«Tel était le nouvel événement, qui venait de se dérouler par un des rares matins de soleil, à l’heure où la maison, d’habitude, faisait, avec sa toilette, relâche de méchanceté» (p. 214-215).
«C’était tout. Le Féroce ne pouvait pas comprendre. Il mâchait toujours du vide — ou sa mauvaise humeur —, se levait, poussait un soupir et allait rejoindre les deux autres, le docteur Jules et un médecin du Havre, dans le bureau de tante Poldine qu’on avait mis à leur disposition pour la consultation» (p. 243).
Georges Simenon, les Sœurs Lacroix, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 175-271. Édition originale : 1938.
«Tout m’intéresse, me fait signe», Frank va parler
Le 28 mai, l’Oreille tendue mettait en ligne quelques zeugmes tirés du roman Frank va parler de François Hébert.
Ce roman, comme ses autres romans et récits et ses recueils de poésie, ne correspond guère à ce que l’on attend en matière de création. C’est joyeux, inattendu, libre, irrévérencieux, pas sérieux, assez broche à foin, du moins en apparence. Ce texte se passe dans une pyramide il y a plusieurs siècles, dans des bars de danseuses, dans une maison jaune à Saint-Lambert, dans un condo à Rosemont, sur la plateforme Zoom. C’est, entre autres choses, une réflexion sur l’amour, le temps qui passe (ou pas), la littérature et la mort.
À la pagne 179 se trouve une liste de morts : amis, collègues ou proches. Tout au long de Frank va parler, le romancier revient aussi sur la mort de ses parents, comme il le faisait au sujet d’eux et de sa sœur dans le recueil Des conditions s’appliquent (2019). Il faudra maintenant ajouter le nom de François Hébert à ces tombeaux : il est mort ce mardi.
Il avait été, il y a quelques décennies, le professeur de l’Oreille tendue dans un cours de poésie québécoise (quelles cravates !), puis ils étaient devenus collègues («Le comité va tout mettre ça dans un vrac»). Appelé à se définir, plutôt qu’«universitaire», il se disait «critique littéraire» (De Mumbai à Madurai, p. 24, p. 29, p. 40). Il créait des «assemblages», faits de matériaux rassemblés de-ci de-là : il y en a un en couverture du livre de l’Oreille intitulé Écrire au pape et au Père Noël (2011). Il citait volontiers Gaston Miron et Tintin. Il avait parcouru le monde, mais il aimait Montréal (Montréal, 1989; Signé Montréal, 2010) et la nature québécoise («Quand t’achètes un terrain, c’est la première acre qui coûte le plus cher»). François Hébert était le poète québécois que lisait le plus régulièrement l’Oreille : cela doit vouloir dire quelque chose, sur lui, sur elle. Il est cité une cinquantaine de fois ici : voir, par exemple, ceci, sur les gougounes, ou cela, sur un roman à clés.
Pas plus tard que lundi dernier, l’Oreille tendue écrivait à François au sujet d’un passage de Frank va parler. Ce courriel restera sans réponse.
Illustration : François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004
Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p. Ill. François Hébert : auteur. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit. Existe aussi en version anglaise.
«Le fameux baiser dans la pierre froide de Rodin n’est rien en comparaison du nôtre, le sien manquant de cassonade, de couleur, d’humidité, de tannins, de tout en somme, à cause de l’absence de Camille Claudel notamment, la folle de lui, et ça l’aurait peut-être sauvée, un tel baiser profondément charnel, tandis que le frérot d’icelle traficotait des phrases et de la religion» (p. 43).
«J’ai dû me débrouiller en m’assoyant sur les marches mouillées et en m’appuyant sur les mains en cul-de-jatte, et marche après marche je suis revenu sur terre comme un Slinky, le ciel maya se vengeant de mon escalade et de mon intrusion dans son grand rêve cosmologique, en m’infligeant une douleur aux muscles de l’intérieur des cuisses» (p. 58-59).
«J’ai réussi à ne pas m’endormir et ce serait mon plus grand exploit de la soirée, de la nuit et peut-être de ma vie, et ce n’est pas peu dire car j’ai fait des voyages, quelques enfants et des poèmes» (p. 145).
«J’ai pris froid à la sortie du motel et de la nuit chaude» (p. 148).