Sic

L’Oreille tendue a déjà été jeune. Elle était alors soucieuse, peut-être exagérément, de philologie. Il lui est donc arrivé plus d’une fois d’avoir recours à des sic (presque) rageurs en recopiant des textes.

Sic ?

C’est, entre autres usages, la convention par laquelle on indique que, dans un texte cité ou recopié, il y a une faute, mais que cette faute n’est pas la responsabilité de celui qui transcrit, mais de l’auteur de la citation ou du texte original. Exemples : «Céline a alors dit qu’elle quittait [sic]»; «René a fait une couille [sic] en retranscrivant le texte.»

(Il ne t’aura pas échappé, Lecteur, que le mot est toujours en italique, dans un texte en romain, et entre crochets.)

L’Oreille s’est assagie depuis sa jeunesse et elle est désormais beaucoup plus parcimonieuse en matière de sic. (Elle n’est cependant pas complètement guérie de ce travers.)

Ce n’est pas le cas au Devoir, du moins pas dans l’édition du 16 septembre. Un article y est consacré au supposé complot fédéraliste au sein de l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal : c’est par choix idéologique que cette équipe ne prendrait pas (plus) la peine d’engager des joueurs francophones.

Pauline Marois, la chef du Parti québécois, s’est prononcée là-dessus : «“L’équipe a pris une certaine tendance et j’aimerais qu’elle se redresse un peu. D’ailleurs, il y a beaucoup de chroniqueurs et d’analystes du monde du sport qui partagent le même point de vue que moi [sic]”, a-t-elle dit.»

Pourquoi ce sic ? Ce n’est de toute évidence pas pour des raisons grammaticales : la phrase est correctement écrite. Faut-il comprendre que Pauline Marois, les chroniqueurs et les analyses sont d’accord, mais qu’ils se tromperaient tous ? Ou qu’ils ne diraient pas tous la même chose ? S’agirait-il plutôt de souligner un vice de perspective ? Dans cette optique, si l’Oreille comprend bien, on reprocherait à Pauline Marois de dire que son point de vue a été endossé par les chroniqueurs et les analyses, alors que, dans les faits, c’est elle qui se serait ralliée au leur.

Voilà beaucoup d’interrogations pour trois lettres, et une conception du sic comme forme ramassée du commentaire, voire de l’éditorial.

P.-S. — En revanche, utilisation justifiée dans une «Libre opinion» du Devoir du 30 septembre, p. A8, sous le titre «Parlons cuisine». L’«animatrice» Anne-Marie Withenshaw déplore qu’un article du journal ait écorché son patronyme. Elle cite l’article : «Faut-il comprendre que Mme Whitenshaw [sic] s’est fait payer une cuisinière, voire une cuisine, par GE, dont elle devient en quelque sorte la porte-parole ?»

 

[Complément du 15 avril 2014]

Un collègue de l’Oreille a longtemps utilisé le mot sic entre crochets mais sans l’italique. Il lui écrit : «Si je vous ai bien compris, vous citeriez, à la rigueur, mes nombreux [sic] comme suit : [sic] [sic].» Zactement.

 

[Complément du 29 janvier 2018]

Que dit Umberto Eco de cela dans son Comment écrire sa thèse (Paris, Flammarion, 2016 [1977], 338 p. Ill. «Postface du traducteur», Laurent Cantagrel) ?

«Si l’auteur que vous citez, tout en étant fort intéressant, commet une erreur évidente, de style ou d’information, il vous faut respecter son erreur mais la signaler au lecteur entre crochets, de cette manière : [sic]. Vous direz donc que Savoy affirme qu’“en 1820 [sic], après la mort de Bonaparte, l’Europe était dans une situation assez sombre, avec quelques lumières”. Cela dit, si j’étais vous, ce Savoy, je le laisserais tomber» (p. 253-254).

Tout et son contraire

Hypothèse : pour faire ressortir ce que les locutions figées ont, justement, de figé, rien de tel que d’imaginer leur antonyme.

Exemples

Tout le monde se réclame du développement durable. Que serait un développement momentané ?

Dans le Devoir du 7 octobre, Jean Dion parle de la (potentielle) «grippe d’homme» du gardien des Canadiens de Montréal, Carey Price (p. B6) ? Connaît-on la grippe de femme ?

Sur Twitter, une lectrice assidue de l’Oreille tendue, @PimpetteDunoyer, se demande, à la suite d’autres twitteurs, pourquoi un réseau est toujours vaste dans les faits divers. Imagine-t-on un réseau de trafiquants de drogue exigu ?

Que serait l’antonyme d’aidant naturel ? Aidant culturel ? Aidant contre nature ?

Vous avez trouvé la solution gagnant-gagnant ? Ça vous fait une belle jambe : il n’y a pas de solution perdant-perdant.

Tout le monde est pour l’inclusion. Personne n’est pour l’exclusion.

Comme toute hypothèse, celle-là devra être soumise à des expériences plus soutenues. L’Oreille tendue vous invite à y participer.

 

[Complément du 18 juin 2016]

Dans la Presse+ du jour, l’Oreille tendue découvre «gagnant-gagnant-gagnant», mais pas perdant-perdant-perdant.

Guy Lafleur raconté aux enfants

Christine Ouin et Louise Pratte, Guy Lafleur, 2010, couverture

Il arrive souvent à l’Oreille de se tendre vers le monde du sport, notamment du côté du hockey, plus particulièrement encore du côté de Maurice Richard. Pourtant, ce joueur n’a jamais été son favori, la place étant prise par Guy Lafleur, le célèbre numéro 10 des Canadiens de Montréal.

L’Oreille devait donc lire la biographie de Lafleur destinée aux enfants que viennent de publier Christine Ouin et Louise Pratte. Triple déception.

Le livre est mince (71 petites pages), et la partie consacrée à Guy Lafleur, plus mince encore (moins de 30 pages). Le reste est fait de propos généraux sur le hockey (but et nature du jeu), d’une série d’«activités» (entraînement, alimentation) et de «miniquiz».

Les renseignements sur le monde du hockey sont parfois approximatifs. Guy Lafleur n’a pas «souvent» joué à l’aile droite (p. 34); c’était sa position régulière. Les joueurs punis ne restent pas «sur le banc des punitions pendant au moins deux minutes» (p. 35); cela peut être moins. La liste des dix «étapes à franchir pour devenir joueur professionnel» est incomplète (p. 39); il manque, entre autres choses, la Ligue américaine. La coupe Stanley n’est sûrement pas «le trophée sportif […] le plus célèbre en Amérique du Nord» (p. 27); ça se saurait.

Il y a enfin des problèmes de langue. Selon l’Office québécois de la langue française, aréna est un mot masculin (p. 12 et 37). Haltère aussi, et il prend un h; on n’écrit pas «petites altères» (p. 45). Jean Béliveau, dont Guy Lafleur jeune a porté le numéro 4, n’était pas un «avant-centre», mais un «centre» (p. 34).

Le héros de l’Oreille tendue méritait mieux que cette ébauche d’hagiographie.

 

Référence

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, coll. «Minibios», 2010, 71 p. Ill.

Questions d’euphonie

Myriam Beaudoin, Hadassa, 2006, couverture

Le roman Hadassa, de Myriam Beaudoin, offre une représentation tout à fait réussie du contact des langues à Montréal aujourd’hui. En exergue, cette phrase d’André C. Drainville :

Un écrivain est par définition souverain. Il a droit à tous les excès et à tous les écarts au nom non pas de la vérité, mais d’une vérité qui n’appartient qu’à lui (p. 11).

Pour l’oreille — pour l’Oreille —, ce «nom non» n’est guère heureux. C’est quand même mieux qu’un vers célèbre de Voltaire dans Nanine (1749) :

Non, il n’est rien que Nanine n’honore (acte III, sc. dernière).

Celui-là est dans une classe à part. Pour désigner ce phénomène, volontaire ou pas, Bernard Dupriez, dans son Gradus, parle de cacophonie :

Vice d’élocution qui consiste en un son désagréable, produit par la rencontre de deux lettres ou de deux syllabes, ou par la répétition trop fréquente des mêmes lettres ou des mêmes syllabes (éd. de 1980, p. 100).

Le Dictionnaire des termes littéraires parle de la cacophonie à l’entrée euphonie :

dissonance due à des liaisons sonores difficiles à prononcer, ou à une succession rapide des mêmes sons, ou de syllabes accentuées («Qu’attend-on donc tant ?»). La cacophonie peut être intentionnelle, et recevoir une fonction expressive, comique (p. ex. «Non, il n’est rien que Nanine n’honore», Voltaire) (p. 189).

Wikipédia a un article sur le sujet; Voltaire y est. Pas (encore) André C. Drainville.

 

Références

Beaudoin, Myriam, Hadassa. Roman, Montréal, Leméac, 2006, 196 p.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Voltaire, Nanine ou le Préjugé vaincu, dans Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 241, 1972, vol. I, p. 871-939 et p. 1442-1449. Textes choisis, établis, présentés et annotés par Jacques Truchet. Édition originale : 1749.

Traduction implicite

Dans le Devoir du 5 octobre, sous la plume de Michel David : «Autant il faut être deux pour danser le tango, autant il ne peut y avoir de trêve que si elle est respectée de part et d’autre» (p. A3).

Pourquoi «danser le tango», et non simplement danser, ou danser une valse, ou valser ? Parce qu’en anglais on dit «It takes two to tango» ?