Mea culpa

Il y a dix jours, l’Oreille tendue s’est mise à parler, histoire de signaler un trait de la prononciation de certaines chroniqueuses culturelles de la radio de Radio-Canada, soit un double accent d’intensité : sur quelques adverves, plus précisément sur la première syllabe de ces adverbes. Exemple : «Ce spectacle est TELLEMENT poche

Malheureusement, elle se trompait, et doublement.

D’une part, il n’y a pas que les chroniqueuses culturelles à être affectées. C’est également le cas, au moins, des chroniqueuses économiques.

D’autre part, l’accent peut porter aussi bien sur un nom ou sur un adjectif que sur un adverbe. Exemples, tirés de deux chroniques économiques radiophoniques récentes : «On parle de CINQUANTE millions de dollars»; «Google est assis sur des MONTAGNES de liquidités.»

Le mal est profond.

P.-S. — On peut (ré)entendre la voix de l’Oreille ici.

De la problématique

Lisant «Les exterminateurs», de Marie-Pascale Huglo, dans la revue les Écrits, l’Oreille tendue tombe sur cette phrase : «“La problématique des punaises de lit” est très préoccupante; les matelas sont infestés, bons à jeter» (p. 49). Les guillemets font tendre l’oreille à l’Oreille : d’où vient «La problématique des punaises de lit» ? Les sources sont multiples (merci Google), des médias aux gouvernements.

Profitons de l’occasion pour inaugurer, en bas, à droite, une catégorie «Problématique». Elle est vouée à une longue existence. Ne vivons-nous pas entourés de problématiques ? (Qu’en faire ? Les solutionner, bien sûr.)

 

Référence

Huglo, Marie-Pascale, «Les exterminateurs», les Écrits, 131, mars 2011, p. 47-50.

La langue (du débat) des chefs

Le Canada votera pour élire ses députés fédéraux le 2 mai. Mardi soir, les chefs des quatre principaux partis politiques canadiens — on avait choisi de ne pas inviter la chef du Parti vert, Elizabeth May — ont participé à un débat télévisé en anglais. Hier soir, mercredi, rebelote, en français.

L’Oreille s’est tendue la première fois le 14 juin 2009 pour commenter «Le français de Michael Ignatieff», le chef du Parti libéral. Elle a aussi eu l’occasion de parler de la langue de Gilles Duceppe, lui qui dirige le Bloc québécois. Si elle a mentionné, par exemple ici, le nom de Stephen Harper, le premier ministre sortant, ce n’est jamais pour des questions linguistiques. Elle n’avait pas eu l’occasion, à ce jour, de parler du leader du Nouveau parti démocratique, Jack Layton. Elle a donc décidé de profiter du débat d’hier soir pour rassembler quelques réflexions sur le français des quatre dirigeants, réflexions de groupe ou spécifiques à chacun.

(Elle aurait aussi pu dire un mot d’Anne-Marie Dussault, une des coanimatrices, affirmant, au début de la soirée, «Notre rôle sera de s’assurer», mais elle s’en abstiendra : la maîtrise du pronom réfléchi est chose bien délicate, semble-t-il.)

On peut s’amuser à regrouper les chefs selon divers facteurs. En matière de féminisation automatique («Les Québécois et les Québécoises, les hommes et les femmes»), Gilles Duceppe (Bloc québécois) l’emporte haut la main, suivi par Jack Layton (Nouveau parti démocratique), puis loin derrière par Stephen Harper (Parti conservateur); Michel Ignatieff (Parti libéral) ne s’y est pas livré une seule fois. Si le leader du Bloc québécois n’a pas de problème d’accord en genre ou en nombre ni de concordance des temps — c’est la moindre des choses —, les autres ont du mal : constamment (Layton), très souvent (Harper), à l’occasion (Ignatieff).

Sur le plan individuel, des tendances se manifestent chez les uns et les autres.

Gilles Duceppe, pour qui la langue est l’«âme» de la nation, faisait des efforts évidents pour ne pas utiliser trop de tours populaires; voilà pourquoi il préférait nettement «cela» à «ça» et qu’il employait des tournures peu naturelles au Québec à l’oral («qui plus est», «dirais-je», «devrais-je dire», «or cela»). Le débat était découpé en six segments — la gouvernance, l’économie, les valeurs, les politiques sociales, la place du Québec dans le Canada, la place du Canada dans le monde — et c’est pendant l’avant-dernier que le registre duceppien a changé : «ben sûr», «han», «ben beau», «djiaime» (GM, General Motors), «eh ! Seigneur !», «pis». De toute évidence, le sujet lui tenait tellement à cœur qu’il en venait à influencer sa façon de parler. Pour le plaisir, on notera qu’il est le seul à avoir eu recours (volontairement) à des phrases en anglais : «Father knows best», «My way or no way».

Quand Stephen Harper parle français, on a fréquemment l’impression de voir les pages de sa grammaire défiler dans sa tête. Le débat du 13 avril ne faisait pas exception, encore que le premier ministre ait souvent paru moins guindé — toutes choses étant relatives par ailleurs — qu’au débat en anglais : le fait d’avoir à tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de parler l’empêchait d’exercer l’autocontrôle qui lui donnait l’air, la veille, d’un robot (pas très bien programmé il est vrai). À un moment, quand il a été question de la caisse de l’assurance-emploi, on l’a même vu ne plus trouver ses mots. Il s’est essayé à quelques québécismes, certains communs («broche-à-foin», «des djobbes», «tannés»), d’autres de son cru («des peines [de prison] de bonbon»). Les tournures anglaises étaient nombreuses chez lui : «on tente de s’adresser à des problèmes», «par 2015» (by 2015), «notre militaire» (our military). Pancanadianisme oblige, il est le seul à avoir salué les Brayons; le remercieront-ils en votant pour lui ?

La chef du Parti libéral, qui lui aussi en a appelé à son «âme» en matière de langue, a fait moins de fautes que les autres anglophones du plateau : sa maîtrise des normes linguistiques, sans être parfaite, est nettement meilleure que la leur. Il était moins porté qu’eux sur les formules populaires (à l’exception d’un «Ils sont pus capables»). Il se servait de moins d’anglicismes ou de tournures venues directement de l’anglais («alternative», «une instance claire»). Il a eu du mal avec quelques pronoms («lui aider») et quelques accords («C’est moi qui va»), mais il était en bonne compagnie. En revanche, et contrairement aux autres, il était obsédé par certains mots, notamment «clair», qu’il ne cessait de répéter au début de la soirée; ça s’est calmé par la suite. Il est le seul à avoir parlé de «vivre-ensemble» et du «bâton magique» de Stephen Harper en matière de répression de la criminalité (on s’en est beaucoup gaussé sur Twitter).

Des trois participants anglophones, Jack Layton est celui qui a le moins d’inhibition en français. Il aime bien dire qu’il est né au Québec et on peut légitimement penser qu’il en a appris la langue officielle dans la rue plutôt que sur les bancs d’école. Il n’a aucune idée ni du genre ni du nombre, il utilise des anglicismes sans état d’âme («un cap», «le carjacking»), il aime les tournures populaires («Ça n’a pas de bon sens») et il n’hésite pas à inventer des mots («le prononcement») ou à les employer de travers («le promouvoir de la paix»). Cette absence d’inhibition explique peut-être qu’il soit le seul à avoir tenté de faire de l’humour («On commence à s’amuser», a-t-il lancé au second coanimateur, Paul Laroque), à proposer des métaphores (quand il faisait du Bloc québécois une équipe de hockey composée uniquement de défenseurs) et à emprunter des formules à d’autres formations politiques (il a évoqué trois fois «les conditions gagnantes pour le Canada au Québec», prenant ces «conditions gagnantes» à l’arsenal rhétorique des souverainistes). On se demande cependant comment il a pu appeler la Loi 101 (la Charte de la langue française) la Loi 102; ce n’était pas le bon soir pour ça, le débat s’adressant pour l’essentiel à la population francophone du Québec.

Quelles conclusions tirer de ces remarques sur le vif ? Que le bilinguisme des aspirants premiers ministres existe, mais qu’il est plus laborieux chez certains que chez d’autres. On ne peut pas dire que ce soit une grande surprise. Ni bon signe pour l’état du français au Canada.

La méfiance (linguistique) ne règne (peut-être) pas assez

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) parle de «Mot critiqué». Jean-Loup Chiflet se fâche : ce mot «tarabiscoté» est importé de «la perfide Albion» (p. 110). Pour Renaud Camus, il fait partie des «grands mots pompeux, complaisants et mal formés» qui relèvent «du méchant sabir des officines et des bureaux» (p. 344). Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française est plus nuancé, mais il reste prudent : ce verbe «signifie globalement “trouver une solution à” un problème, une situation, une question. C’est une forme passée dans l’usage et attestée dans les dictionnaires, mais critiquée ou marquée comme familière. Elle semble mieux acceptée dans les ouvrages linguistiques québécois.» La Mission Old Brewery, qui vient en aide aux itinérants montréalais (les sans-abri), n’a pas ces états d’âme :

Publicité de la mission Old Brewery, 2011

Certains hésitent moins que d’autres devant le verbe solutionner.

 

Références

Camus, Renaud, Répertoire des délicatesses du français contemporain. Charmes et difficultés de la langue du jour, Paris, Points, coll. «Points. Le goût des mots», P2102, 2009, 371 p. Édition originale : 2000.

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.

Du postcool

Selon des sources filiales (parfois) sûres, il ne serait plus cool d’être cool. Quelle qualité faut-il désormais avoir ? Qu’est-ce qui est mieux que le cool ? Le swag.

Le mot vient évidemment de l’anglais. Voir ici les définitions du Urban Dictionary, par exemple celle-ci : «Swag is a subtle thing that many strive to gain but few actually attain. It is reserved for the most swagalicious of people.»

Pour résumer : n’est pas swag qui le veut, mais qui l’est en tire gloire.

Remarque grammaticale : swag peut être tantôt susbstantif — T’as du swag —, tantôt adjectif — Il est swag.

«Je suis swag», dessin

 

[Complément du 25 août 2011]

Exemple tiré de Twitter : «Ça fait drôle d’entendre une ado de genre 12 ans dire “j’peux pas sortir avec lui, y’a pas assez de swag”.»

 

[Complément du 28 décembre 2011]

Disons-le tout net : cette entrée est la plus consultée du blogue. Pourquoi ? se demande l’Oreille tendue. Deux éléments de réponse. D’une part, la plupart des visiteurs sont redirigés ici à partir de Google.fr. D’autre part, dans les chaumières parisiennes aussi, on pratique le swag, comme l’indique ce tweet : «Je viens d’entendre à l’instant une copine de ma fille employer le terme. Donc, on a du swag aussi à Paris…» Swag n’est pas donc pas seulement québécois; il est aussi français, voire francophone.

 

[Complément du 25 avril 2012]

Pour 18 € TTC, vous pouvez acheter le tampon «#swag» de la Tamponneuse. Mais est-ce swag de l’utiliser ?

 

[Complément du 4 novembre 2012]

Le swag est (aussi) girondin.

«Swag», Saint-Émilion, novembre 2012

Photo : Maude Brisson, Saint-Émilion, novembre 2012

 

[Complément du 25 novembre 2012]

Swag est-il un acronyme de Secretly We Are Gay ? Non, dit Snopes.com, preuves à l’appui.

 

[Complément du 4 décembre 2012]

Ça y est : même Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, s’y met.

Du swag à la Bibliothèque nationale de France

[Complément du 21 décembre 2012]

On ne confondra pas le swag et le shag, cette «toison pectorale» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

 

[Complément du 21 mai 2012]

Il n’est dorénavant plus possible de laisser de commentaires sur cette entrée du blogue l’Oreille tendue. Merci à tous.