Divergences transatlantiques 008

Soit le tweet suivant de François Bon (@fbon), le 25 avril :

@mdumais & Co ça vous fait pareil, le coup de la pub iPad, ou bien c’est parce que je suis géo-localisé Boston (Boston en québécois) ?

Qu’est-ce que ces deux Boston, puisque l’un existerait «en québécois» ? Pour une même graphie, il y a le Bostonne (comme cretonne) des francophones européens (pour faire bref) et le Boston (comme cretons) des Québécois. De la même façon, il y a Géorgie, l’État de naissance de Ty Cobb, avec l’accent, et Georgie, sans.

Jusque-là, la situation n’est pas très complexe : deux lieux, des prononciations différentes.

Mais, étonnamment, il y a Ouashingtonne, la ville des Nationals, et Ouashingtonne (on ne dit pas Ouashington) — bref, une sonorité identique d’un côté comme de l’autre du français, même s’il s’agit avec Washington, comme avec celle où est né A. Bartlett Giamatti, d’une ville états-unienne dont le nom se termine en –ton.

La vie de la langue est faite de mystères insondables.

 

[Complément du 23 décembre 2021]

Pandémie oblige, on parle beaucoup, ces jours-ci, du variant Omicron.

Le premier ministre du Québec, François Legault, fait rimer omicron avec contagion. Il rejoint en cela le dictionnaire numérique Usito.

Le premier ministre de la France, Jean Castex, préfère omicrone.

Le toujours excellent Nicolas Guay a écrit un poème de circonstance sur ce sujet, qui n’est pas sans évoquer une des deux villes américaines évoquées ci-dessus. Conclusion de son texte, à la Fred Astaire :

[omikron]
[omikrone]
Let’s call the whole thing off

 

[Complément du 23 juin 2024]

Au dossier de Boston contre Bostonne, versons cette assonance dans la chanson «Le but» de Loco Locass (2009) :

Là c’est baston et rififi
Boston Philadelphie

Is(c)h

L’Encyclopédie de la Francophonie publie un texte de Marc Chevrier intitulé «La fatigue linguistique de la France». Inquiet, l’auteur s’interroge sur la «langueur» de la langue française dans le monde, sur l’«anglomanie» hexagonale, sur l’«anglo-massification» de l’Europe. Il évoque l’«euroglish triomphant», le «globisch» et le «globalesisch» aussi bien que le «denglisch», ce mélange d’anglais et d’allemand.

Le jour où l’Oreille tendue découvre cet article numérique, le Devoir publie un reportage de Guy Taillefer sur les relations de l’anglais et de l’hindi en Inde, et notamment sur cet hybride qu’est l’«hinglish» (3 mai 2010, p. B31-B2).

La veille, c’était le New York Times qui s’intéressait au «chinglish». Certains — à Shanghai ou à Pékin — mènent un combat «for linguistic standardization and sobriety» : ce sont des «Chinglish slayers» qui s’en prennent aux «Chinglishisms», ces traductions maladroites (et souvent aussi approximatives qu’hilarantes) du chinois vers l’anglais. D’autres, en revanche, sont plus pacifiques et souhaitent que la liberté linguistique — même inconsciente — continue à avoir droit de cité; la normalisation n’est pas pour eux.

Marc Chevrier en a sans aucun doute contre l’appauvrissement du multilinguisme, mais il ne me semble pas qu’il irait jusqu’à promouvoir la création d’une «Commission for the Management of Language Use» comme il en existe une dans la ville qui accueille depuis quelques jours l’exposition universelle.

La police (de la langue) n’a pas toujours bonne presse.

Les mécontents urbains

Les membres du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal ne sont pas contents. Ils considèrent que la fusion municipale imposée par le gouvernement du Québec il y a une dizaine d’années n’a pas donné les fruits escomptés à Montréal : à cause du trop grand nombre de «structures municipales» (20 !), d’«administrations municipales» (20 !) et de maires (20 !), la zizanie règne(rait). Résultat : une campagne publicitaire, celle-ci.

L’Oreille tendue se régale.

Les membres du SFMM apostrophent leur ville à la deuxième personne du singulier : «Montréal, fais une ville de toi !» C’est bien leur ville; ils en sont proches.

Ils utilisent une tournure ambiguë. Qui dit Fais un homme de toi valorise un type de comportement supposé (Impose-toi). En revanche, qui dit Fais un fou de toi est plus critique (Couvre-toi de ridicule). Les fonctionnaires municipaux, on l’espère, sont du côté de la valorisation.

Ils demandent à Montréal de se comporter comme une ville. Que pourrait-on lui souhaiter d’autre ? Montréal, fais un village de toi ! ? Montréal, fais un arrondissement de toi ! ? Montréal, fais une région de toi ! ? Montréal, fais une capitale de toi ! ?

Ils ont été prudents : deux hommes, une femme; deux Blancs, un Noir.

Ils ont recours, dans deux cas sur trois, à la phonétique. Quesséçâ ? pour Qu’est-ce que c’est que ça ? Çapâdallure pour Ça n’a pas d’allure (Ça n’a pas de sens). Au passage, on soulignera l’accent circonflexe dans les deux cas : un fonctionnaire municipal, ça cause grave — ou ça s’inspire (vaguement) de Titeuf.

Le troisième cas est plus intéressant : brochafoin. De quoi s’agit-il ? Dans le Dictionnaire québécois instantané, en 2004, nous proposions la définition suivante de broche à foin : «Très déficient, faible.» Nous offrions un exemple : «Il aime Montréal […]. Il aime son caractère broche à foin, mal foutu, parfois quétaine et déglingué» (la Presse, 8 février 2002, p. E1). Le sociologue Alain Médam — c’est de lui qu’il s’agit — a manifestement une tolérance plus élevée au brochafoin que les syndiqués montréalais.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Chantons en chœur

Dans la Belle Province, il y avait déjà Montréal, Québec, Trois-Rivières, Drummondville, Saguenay — pour ne nommer qu’elles. Il y a maintenant Laval.

Le Devoir, 1er et 2 mai 2010, p. G4, publicité

À chacun, et à chaque activité, sa capitale.

Souche et souches

Le mot est passé dans l’usage : il y aurait les Québécois de souche, et les autres. Devenu courant, on peut (enfin) l’utiliser avec distance.

C’est ce qui permet aux Cowboys fringants de chanter «Je suis un Québécois de souche / J’ai une fleur de lys tatouée s’a bouche.»

C’est ce qui permet à une collègue, d’origine européenne, mariée à un Américain, vivant à Montréal, d’appeler son chat La Souche; c’était le seul autochtone de la maison.

C’est ce qui permet à Carla Beauvais de lancer le magazine féminin Souche, «un nouveau magazine qui s’adresse aux femmes âgées entre 25 et 40 ans issues des communautés culturelles», dixit la Presse du 28 avril 2010 (cahier Arts et spectacles, p. 3).

Les souches ne sont plus ce qu’elles étaient.

 

[Complément du 26 octobre 2015]

Certains préfèrent néanmoins ne pas employer de souche : «Cette radio censée couvrir la grande région métropolitaine cosmopolite et multigénérationnelle semble plutôt monopolisée par des mâles “souchiens” d’un certain âge» (le Devoir, 26 octobre 2015, p. B8). Sur le plan de l’euphonie («sous-chien» ?), ce n’est pas tout à fait ça.

 

Référence

Les Cowboys fringants, «Québécois de souche», Motel Capri, 2001.