Voltaire au musée diocésain

Voltaire, «Écrasons l’infâme !», Sherbrooke, mars 2022

Ironie de départ : tenir une «Exposition d’œuvres et de document [sic] d’archives de Voltaire» au Centre d’archives Mgr-Antoine-Racine du diocèse de Sherbrooke ne manque pas de sel quand on connaît la fibre antireligieuse de l’écrivain. Ironie d’arrivée : coller au mur des toilettes une affichette «Bien vouloir éteindre les lumières en sortant» montre l’importance des majuscules en français (on ne confondra pas «les lumières» et «les Lumières»).

«Sa vie / sa plume / Voltaire / son influence au Québec / Plus de 60 documents originaux» est une exposition de la commissaire invitée Chloë Southam, assistée de Pierre Hébert et Peter Southam à la recherche et à la rédaction. Beaucoup des pièces de l’exposition proviennent de la collection familiale de Peter Southam. Comment se sont-elles retrouvées au Québec ? Jean-François Nadeau, dans le Devoir, l’explique ici; le principal intéressé, .

La salle d’exposition donne à voir trois choses : une statue de Voltaire (par Émile Lambert), de grands portraits de Voltaire posés sur des colonnes (accompagnés de légendes : «Aux maux les plus affreux le ciel nous abandonne. 1713»; «Je ne suis pas chrétien, Mais [sic] c’est pour t’aimer mieux. 1722»; «Immortelle Émilie, Disciple [sic] de Newton et de la vérité. 1736»; «Il faut cultiver notre jardin. 1759»; «Écrasons l’infâme. 1763-78»), huit vitrines. Les six premières présentent la vie de Voltaire : I. La jeunesse parisienne (1694-1726); II. Les premières années d’exil (1726-1744); III. L’historien et le courtisan (1745-1757); IV, V et VI. Ferney (1758-1778). Les deux dernières portent sur la fortune québécoise de Voltaire (VII) et sur la censure (VIII) — le lien entre cette question et l’œuvre de Voltaire aurait pu être mieux démontré. Dans ces deux vitrines, les rapports de Voltaire à la franc-maçonnerie sont évoqués plus d’une fois.

On peut voir des plans (Paris, 1739; Fontenoy, 1745; Ferney, 1761), des manuscrits de Voltaire et des copies (lettres, poèmes, essais), des éditions de ses œuvres (curieusement appelées «livres-artéfact»), des gravures, des dessins, des portraits (Jean-Baptiste Rousseau, le chevalier de Rohan Chabot, Mme du Châtelet, Frédéric II, le cardinal Quirini, La Harpe, Paul-François Quélen, le marquis de Villette, Mme Denis), des documents administratifs, des affiches, des pages de titres, des ouvrages qui lui ont été consacrés, des missives à lui adressées. Six capsules audio sont disponibles sur place et sur le Web.

Quelques pièces sont étonnantes et rares : les plans de la ville de Versoix conçus par Voltaire, des documents de l’affaire Decroze en 1761, d’autres concernant l’émancipation des serfs du Jura, une publicité des bières Molson’s de 1954 («Qui a dit… ? “Quelques arpents de neige”»), une couverture de la Petite Revue de mai 1900 représentant Voltaire, Diderot, Rousseau, Thomas Paine et Renan (?).

Publicité de Molson (1964) et couverture de la Petite Revue (1900), collage

Un esprit tatillon pourrait regretter des coquilles gênantes dans les cartouches, les documents d’accompagnement et les capsules audio : «entend» pour «entends», «agi» pour «agit», «pendent» pour «pendant», «Seigneur» pour «seigneur», «Jondelle» pour «Jodelle», «jardine» pour «jardin», «Marquise» pour «marquise», «lamente» pour «déplore». Un cardinal s’appelle tantôt «Querini», tantôt «Quirini». La rencontre de Voltaire avec Jean-Baptiste Rousseau est d’abord datée de 1710, puis de 1722, sur le même panneau… La découverte positive de Shakespeare par Voltaire dans les années 1730 est évoquée, mais pas ses positions plus critiques des années 1770.

L’exposition, par sa brièveté, satisfera plus le grand public que le spécialiste. On ne saurait le lui reprocher.

Elle est ouverte jusqu’au 23 juin 2022.

https://youtu.be/tRBGIsqRHLY

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Québécoise, encore un effort !

Lorem barnak, générateur de jurons québécois

LOREM BARNAK est «Le générateur de jurons Québécois» (remarque de pion : «québécois» ne devrait évidemment pas avoir de majuscule initiale, puisqu’il s’agit d’un adjectif). Explication :

Une combinaison du célèbre texte de remplissage «Lorem ipsum» et du juron emblématique «tabarnak», Lorembarnak rend hommage au riche paysage culturel des sacres Québécois [bis] en générant sur demande des chaînes d’obscénités aléatoires.

Vous vous-êtes cogné l’orteil si fort que vous en perdez vos mots ? On vous a chargé de composer quelques paragraphes pour un projet qui vous met en beau maudit ? Vous sentez monter la frustration en essayant d’assembler un nouveau meuble suédois ? Peu importe l’occasion, Lorembarnak sera là pour répondre à tous vos besoins à base de texte.

La chose est connue : l’Oreille tendue aime beaucoup sacrer, et sacrer beaucoup. Elle aime aussi beaucoup écrire sur les jurons du cru. A-t-elle couvert l’ensemble des propositions de LOREM BARNAK ?

Elle a baptême, enfant d’chienne, sacrament, maudite marde, cibole (mais pas cibolac), (saint-)simonaque, viande à chien, christie, gériboire, mosus, maudit, (saint-)ciboire, jésus de plâtre, bout d’viarge, bâtard, viarge, mautadit, câlisse, patente à gosse, torvisse, maudine, batince, sacristi, verrat, taboire, sapristi, câlique, câline (de bine), calvaire, crime, tabarnouche, tabarslaque, tabarouette — et bien sûr tabarnak.

Il lui manque cibouleau, estique / estic et ostifie (mais elle a ostie et astie), bout d’criss (mais elle a criss), sacréfice, boswell, esprit, torrieux (qu’elle utilise volontiers), jésus marie joseph, charrue, charogne.

Encore un effort !

Ponctuons, à table, avec Jean Echenoz

Jean Echenoz, le Méridien de Greenwich, 1979, couverture

Tous le savent : le 24 septembre est, aux États-Unis, le National Punctuation Day.

Célébrons avec le Jean Echenoz du Méridien de Greenwich (1979) :

Ils étaient face à face, coinçant entre eux une petite table carrée — impossible de fuir, pensait la table, ils me plaquent au sol avec leurs coudes. Ils parlaient. Leurs paroles se croisaient, leurs voix s’affrontaient, comme des gladiateurs, l’une armée d’un glaive et d’un casque, l’autre d’un bouclier et d’un filet. Principalement travaillaient leurs bouches et la plupart des muscles de leurs visages, les mains et avant-bras assurant la ponctuation, l’illustration, le commentaire. Le reste de leurs corps était au repos, à peu près immobile, s’ébrouant quelquefois comme un chien dans sa niche, croisant ou décroisant les jambes; quelques démangeaisons de part et d’autre, une érection du côté de Paul; sur la table, deux verres vides et deux verres pleins (p. 34-35).

 

Référence

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Fil de presse 031

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Quelques ouvrages récents sur la langue ? Bien sûr.

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, la Langue racontée. S’approprier l’histoire du français, Montréal, Somme toute, coll. «Identité». 2019, 150 p. Ill. Préface de Laurent Turcot. Postface de Valérie Lessard.

Cahiers de lexicologie, 114, 2019, 299 p. Dossier «Les phrases préfabriquées : sens, fonctions, usages».

Cobast, Éric, les 100 mots de l’éloquence, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 4181, 2019, 128 p.

Colignon, Jean-Pierre, Dictionnaire orthotypographique moderne, Paris, EFE – CFPJ Editions, 2019.

Delord, Robert, Mordicus. Ne perdons pas notre latin !, Paris, Les Belles Lettres, 2019, 260 p.

European Journal of Language Policy, 11, 1, avril 2019. https://journals.scholarsportal.info/browse/17576822/v11i0001

Gallagher, John, Learning Languages in Early Modern England, Oxford, Oxford University Press, 2019, 288 p. Ill.

Gilbert, Muriel, Au bonheur des fautes. Confessions d’une dompteuse de mots, Paris, Seuil, coll. «Points», 4934, 2019, 255 p. Édition originale : 2017.

Grutman, Rainier, Des langues qui résonnent. Hétérolinguisme et lettres québécoises, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèques francophones», 5, série «Littérature québécoise», 1, 2019, 359 p. Nouvelle édition.

H-France Salon, 11, 14, 2019. Dossier «Legitimizing “iel” ? Language and Trans communities in Francophone and Anglophone Spaces», sous la direction de Vinay Swamy et Louisa Mackenzie. https://h-france.net/h-france-salon-volume-11-2019/#1114

James, La sémantique c’est élastique, Paris, Delcourt, coll. «Pataquès», 2019, 109 p. Bande dessinée.

Joly, Frédéric, la Langue confisquée. Lire Victor Klemperer, Paris, Premier parallèle, 2019, 280 p.

Journal of French Language Studies. Études de linguistique française, 29, 2, juillet 2019. Dossier «Langues régionales : Models and Methods». https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-french-language-studies/latest-issue

Lamonde, Diane, Français québécois. La politisation du débat, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 236 p.

Langage et société, 167, 2019, 246 p. Dossier «Discours numériques natifs. Des relations sociolangagières connectées». https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2019-2.htm?contenu=sommaire

Langue française, 202, 2019, 124 p. Dossier «Français d’Afrique. En Afrique. Hors d’Afrique», sous la direction de Guri Bordal et Cécile van den Avenne. https://www.cairn.info/revue-langue-francaise-2019-2.htm

Lecolle, Michelle, les Noms collectifs humains en français. Enjeux sémantiques, lexicaux et discursifs, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «La lexiocothèque», 2019, 312 p.

McCulloch, Gretchen, Because Internet. Understanding the New Rules of Language, Riverhead Books (Penguin), 2019, 326 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition originale : 2004.

Roussel, Alain, la Vie secrète des mots et des choses, Paris, Maurice Nadeau, 2019, 208 p.

Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, 34, 1, 2019. Dossier «Hommage à Olivier Soutet : autour de la concession», sous la direction de Christiane Marque-Pucheu et Álvaro Arroyo. https://revistas.ucm.es/index.php/THEL/issue/view/3482

Tipa. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage, 35, 2019. Dossier «Emo-langages : vers une approche transversale des langages dans leurs dynamiques émotionnelles et créatives», sous la direction de Françoise Berdal-Masuy et Jacqueline Pairon. https://journals.openedition.org/tipa/2876

Van de Haar, Alisa, The Golden Mean of Languages. Forging Dutch and French in the Early Modern Low Countries (1540-1620), Brill, coll. «Brill’s Studies in Intellectual History», 305, 2019, xiv/426 p. Ill.

Watson, Cecelia, Semicolon. The Past, Present, and Future of a Misunderstood Mark, Ecco, 2019, 224 p.

Typographie du nez

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«À la table la plus proche étaient assises quatre personnes. Celle qui avait la parole était un machiniste bruyant avec un léger embonpoint, des avant-bras poilus, un tee-shirt Esso maculé de sueur et de cambouis, et une casquette tigrée du Hull City AFC. Il soufflait par le nez avant de parler et après, comme des guillemets oraux. Et ce qui se trouvait entre ces guillemets portait systématiquement et sans exception atteinte à ceux qui occupaient une place moins élevée dans la hiérarchie.»

Jo Nesbø, Macbeth, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 407. Traduction de Céline Romand-Monnier.