels sur «l’art de la thèse» ne manquent pas (l’Oreille tendue leur consacre une rubrique, «Thèses sur la thèse»). La Thèse. Un guide pour y entrer… et s’en sortir, un volume collectif dirigé par Emmanuelle Bernheim et Pierre Noreau en 2016, doit donc être considéré par rapport à eux. Qu’est-ce qui le caractérise, au-delà du fait qu’il soit d’abord destiné à une public nord-américain (p. 8) ?

On y aborde des sujets que tous les manuels ne couvrent pas, mais qui sont nécessaires : «L’intégration dans un contexte universitaire étranger» (chap. 4); la conciliation famille / doctorat (chap. 7 et chap. 8); «Écrire une thèse dans une langue autre que la sienne» (chap. 16); «Mettre fin à sa thèse : une éventualité à ne pas négliger» (chap. 22). D’autres sujets sont attendus, et pas moins nécessaires : les motivations des doctorants (chap. 1 et chap. 2); le financement (chap. 2, chap. 4 et chap. 6, par exemple); le choix d’un directeur de thèse et le travail qui s’ensuit (chap. 3 et chap. 15); la dimension psychologique de la thèse (chap. 12, chap. 14 et chap. 18, par exemple).

Quelques chapitres sont particulièrement réussis, mais on notera qu’ils ne s’appliquent pas à toutes les disciplines : «La conciliation études doctorales et famille» (chap. 8); «Formuler — et reformuler — la question de recherche» (chap. 10); «La thèse sous forme d’articles» (chap. 17); «La soutenance, entre épreuve et couronnement» (chap. 19); «La dépression d’après-thèse» (chap. 20); «La profession de chercheur d’établissement» (chap. 23). Certaines phrases font sourire : «Si ce n’est déjà fait, procurez-vous le plus grand format de congélateur existant» (p. 97); le directeur de thèse est «un être humain avec des bien des défauts comme tout le monde» (p. 165); «les premières années consacrées à la thèse font dévier totalement l’étudiant de la route du bon sens ordinaire» (p. 269); «Le directeur de thèse demeure l’astre autour duquel l’étudiant doit être à l’aise de graviter» (p. 289). D’autres sont à ne pas oublier : «Votre thèse sera imparfaite… et vous n’êtes pas votre thèse» (p. 190).

Le principal reproche que l’on peut adresser à l’ouvrage est son caractère trop souvent général, sans suffisamment d’appui sur des exemples concrets (c’est vrai d’une dizaine des vingt-quatre chapitres). Il y a là beaucoup de principes, des conseils (souvent justes, beaucoup repris d’un texte à l’autre), mais trop peu d’applications précises. Les «expériences d’étudiants» évoquées en introduction (p. 7) sont bien, en règle générale, peu incarnées.

P.-S.—Page 288, note 4, un extrait de film est évoqué; plusieurs s’y reconnaîtront.

 

Référence

Bernheim, Emmanuelle et Pierre Noreau (édit.), la Thèse. Un guide pour y entrer… et s’en sortir, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2016, 344 p. Ill.

Former de nouveaux chercheurs

Yves Chevrel et Yen-Maï Tran-Gervat, Guide pratique de la recherche en littérature, 2018, couverture

«Chacun doit ici se forger des outils qui lui sont propres.»

En 1992, Yves Chevrel publiait, chez Hachette, l’Étudiant-chercheur en littérature; en 2003, cet ouvrage en était à sa sixième édition. L’an dernier, avec Yen-Maï Tran-Gervat, il faisait paraître un Guide pratique de la recherche en littérature. Il y a beaucoup de bien à en dire.

On y trouve ce qu’on y cherche, grâce une table des matière détaillée et à un index : une définition de la recherche en littérature (chapitre premier); les grandes orientations de la recherche (chapitre 3); des principes et des méthodes, une déontologie (chapitre 4); une réflexion sur les outils (chapitre 5); des réponses à des questions spécifiques (chapitre 6); des conseils en matière de rédaction et de présentation de la recherche (chapitre 7). Le contenu du deuxième chapitre, «L’œuvre littéraire», est plus inattendu : les auteurs s’essaient à une définition de ce que c’est qu’une œuvre en littérature. C’est plus compliqué qu’il n’y paraît.

Le public est circonscrit : «Ce guide s’adresse particulièrement aux étudiantes qui s’apprêtent à rédiger un mémoire de master ou une thèse de doctorat» (p. 26). (Pour l’emploi du féminin, voir ci-dessous.) Il y a des masses d’exemples, certains brefs mais parlants (sur les éditions de Voltaire), d’autres plus développés (sur Du Bellay, Flaubert, Ibsen, la littérature française contemporaine, le baroque, le théâtre français au XVIIIe siècle, Daudet et Dickens). Les auteurs sont professeurs de littérature comparée, ce qui explique la diversité linguistique et géographique de leurs objets.

Tout un chacun trouvera évidemment à ergoter. Les analyses sociologiques et sociocritiques de la littérature, de même que l’histoire culturelle, sont absentes du troisième chapitre. Il est question des logiciels de gestion bibliographique (p. 106, p. 110, p. 157), mais on n’y insiste pas assez : cela devrait se trouver parmi les outils de base de tout nouveau chercheur. Il n’est pas question des états présents, ces outils si utiles, par exemple ceux de la revue French Studies. On aborde le fonctionnement du monde de la recherche universitaire en France (ce qui correspond au public visé), mais il aurait été bon de dire quelques mots de l’univers de la publication scientifique (qu’est-ce que l’évaluation par les pairs ? qu’est-ce que le libre accès ?). Le metteur en scène est-il vraiment une création de «la fin du XIXe siècle» (p. 91). Sauf erreur, la MLA International Bibliography n’est pas décrite. Rien là de bien grave.

Trois aspects du Guide pratique de la recherche en littérature méritent enfin d’être salués.

Dès 1992 (l’Étudiant-chercheur en littérature) et 1994 (la Recherche en littérature), Yves Chevrel s’est montré sensible à ce que le numérique allait nécessairement changer à la recherche en études littéraires. Lui et Yen-Maï Tran-Gervat poursuivent dans la même voie, qui présentent tant des outils bien concrets que des interrogations sur les concepts que le numérique oblige à repenser. On les remerciera notamment de ne pas avoir diabolisé Wikipédia (p. 131-132, p. 144, p. 155). Les passages sur le numérique sont utiles et nuancés.

À une époque où nombre de commentateurs d’arrière-garde s’en prennent (encore) à la féminisation des textes, les auteurs ont fait un choix qui n’est qu’à eux :

Cet ouvrage s’adresse à toute personne intéressée par les problèmes de la recherche en littérature : étudiant-chercheur ou étudiante-chercheuse. Pour rappeler cette évidence, nous avons eu recours, en Introduction et en Conclusion, à des formules redondantes, à l’instar de celle de la phrase précédente. En revanche, dans le corps de l’ouvrage, afin d’éviter de multiplier ces redondances ou de faire appel à des graphies peu lisibles et imprononçables telles quelles («directeur.trice»), nous avons préféré une solution qui étonnera ou fera sourire : les fonctions (étudiant / étudiante) et les titres (directeur / directrice) sont au féminin dans les chapitres impairs […], au masculin dans les chapitres pairs […] (p. 9).

En fin d’ouvrage, non sans ironie, Yves Chevrel et Yen-Maï Tran-Gervat indiqueront qu’ils ne recommandent pas cette façon de faire (p. 162). Cela étant, on s’y fait.

La dernière des choses à signaler est que les auteurs, sans peut-être le dire aussi explicitement, profitent de plusieurs occasions pour rappeler que la recherche littéraire, à sa façon, est une recherche scientifique. Cela se manifeste dans l’attention apportée à la bibliographie. On ne pense jamais seul.

P.-S.—Non, il n’y a pas de «langue» propre au Québec (p. 75); on y parle français.

 

Références

Chevrel, Yves, l’Étudiant-chercheur en littérature. Guide pratique, Paris, Hachette, coll. «Hachette Université», série «Littérature», 1992, 159 p.

Chevrel, Yves, la Recherche en littérature, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 2908, 1994, 126 p.

Chevrel, Yves et Yen-Maï Tran-Gervat, Guide pratique de la recherche en littérature, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, coll. «Les fondamentaux de la Sorbonne nouvelle», 2018, 177 p.

L’art du pastiche

Nadine Bismuth, Un lien familial, 2018, couverture

La parodie doit faire rire : on sait qu’il y a moquerie. Le pastiche est plus subtil, qui mêle appropriation stylistique et différence perceptible. Tout y est affaire de distance finement mesurée.

La romancière Nadine Bismuth avait déjà fait la preuve de sa maîtrise du pastiche dans Scrapbook en 2004. On y trouvait un vrai-faux projet de thèse de doctorat qui n’aurait (presque) pas déparé un dossier universitaire (éd. 2006, p. 203-205).

Rebelote avec Un lien familial, paru l’an dernier. Les parents apprécieront les messages de l’«enseignante» de la petite Charlotte, points d’exclamation à l’appui (p. 123, p. 192). Les amateurs de cuisine goûteront le blogue d’Isabelle, ses recettes, ses conseils et son autoportrait en creux (p. 60-65). Les lecteurs de communiqués de presse — il s’en trouve — se réjouiront devant celui signé Romane Trépanier (p. 275-276).

L’Oreille tendue ne peut qu’applaudir devant l’art avec lequel Nadine Bismuth fait entendre nombre d’aspects du sociolecte montréalais contemporain, ceux-là comme d’autres.

 

Références

Bismuth, Nadine, Scrapbook. Roman, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 176, 2006, 393 p. Édition originale : 2004.

Bismuth, Nadine, Un lien familial. Roman, Montréal, Boréal, 2018, 317 p.

Les littéracies universitaires par l’exemple

Comment évaluer une revue scientifique ?

«Par ma foi !
il y a plus de quarante ans que je dis de la prose
sans que j’en susse rien,
et je vous suis le plus obligé du monde
de m’avoir appris cela.»
Molière, le Bourgeois gentilhomme, acte II, sc. IV

Pas plus tard qu’hier, rendant compte de l’ouvrage Écriture scientifique, écriture sous contraintes ?, l’Oreille tendue signalait l’importance qu’elle accordait aux littéracies universitaires.

Premier rappel, sous forme de citation de Carole Glorieux : «Le champ des littéracies universitaires est un champ en construction qui traite de l’appropriation et de la maîtrise, par les étudiants, des discours universitaires, ce qui sous-tend non seulement l’apprentissage de pratiques lecturo-scripturales mais implique aussi la prise en compte d’un certain type de rapport à l’écrit universitaire» («La question du brouillage des désignations dans les mémoires d’application en journalisme», p. 119-133, p. 119 n. 2).

Second rappel, sous forme d’autocitation : Allons plus loin. Le travail nécessaire sur les littéracies universitaires, qui portent sur l’écrit, ne peut suffire à lever le voile sur ce qu’est le monde de la recherche. Avec les étudiants des cycles supérieurs, il faut aussi traiter des pratiques de sociabilité (le colloque, la soutenance de thèse) et du fonctionnement des institutions universitaires (l’évaluation par les pairs, le monde de la publication savante, la structuration des carrières). Entrer en thèse, c’est se trouver devant tout cela.

Il se trouve que l’Oreille donne depuis plusieurs années un séminaire obligatoire pour tous les nouveaux doctorants du département de lettres françaises où elle enseigne. Pendant longtemps, ce séminaire s’est appelé «Séminaire de méthodologie». Pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici, il s’appelle maintenant «Séminaire collectif de doctorat». L’Oreille y aborde toujours des questions de méthodologie, mais elle a voulu donner à son enseignement une tournure «professionnalisante». Sans le savoir, elle traitait de littéracies universitaires.

Qu’est-ce à dire ? Voyons quelques sujets abordés dans ce séminaire, dans le désordre et sans exhaustivité. Tous ne sont pas abordés tous les ans et ils sont déterminés par les compétences de l’Oreille (elle ne sait pas coder, par exemple).

Wikipédia : son fonctionnement; son utilisation en thèse; son intérêt pour l’écriture de vulgarisation.

La communication scientifique : en colloque (le respect des consignes, le bon usage des supports visuels, les nouvelles formes de rencontres); dans les médias; devant le grand public.

La rédaction scientifique : outils d’aide (imprimés, en ligne); formations; modes de collaboration (les ateliers de rédaction); styles et formes (la proposition de communication ou d’article, le compte rendu, l’article, etc.).

L’édition savante : remarques historiques; publish or perish; évaluation par les pairs (description, critique, transformation); autorité et légitimité; libre accès; livres, articles, chapitres de livres; blogues et réseaux sociaux; passage de la thèse au livre.

Le numérique : nouveaux corpus; nouveaux modes d’édition; nouveaux types d’écriture; nouvelle conception de la recherche (recherche collective et recherche individuelle).

Carrières universitaires (modes de recrutement; évolution des carrières) et non universitaires.

La première séance s’ouvre sur une discussion libre, inspirée de textes de François Bon, d’Arnaud Maïsetti et de Thibault Le Hégarat, durant laquelle les étudiants et le professeur doivent répondre à une seule question : concrètement, avec quels outils numériques travaillez-vous au quotidien ? (C’est passionnant.)

L’Oreille reste tendue : que traiteriez-vous dans ce genre de séminaire ? Les commentaires sont ouverts.

P.-S.—Oui, en effet, on voit probablement plus souvent littératie que littéracie.

P.-P.-S.—Ce ne sont pas les lectures qui manquent en ce domaine (voir ici).

 

Référence

Gravet, Catherine (édit.), Écriture scientifique, écriture sous contraintes ?, Mons, Université de Mons, Service de Communication écrite, coll. «Travaux et documents», 5, 2014, 145 p. Ill.