En effet

Dans sa page «Idées» d’hier, le Devoir publie une lettre ouverte sous le titre «Avenir de la langue française. Un geste d’éclat pour protéger le français» (p. A7).

Incipit : «Je suis préoccupé par l’avenir de la langue française, mais aussi et surtout inquiet pour cet avenir.» Plus loin : «Ma préoccupation et mon inquiétude sont fondées sur des réalités et des faits qui annoncent un dangereux déclin de la langue française.»

Quand l’Oreille tendue lit pareille prose (circulaire), elle est inquiète à son tour : elle aussi, elle a de la peine d’être triste quand elle n’est pas heureuse d’être contente.

De la responsabilité (linguistique)

Les écoliers québécois ne connaissent plus la punition. S’ils font une bêtise quelconque, s’ils sont les auteurs d’un méfait plus ou moins grave, s’ils contreviennent au règlement, ils sont passibles d’une conséquence. Ça s’expose ainsi : Les amis, t’auras une conséquence si tu fais pas ton devoir.

En voulant faire comprendre aux petits qu’ils sont responsables de leurs gestes et de leurs suites, on leur fait parler une langue parfaitement artificielle.

 

[Complément du 7 juin 2015]

Exemple romanesque : «Du point de vue comportement revenait toujours plus que place à l’amélioration et j’accumulais les conséquences mineures liées à mes agissements dits problématiques» (la Bête à sa mère, p. 22).

 

[Complément du 9 septembre 2015]

En bon père de famille qu’elle est, l’Oreille tendue a assisté hier soir à la réunion de parents de l’école de son fils cadet. Elle a été rassurée d’y entendre le responsable de la «gestion des conséquences».

 

Référence

Goudreault, David, la Bête à sa mère, Montréal, Stanké, 2015, 231 p.

Aimer être

Croisés l’autre jour, plusieurs camions d’un couvreur montréalais. Slogan : «L’étanchéité demeure notre priorité.» L’étonnement de l’Oreille tendue, toujours, devant le refus d’employer le verbe le plus simple et le mieux approprié : être.

L’art du portrait : et de cinq

Jean-Philippe Toussaint, l’Appareil-photo, 1988, couverture«Elle joua du klaxon et zigzagua avec aisance parmi ces albatros, avant de s’arrêter à la hauteur d’un type d’une quarantaine d’années en parka boutonnée, qui fumait sur le bas-côté en se caressant la joue sans concession ni complaisance.»

Jean-Philippe Toussaint, l’Appareil-photo. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1988, 126 p., p. 26.

L’art du portrait, prise quatre

Jean-Philippe Toussaint, Autoportrait (à l’étranger), 2000, couverture«À l’arrière de la motocyclette, dont le pot d’échappement continuait à pétarader et à expédier dans nos jambes un malodorant petit nuage de fumée maigrelet et noirâtre, se tenait une Japonaise vêtue d’un large débardeur blanc qui laissait deviner la courbe dénudée de ses seins, Japonaise qui, sans paraître vouloir le moins du monde descendre de sa monture, toujours assise de profil à l’arrière du scooter avec des allures de créature mythologique non répertoriée (ni sirène ni hippocampe : le haut, une Japonaise, et le bas, un scooter), portait précieusement sous son bras une planche de surf jaune vif.»

Jean-Philippe Toussaint, Autoportrait (à l’étranger), Paris, Éditions de Minuit, 2000, 119 p., p. 33-34.