À l’occasion (ici, là), l’Oreille tendue aime rappeler qu’il est parfaitement légitime d’utiliser les verbes avoir et être, malgré ce que semblent croire des hordes de professeurs de français.
Elle s’est donc réjouie de (re)lire ceci, dans les entretiens qu’a donnés Gilles Marcotte à Pierre Popovic en 1996 sous le titre De la littérature avant toute chose :
Mais ce qui me frappait, qui m’attirait surtout dans ce livre [la Vie intellectuelle, 1921], c’était l’écriture. Le père Sertillanges était un bon écrivain. Il pratiquait une écriture très simple, économe, réduite à l’essentiel, très peu portée sur les figures de style. J’opposais cette langue-là à ce qu’exigeait de nous le professeur de rhétorique qui, lui, voulait nous faire suivre les conseils du manuel Durand, supprimer presque tous les mots non colorés, notamment les verbes être et avoir. Il les soulignait même, avec réprobation, dans les citations. J’ai vraiment opté, à ce moment-là, contre mon professeur, avec une conscience plus ou moins nette des enjeux, pour l’écriture simple contre l’écriture ornée, visiblement travaillée (p. 14-15).
Le conseil demeure est valable.
[Complément du jour]
S’agissant de la poésie de Saint-Denys Garneau :
D’autre part, la forme même de sa poésie me convenait tout à fait : cette poésie extrêmement simple, nue, qui aime le verbe être et le verbe avoir, qui n’emploie jamais de grands mots, qui reste tout près du murmure de la confidence, cela correspondait à l’idée que je me faisais instinctivement de l’écriture, de la poésie vraie (p. 53).
[Complément du 3 janvier 2017]
Dans son roman graphique Fun Home (2006), Alison Bechdel se souvient des commentaires d’un de ses professeurs sur un de ses devoirs de lettres :
Our papers came back bloodied with red marks—most lavishly the withering «WW» for «Wrong Word».
«Is» ? How can «is» be wrong ? (éd. de 2014, p. 201).
En anglais comme en français, le verbe to be (être, «is») pourrait donc être le mauvais mot («Wrong Word»). Pourquoi ?
[Complément du 27 juin 2022]
Souvenir scolaire d’Élise Turcotte dans Autobiographie de l’esprit (2013) : «Je me souviens que le verbe être était interdit à l’école» (p. 42).
[Complément du 20 a0ût 2023]
On ne cesse, au Québec, de vanter les mérites linguistiques du descripteur sportif René Lecavalier. Quel conseil a-t-il donné à Claude Raymond, joueur de baseball reconverti en analyste télévisuel ? «Comme René Lecavalier me l’avait déjà conseillé, une des clés était de rester simple, de ne pas hésiter à utiliser les verbes avoir et être» (chapitre «Du haut de la passerelle», dans Frenchie).
Références
Bechdel, Alison, Fun Home. A Family Tragicomic, New York, A Mariner Book, Houghton Mifflin Harcourt, 2014, 232 p. Édition originale : 2006.
Popovic, Pierre, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, Montréal, Liber, coll. «De vive voix», 1996, 192 p. Ill.
Raymond, Claude, avec Marc Robitaille, Frenchie. L’histoire de Claude Raymond. Récit biographique, Montréal, Hurtubise, 2022. Ill. Préface d’Yvan Dubois. Édition numérique.
Turcotte, Élise, Autobiographie de l’esprit. Écrits sauvages et domestiques, Montréal, La mèche, coll. «L’ouvroir», 2013, 229 p. Ill.
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