Oreille malheureusement tendue

La compagnie créole, Ça faire rire les oiseaux, pochette

Ver sonore, ver d’oreille, chanson poison : à cette nomenclature déjà évoquée, ajoutons chanson obsédante.

Et rassurons-nous : suivant le journal Forum, une doctorante en psychologie à l’Université de Montréal, Andréane McNally-Gagnon, sous la direction de Sylvie Hébert, enquête afin de savoir pourquoi certains airs (musicaux) nous empoisonnent la vie.

Première conclusion : le pire ver d’oreille est «Ça fait rire les oiseaux» de La compagnie créole. (Classement complet ici, avec juste assez d’écoute pour être contaminé.)

Is(c)h, bis

Euroglish, globisch, globalesisch, denglisch, hinglish, chinglish : l’Oreille tendue causait il y a quelques jours de plusieurs cas d’hybridation linguistique.

Le magazine The New Yorker, dans son édition du 31 mai, publie un compte rendu, par Isaac Chotiner, de Globish. How the English Language Became the World’s Language, l’ouvrage que vient de faire paraître Robert McCrum.

Trois choses à retenir du compte rendu.

Le mot Globish, pour désigner une forme d’anglais basique permettant la communication entre usagers de langues différentes, aurait été créé par Jean-Paul Nerrière, un ex-cadre français de IBM. (Pourquoi n’est-on pas étonné que cela soit venu du monde électronique ?)

À la liste des mots en –ish de l’Oreille, il manquait Spanglish. Il faut dorénavant y ajouter le Tanglish, ce mélange de tamoul et d’anglais.

Chotiner, parlant des mécanismes de domination des langues, écrit ceci : «Armies and navies are ultimately more important than syntactic mechanisms in establishing a language’s dissemination.» Cela permet de rappeler, une fois de plus, combien l’essayiste québécois André Belleau avait vu juste en 1983 : «Une langue, c’est un dialecte qui s’est doté un jour d’une armée, d’une flotte et d’un commerce extérieur…» (éd. de 1986, p. 118).

 

[Complément du 25 septembre 2016]

Découvertes en ligne, grâce à un tweet de @MichelFrancard, ces deux autres variétés : le Konglish (Corée) et le Singlish (Singapour).

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Chotiner, Isaac, «Globish for Beginners», The New Yorker, 31 mai 2010.

McCrum, Robert, Globish. How the English Language Became the World’s Language, New York, W. W. Norton & Company, 2010, 331 p.

Rime rare

Hubert-Félix Thiéfaine, Tous ces mots terribles, 2008, pochette

Soit les deux vers suivants :

En plus d’l’alphabet du calcul
J’ai pris beaucoup de pieds au cul.

De deux choses l’une : ou bien la rime se fait avec calcul (kalkule) ou bien avec cul (ku).

Réponse chez Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Référence

Thiéfaine, Hubert-Félix, «Tranche de vie», Tous ces mots terribles. Hommage à François Béranger, Meso Productions, 2008.

Progrès ?

«Menthez pas ça», conseillent les panneaux de McDonald à Montréal.

Un journaliste de la Presse n’en peut plus des publicités télévisées mettant en vedette Élyse Marquis (Swiffer) et François Massicotte (Sponge Towel). Dans quelle catégorie ranger icelles si on les trouve pénibles ? Le «malaisant» (22 mai 2010, cahier Arts et spectacles, p. 8).

Qu’une langue évolue, rien de plus naturel. On a cependant le droit de grincer des dents à l’occasion — d’autant que ça ne change rien à l’affaire : on n’arrête pas le progrès.

Citation dictionnairique du jour

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, éd. de 2001 (1966), couverture

«J’ai fait cent fois réflexion, en écrivant, qu’il est impossible, dans un long ouvrage, de donner toujours les mêmes sens aux mêmes mots. Il n’y a point de langue assez riche pour fournir autant de termes, de tours et de phrases que nos idées peuvent avoir de modifications. La méthode de définir tous les termes, et de substituer sans cesse la définition à la place du défini, est belle, mais impraticable; car comment éviter le cercle ? Les définitions pourraient être bonnes si l’on n’employait pas des mots pour les faire. Malgré cela, je suis persuadé qu’on peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu’on emploie chaque mot, que l’acception qu’on lui donne soit suffisamment déterminée par les idées qui s’y rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve lui serve, pour ainsi dire, de définition.»

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Paris, GF Flammarion, coll. «GF», 117, 2001, 629 p., livre second, p. 133, note. Chronologie et introduction par Michel Launay. Édition originale : 1762.