Contrairement à ce qui s’est passé en France, l’aubergine du Québec n’est pas devenue une pervenche.
La preuve, en première page du Journal de Montréal du 27 mai (merci à @lesappendices).
Deux questions.
Le mot aubergine — que la fonction qu’il désigne soit occupée par un homme ou par une femme — est féminin. Comment expliquer le masculin de «Agressés», «Insultés», «Intimidés» ?
Pourquoi l’italique d’«aubergines» ? Le mot est au Petit Robert : «Contractuelle parisienne qui était vêtue d’un uniforme aubergine» (édition numérique de 2010). Le Journal de Montréal aurait-il inventé l’italique géographique (traduction libre : «Ce mot existe, mais il est plus français [«parisienne»] que québécois, d’où la nécessité de le souligner») ?
La langue du fleuron de l’empire de PKP mériterait une étude.
P.-S. — Remarque étymologique, gracieuseté du même Petit Robert, à l’entrée «pervenche» : «Les pervenches étaient autrefois appelées aubergines.» Pas partout.
Les raisons de lire Une autre vie (2008), l’autobiographie de Per Olov Enquist, ne manquent pas : la force des mots, l’importance du sport, l’art de la variation, l’absence d’apitoiement sur soi.
Sa lecture est malgré tout accompagnée de menus désagréments.
Tel un quelconque ministre du gouvernement fédéral canadien, un ancien premier ministre suédois aurait eu un «agenda» politique : «Olof Palme ravit leur agenda aux jeunes libéraux […]» (p. 171). Non, sauf s’il leur a vraiment fauché un «Carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu’on doit faire, ses rendez-vous, ses dépenses, etc.» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).
La comédienne danoise Johanne Luise Heiberg, comme n’importe quel chef d’État britannique, a raconté sa vie. Ses Mémoires auraient été «relues et écourtées par ses amis» (p. 358). Non : le mot est masculin. (Au moins, la majuscule initiale, elle, y est.)
Enquist tient un journal intime : «À cinq heures de l’après-midi, décide de quitter» (p. 434). Les Suédois partageraient-ils avec les Québécois la méconnaissance de certain verbe transitif ?
À ses heures, l’Oreille tendue fait dans l’édition. Elle est donc fort marrie de lire un ouvrage où les capitales ne sont pas accentuées et où les guillemets anglais (“ ”) sont préférés aux français (« »).
C’est tout. (Ça va mieux.)
Référence
Enquist, Per Olov, Une autre vie. Récit, Arles, Actes Sud, coll. «Lettres scandinaves», 2010, 475 p. Traduction de Lena Grumbach et Catherine Marcus. Édition originale : 2008.
Il y a quelque temps, on a vu, citation de Christian Gailly à l’appui, qu’une Américaine n’est pas une américaine. Rebelote, en quelque sorte.
Nicolas Ancion : «Quittant en un mouvement le bord du trottoir, il se glisse entre deux petites japonaises, une rouge et une bleue.» Une Japonaise rouge (ou bleue), cela (d)étonnerait.
Sébastien Bailly : «Le français ne supporte pas la faute de grammaire» (p. 35). La situation est plus trouble dans ce cas : s’il n’est pas sûr que le français «ne supporte pas la faute de grammaire», il est avéré, en revanche, que beaucoup de Français affirment ne pas la souffrir.
Sur Twitter : «Je vais enfin “avoir” mon grand danois !» (@Mlle_V). Un grand Danois, ce ne serait pas tout à fait pareil.
Entre majuscule et minuscule, et vice versa, il y a un monde.
Que font-ils ? Ils écrivent des textes où la langue est mise en scène. Des heures d’écoute en perspective.
Amie, et néanmoins collègue, de l’Oreille tendue, Lucie Bourassa étudie le français de Katalin Molnár dans la revue numérique @nalyses. (Il faut avoir l’oreille fine.)
Dans la collection «Paragraphes», le collègue, et néanmoins ami, de l’Oreille Francis Gingras a réédité, en une version revue et corrigée, son Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française.
Frédéric Werst, avec Ward, invente une nouvelle langue.
Le livre que voici se présente comme une anthologie de la littérature d’un peuple imaginaire, les Wards. Dans les extraits qui la composent, j’ai cherché à évoquer ces gens, leur histoire, leur monde, leurs mythes, leurs idées, élaborant des genres littéraire, essayant des principes formels ou esthétiques, rêvant des poètes ou des prosateurs, des théologiens ou des philosophes — mais avant tout, c’est de l’invention d’une langue qu’il était question. Cette anthologie est en effet bilingue, et j’ai choisi de donner de ces textes, outre une traduction française, leur version originale dans la langue des Wards, le «wardwesân» (p. 11).
La fondatrice de Wordnik, Erin McKean, proposait, le 9 janvier, dans sa chronique du Boston Globe, ses découvertes de l’année en matière linguistique. Elle y causait culturomics — l’utilisation de Google Books pour analyser la langue —, palinisme — refudiate, encore une fois —, néologie — l’entrée du mot eggcorn dans le Oxford English Dictionary; Wikileaks —, prononciation — celle du Eyjafjallajökull. Elle y renvoyait aussi à une étonnante vidéo typographique contre le purisme linguistique (anglo-saxon), celle de Stephen Fry. À voir.
Références
Bourassa, Lucie, « Du français, dlalang et des poèmes incorrects : langage et poétique chez Katalin Molnár», article numérique, @nalyses, 14 décembre 2010. https://doi.org/10.18192/analyses.v5i3.588
Gingras, Francis (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Université de Montréal, Département des littératures de langue française, coll. «Paragraphes», 26, 2007, 525 p. Réédition revue et corrigée : 2009, 516 p.
McKean, Erin, «The Year in Language», The Boston Globe, 9 janvier 2011.