Accouplements 77

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le Désordre azerty (2014), Éric Chevillard écrit ceci :

«Le milliardaire acquiert une île, puis il y fait creuser une piscine aussi longue et large qu’elle» (p. 59).

Le magazine The New Yorker vient de mettre en ligne cette caricature :

Caricature, The New Yorker, numéro du 7 novembre 2016

Certaines îles sont plus difficiles à occuper que d’autres.

P.-S. — Oui, c’est la troisième fois que l’Oreille tendue cite la phrase de Chevillard, après le 28 mars 2015 et le 3 novembre 2016.

 

Référence

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Nouvelles (sportives) du passé

Des lecteurs de l’Oreille tendue, connaissant son intérêt pour la culture sportive, viennent de lui transmettre deux documents qui ne pouvaient que l’intéresser.

Il existe une poésie hockeyistique, à laquelle l’Oreille a consacré quelques articles : à propos de Maurice Richard, par Ford, Metro (sans accent) et Guy Lafleur, autour de Walt Whitman et de Jean Béliveau. Un éditeur ferronien vient de découvrir, signé Russell Young, de Grand-Mère (Québec), un poème honorant, au moment de sa mort, le gardien de but Georges Vézina, celui qui a donné son nom au trophée remis annuellement au meilleur cerbère de la Ligue nationale de hockey. (Le surnom que portait Vézina a durablement marqué les esprits : comment oublier «Le concombre de Chicoutimi» ? Ce surnom ne renvoyait pas à son teint, mais à son lieu de naissance et à son calme : He was cool as a cucumber, pour reprendre une expression commune de la langue de Gump Worsley.) Cet éloge funèbre paraît le 8 avril 1926 dans le St. Maurice Valley Chronicle (Vézina est mort le 27 mars).

Georges Vezina, Goal-guardian brave

Now lies silent in the grave.

Peace be o’er his resting soul.

He has reached life’s greatest goal.

Through life he played the game.

Till disease his health did claim

But all must go to that Promised Land.

Whether life be low or grand.

Le gardien de but («Goal-guardian») est dans sa tombe («grave»), mais il a atteint son but («life’s greatest goal») et rejoint la Terre promise («that Promised Land»).

Voilà pour la première trouvaille. La seconde concerne le lieu où se déroulent les matchs. Aujourd’hui, un joueur puni se rend au banc des punitions, également appelé cachot. Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 21 décembre 1945 préfère parler de «frigidaire» (rubrique «Nouvelles de la région», article «Les compteurs du Saint-Hyacinthe»). On y aurait envoyé un «badman», le défenseur Marcel Larochelle, s’y rafraîchir les idées. Pourrait-il néanmoins y réchauffer le banc ? Ce serait paradoxal.

L’Oreille tendue se réjouit d’avoir des lecteurs à l’ouïe si fine et elle les remercie.

Accouplements 76 (dit «Accouplement de la symétrie»)

Normand Lalonde, Autoportrait aux yeux crevés, 2016, couverture

 

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le Désordre azerty (2014) — dont l’Oreille tendue a parlé ici —, Éric Chevillard a cette phrase :

«Le milliardaire acquiert une île, puis il y fait creuser une piscine aussi longue et large qu’elle» (p. 59).

La symétrie évoquée par Chevillard n’est-elle pas celle de Normand Lalonde dans cet aphorisme tiré de son recueil Autoportrait aux yeux crevés (2016) — dont l’Oreille a causé ?

«Si tous les mots s’écrivaient de la même façon, on ferait moins de fautes» (p. 31).

Dans les deux cas, la superposition, jusqu’à la disparition, d’une chose sur une autre, ou sur plusieurs, est parfaite.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Lalonde, Normand, Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p. Suivi de «Normand Lalonde (1959-2012). Portrait aux yeux mouillés», par Manon Riopel et Jean-François Vallée.

Patinez assis

«Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise.»
De Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace, 1937

Des joueurs de hockey connaissent du succès grâce à leur coup de patin. D’autres doivent leur carrière à leur vision du jeu. Certains ne jurent que par la rudesse.

Et il y a des joueurs qui réussissent parce qu’ils sont dans la bonne chaise. Traduction libre : leur entraîneur a trouvé la façon optimale de les utiliser.

Des gens apprécient l’expression : «Je sais qu’il y a une perception selon laquelle on défend plus nos structures que nos joueurs, mais notre intérêt principal, c’est que le joueur soit assis dans la bonne chaise» (Sylvain Lalonde, directeur général de Hockey Québec, cité dans la Presse+, 9 mai 2016).

D’autres, moins : «Mon souhait pour la prochaine saison du CH ? Ne plus entendre qu’un joueur est ou n’est pas “dans sa chaise”. Mes oreilles saignent» (@JFBegin).

P.-S. — Cela expliquerait la belle passe que vient de faire Phillip Danault à Torrey Mitchell, sur le deuxième but des Canadiens de Montréal contre les Canucks de Vancouver. Il serait, enfin, assis dans la bonne chaise.

P.-P.-S. — Oui, c’est de la langue de puck.

 

[Complément du 4 janvier 2017]

Foi de Marc Denis, ci-devant cerbère dans la Ligue nationale de hockey, désormais commentateur et analyste au Réseau des sports (RDS), on peut «tomber» dans la bonne chaise. Il l’a du moins déclaré en ondes hier soir.

 

[Complément du 6 novembre 2017]

On peut même être employé dans une chaise. C’est la Presse+ du jour qui le dit : «Cela aussi est un signe encourageant pour l’entraîneur, car le Tricolore nageait un peu dans l’inconnu en employant [Jonathan] Drouin dans cette chaise.»

 

[Complément du 20 février 2019]

Qu’arrive-t-il quand on est dans la mauvaise chaise ? On peut être rétrogradé dans une chaise mieux adaptée, foi de lapresse.ca : «L’éclosion de Strome avec DeBrincat permet au nouvel entraîneur Jeremy Colliton de réunir Jonathan Toews à Patrick Kane au sein du premier trio et de rétrograder Artem Anisimov dans une chaise mieux adaptée à ses capacités au centre du troisième trio.»

 

[Complément du 31 juillet 2019]

La Presse+ du jour est formelle : on peut aussi jouer au football dans une chaise. Ce serait désormais le cas chez les Alouettes de Montréal : «Deux des joueurs qui semblent avoir trouvé la bonne chaise sont Patrick Levels et Greg Reid, qui évoluent tous deux du côté court. Le premier en tant que secondeur et le second comme demi défensif.»

 

[Complément du 1er avril 2020]

L’expression a aussi cours dans le monde des variétés. Jean-Philippe Wauthier l’emploie dans la Presse+ du jour : «Il faut que je trouve le bon ton pour la chaise que j’occupe.» Il est vrai qu’il anime un show de chaises.

 

[Complément du 4 mars 2021]

Dans la Presse+ du jour : «si l’on exclut le poste d’entraîneur des défenseurs, assuré à Luke Richardson jusqu’à la fin de la saison, la seule chaise importante au sein du personnel hockey à ne pas avoir changé de titulaire est maintenant celle du directeur général». Il en est, semble-t-il, du titulaire de chaise comme du titulaire de poste.

 

[Complément du 11 janvier 2023]

Les Canadiens de Montréal mettent à l’essai Jesse Ylönen. Pourquoi ? Réponse de l’entraîneur Martin Saint-Louis, sur le site du Réseau des sports : «Que tu sois un gars de troisième ligne, de deuxième ligne ou de première ligne, il y a tout le temps quelqu’un qui veut essayer de prendre ta chaise. Ylo, l’opportunité qu’il a en venant ici, c’est de voler une chaise à quelqu’un.»

Manchette de RDS : «Ylönen à Montréal pour “voler une chaise”», 11 janvier 2023

[Complément du 18 janvier 2023]

Au lieu de voler une chaise, pourquoi ne pas simplement la prendre ? «Il a été un pro, il ne s’est pas plaint, il travaille fort, a résumé St-Louis. Je suis content qu’il soit récompensé. Avec les blessures et les mauvaises performances en son absence, il prend une chaise» (la Presse+, 18 janvier 2023).

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture