Une nouvelle pièce d’équipement ?

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — jouent leur premier match présaison ce soir. Profitons de l’occasion pour ajouter une expression à la langue de puck.

Nous avons déjà vu qu’il n’est jamais recommandé de jouer en tenant son bâton trop serré.

En entrevue, hier, dans la Presse+, l’entraîneur des Canadiens a utilisé une expression, liée au bâton, que ne connaissait pas l’Oreille tendue :

La première chose que j’ai remarquée chez [Artturi Lehkonen], à London, c’est à quel point il avait un bon bâton, confie [Michel] Therrien. Dans le hockey d’aujourd’hui, la robustesse est encore importante, mais le jeu est tellement rapide que ça prend un bon sens du hockey, et l’une des premières choses qu’on apprend à nos joueurs, c’est d’avoir un bon bâton.

C’est noté. Merci.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Radar lexical

Quand, par exemple, elle est tendue vers le parler des jeunes (ou celui des pompiers), l’Oreille se propose de suivre la vie des mots du jour ou des expressions à la mode : vont-ils survivre (swag) ou s’étioler (vagg) ? Elle n’a pas la prétention de croire qu’elle peut prédire l’avenir d’un mot ou d’une expression, mais elle aime agrandir régulièrement son herbier lexical.

Depuis quelques mois, elle constate que les complexes ne sont pas/plus à l’ordre du jour; il serait de bon ton d’être décomplexé.

Rendant compte d’un ouvrage récent de l’Oreille portant sur les idées reçues en matière de linguistique, le quotidien le Devoir titre : «Ça suffit, les complexes !» (8 septembre 2015, p. A1 et A8) Quelques mois plus tard, le journaliste Marc Cassivi publie Mauvaise langue : «Vivre le français décomplexé», annonce son journal (la Presse+, 28 février 2016).

Le 7 juin, dans le même journal, guillemets à l’appui, le même Marc Cassivi parle du «hip-hop québécois “décomplexé”».

Dans un numéro récent de la revue Études françaises, Pierre-Luc Landry et Marie-Hélène Voyer décrivent le «parti pris décomplexé pour l’esquive et l’exubérance» (p. 53) des éditeurs québécois en matière d’étiquettes génériques.

À la radio de Radio-Canada, commentateur (Luis Clavis, Plus on est de fous, plus ont lit !, 11 avril 2016) et créateur (Geneviève Pettersen, C’est fou…, 16 avril 2016) s’y mettent.

La presse de cette fin de semaine ne fait pas autre chose, s’agissant du livre de Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, le Code Québec. La Presse+ cite cette déclaration de Léger : «Et j’aime davantage la jeune génération décomplexée, plus exigeante, plus entrepreneuriale et à qui rien ne résiste» (25 septembre 2016). Le Devoir y va d’une autre déclaration du même : «Devant cette génération décomplexée, le Parti québécois (PQ) doit adapter son projet de pays» (25 septembre 2016). Fréquent dans les discussions sur la langue, l’adjectif prend ici une considérable expansion.

Être décomplexé est généralement perçu positivement. Plus rarement, négativement.

Dans le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation (2016), Louis Cornellier utilise le mot avec ces deux connotations opposées : «Notre langue était populaire, dense et décomplexée» (p. 12); «si je dois défendre ma langue maternelle […] c’est qu’elle est attaquée, de l’extérieur et de l’intérieur. […] De l’intérieur, par un relâchement linguistique décomplexé» (p. 170).

Le mot est chez les journalistes, les universitaires et les critiques. S’installera-t-il à demeure ? Tendons l’oreille.

P.-S. — L’usage de décomplexé n’est pas proprement québécois. L’excellent Michel Francard, dans «Vous avez de ces mots…», sa chronique du journal bruxellois le Soir, s’en sert :

À l’écart de tout purisme linguistique, cette chronique se veut attentive aux usages réels du français d’ici et d’ailleurs. Pour décrire ces usages, les analyser et les mettre en perspective, dans le temps, la société et l’espace. Pour rendre compte d’une langue décomplexée, innovante et plurielle. Pour aborder les mots du point de vue des gens qui les font vivre.

 

[Complément du 20 février 2017]

Il existerait même une «alimentation nord-américaine décomplexée». Heureusemement, elle est «proche de sa nature et de ses familles agricoles». Ça rassure, non ?

Pour une «alimentation nord-américaine décomplexée»

 

 

[Complément du 11 mars 2018]

La Presse+ du jour publie un dossier sur la littérature québécoise actuelle. On ne s’étonnera pas d’un des traits de celle-ci : «Stéphane Larue, auteur du livre Le Plongeur, est de ceux qui écrivent d’une [sic] langue décomplexée» (ici); «Mais une chose est certaine dans les années 2000 : l’oralité, le langage familier, sont énormément utilisés dans la production littéraire, et cela de manière tout à fait décomplexée» ().

Réaction, fort bien vue, sur Twitter, du non moins excellent @machinaecrire :

«Langue complexée», Nicolas Guay, Twitter, 1 mars 2018

Merci.

P.-S.—Signalons que l’École de la tchén’ssâ de l’Oreille tendue a droit à une citation. Merci aussi.

 

[Complément du 14 avril 2018]

Le Devoir n’est pas en reste sur la Presse+, s’agissant de littérature actuelle. On y parle aujourd’hui de «rapport décomplexé à l’oralité» et de poésie «décomplexante». L’Oreille tendue n’avait pas encore d’occurrence de ce mot. Merci.

 

Références

Cassivi, Marc, Mauvaise langue, Montréal, Somme toute, 2016, 101 p.

Cornellier, Louis, le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation, Montréal, VLB éditeur, 2016, 184 p.

Landry, Pierre-Luc et Marie-Hélène Voyer, «Paratexte et mentions éditoriales : brouillages et hapax au cœur de la “Renaissance québécoise”», Études françaises, 52, 2, 2016, p. 47-63. https://doi.org/10.7202/1036924ar

Léger, Jean-Marc, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, le Code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, Montréal, Éditions de l’Homme, 2016, 237 p. Ill.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Poème sportif du jour

Jean-Christophe Réhel, Les volcans sentent la coconut, 2016, couverture

C’est dimanche, jour de match pour le fils cadet de l’Oreille tendue et pour quelques dizaines de millions d’États-Uniens.

Pour l’occasion, ce poème, tiré du recueil Les volcans sentent la coconut (2016) de Jean-Christophe Réhel :

je suis un botaniste
dans l’appartement
j’arrose les plantes mais elles meurent
comme des connes
puis le facteur me livre une casquette
des panthers de la caroline
et je suis un joueur de football (p. 57)

 

Référence

Réhel, Jean-Christophe, Les volcans sentent la coconut. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 94 p.

Les zeugmes du dimanche matin, de François Bon et de Twitter

Le 15 septembre 2016 : «le 15 septembre est rarement une journée intéressante, même pluvieuse, réfléchit-il avec sagesse et une tasse de café.»

Le 26 août 2016 : «faire une vidéo en short et plan américain n’est pas un #zeugme mais une alliance constructive.»

Le 26 janvier 2016 : «là dessus je vais aller casser une croûte, pensa-t-il avec concupiscence et pertinence (et appétit et trépied photo) #laviesurdalle.»

 

(Une définition du zeugme ? Par .)