Tout et son contraire

Hypothèse : pour faire ressortir ce que les locutions figées ont, justement, de figé, rien de tel que d’imaginer leur antonyme.

Exemples

Tout le monde se réclame du développement durable. Que serait un développement momentané ?

Dans le Devoir du 7 octobre, Jean Dion parle de la (potentielle) «grippe d’homme» du gardien des Canadiens de Montréal, Carey Price (p. B6) ? Connaît-on la grippe de femme ?

Sur Twitter, une lectrice assidue de l’Oreille tendue, @PimpetteDunoyer, se demande, à la suite d’autres twitteurs, pourquoi un réseau est toujours vaste dans les faits divers. Imagine-t-on un réseau de trafiquants de drogue exigu ?

Que serait l’antonyme d’aidant naturel ? Aidant culturel ? Aidant contre nature ?

Vous avez trouvé la solution gagnant-gagnant ? Ça vous fait une belle jambe : il n’y a pas de solution perdant-perdant.

Tout le monde est pour l’inclusion. Personne n’est pour l’exclusion.

Comme toute hypothèse, celle-là devra être soumise à des expériences plus soutenues. L’Oreille tendue vous invite à y participer.

 

[Complément du 18 juin 2016]

Dans la Presse+ du jour, l’Oreille tendue découvre «gagnant-gagnant-gagnant», mais pas perdant-perdant-perdant.

Guy Lafleur raconté aux enfants

Christine Ouin et Louise Pratte, Guy Lafleur, 2010, couverture

Il arrive souvent à l’Oreille de se tendre vers le monde du sport, notamment du côté du hockey, plus particulièrement encore du côté de Maurice Richard. Pourtant, ce joueur n’a jamais été son favori, la place étant prise par Guy Lafleur, le célèbre numéro 10 des Canadiens de Montréal.

L’Oreille devait donc lire la biographie de Lafleur destinée aux enfants que viennent de publier Christine Ouin et Louise Pratte. Triple déception.

Le livre est mince (71 petites pages), et la partie consacrée à Guy Lafleur, plus mince encore (moins de 30 pages). Le reste est fait de propos généraux sur le hockey (but et nature du jeu), d’une série d’«activités» (entraînement, alimentation) et de «miniquiz».

Les renseignements sur le monde du hockey sont parfois approximatifs. Guy Lafleur n’a pas «souvent» joué à l’aile droite (p. 34); c’était sa position régulière. Les joueurs punis ne restent pas «sur le banc des punitions pendant au moins deux minutes» (p. 35); cela peut être moins. La liste des dix «étapes à franchir pour devenir joueur professionnel» est incomplète (p. 39); il manque, entre autres choses, la Ligue américaine. La coupe Stanley n’est sûrement pas «le trophée sportif […] le plus célèbre en Amérique du Nord» (p. 27); ça se saurait.

Il y a enfin des problèmes de langue. Selon l’Office québécois de la langue française, aréna est un mot masculin (p. 12 et 37). Haltère aussi, et il prend un h; on n’écrit pas «petites altères» (p. 45). Jean Béliveau, dont Guy Lafleur jeune a porté le numéro 4, n’était pas un «avant-centre», mais un «centre» (p. 34).

Le héros de l’Oreille tendue méritait mieux que cette ébauche d’hagiographie.

 

Référence

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, coll. «Minibios», 2010, 71 p. Ill.

Questions d’euphonie

Myriam Beaudoin, Hadassa, 2006, couverture

Le roman Hadassa, de Myriam Beaudoin, offre une représentation tout à fait réussie du contact des langues à Montréal aujourd’hui. En exergue, cette phrase d’André C. Drainville :

Un écrivain est par définition souverain. Il a droit à tous les excès et à tous les écarts au nom non pas de la vérité, mais d’une vérité qui n’appartient qu’à lui (p. 11).

Pour l’oreille — pour l’Oreille —, ce «nom non» n’est guère heureux. C’est quand même mieux qu’un vers célèbre de Voltaire dans Nanine (1749) :

Non, il n’est rien que Nanine n’honore (acte III, sc. dernière).

Celui-là est dans une classe à part. Pour désigner ce phénomène, volontaire ou pas, Bernard Dupriez, dans son Gradus, parle de cacophonie :

Vice d’élocution qui consiste en un son désagréable, produit par la rencontre de deux lettres ou de deux syllabes, ou par la répétition trop fréquente des mêmes lettres ou des mêmes syllabes (éd. de 1980, p. 100).

Le Dictionnaire des termes littéraires parle de la cacophonie à l’entrée euphonie :

dissonance due à des liaisons sonores difficiles à prononcer, ou à une succession rapide des mêmes sons, ou de syllabes accentuées («Qu’attend-on donc tant ?»). La cacophonie peut être intentionnelle, et recevoir une fonction expressive, comique (p. ex. «Non, il n’est rien que Nanine n’honore», Voltaire) (p. 189).

Wikipédia a un article sur le sujet; Voltaire y est. Pas (encore) André C. Drainville.

 

Références

Beaudoin, Myriam, Hadassa. Roman, Montréal, Leméac, 2006, 196 p.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Voltaire, Nanine ou le Préjugé vaincu, dans Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 241, 1972, vol. I, p. 871-939 et p. 1442-1449. Textes choisis, établis, présentés et annotés par Jacques Truchet. Édition originale : 1749.

Traduction implicite

Dans le Devoir du 5 octobre, sous la plume de Michel David : «Autant il faut être deux pour danser le tango, autant il ne peut y avoir de trêve que si elle est respectée de part et d’autre» (p. A3).

Pourquoi «danser le tango», et non simplement danser, ou danser une valse, ou valser ? Parce qu’en anglais on dit «It takes two to tango» ?