Curiosité voltairienne (et apocryphe)

Dans les années 1980, Amnistie internationale se servait d’une affiche de Jankowski pour faire sa publicité.

Affiche de Jankowski pour Amnistie internationale

 

«Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.» Beaucoup attribuent cette phrase, avec des variantes diverses, à Voltaire, mais ils se trompent. Elle est de l’historienne britannique Evelyn Beatrice Hall dans The Friends of Voltaire, en 1906.

 

Voltaire est toujours bien vivant.

Les zeugmes du dimanche matin et de Simenon

Georges Simenon, Malempin, 1940, couverture

«J’étais gavé. Gavé de nourriture, de boissons, de chaleur, de bien-être et de rêves. Jamais, depuis, il ne m’a été donné de me soûler aussi complètement de vie confuse» (p. 262).

«Il y a longtemps que je n’ai pas mangé du soleil et de la vie comme je le fais le long de ce trottoir, de cette palissade où éclatent des affiches multicolores et j’ai de la peine à prendre mon frère au sérieux» (p. 318).

Georges Simenon, Malempin. Roman, dans Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, p. 223-328 et 1526-1539. Édition originale : 1940. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Primo Levi

Primo Levi, la Clé à molette, éd. de 2021, couverture

«La nouvelle était surprenante : dans tous ses autres récits, Faussone s’était efforcé de jouer les indifférents, l’homme peu porté aux aventures sentimentales, de se faire passer justement pour un de ces types “qui ne courent pas après les filles”, alors que celles-ci courent après eux. Après eux qui ne s’en occupent guère, qui prennent l’une ou l’autre sans trop leur accorder d’importance, qui la gardent le temps d’un chantier, et puis bonsoir ! Et ils s’en vont. Alors je suis devenu attentif, j’ai tendu l’oreille.»

Primo Levi, la Clé à molette, Paris, Robert Laffont, coll. «Pavillons poche», 2021, 284 p. Traduction de Roland Stragliati. Édition numérique.

Lecture normande

Giuliano da Empoli, l’Heure des prédateurs, 2025, couverture

Il y a du pour.

Dans l’Heure des prédateurs (2025), Giuliano da Empoli est très habile à mettre en lumière les comportements politiques contemporains. «Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives» (p. 46), écrit-il; aujourd’hui les techniques offensives dominent. Il faut toujours agir, de préférence de façon irréfléchie, si on veut rester en position de domination (p. 62-63) : «le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants» (p. 75). Les tenants de la gauche (les «avocats») sont de plus en plus dépassés par les événements : «Une ère de violence sans limites s’ouvre en face de nous et […] les défenseurs de la liberté paraissent singulièrement mal préparés à la tâche qui les attend» (p. 49). Cela est particulièrement vrai du développement, non régulé par les États, de l’intelligence artificielle. Le classement des situations politiques qui va, en descendant, de The West Wing à House of Cards puis à The Thick of It ou Veep amuse (p. 23). Des rappels sont utiles : «il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique» (p. 77).

Il y a du contre.

Le livre serait écrit «du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place» (p. 13); ce «scribe aztèque» est une affèterie, dont l’auteur aurait pu faire l’économie sans aucun mal. Montrer sa culture, c’est bien; l’étendre, un brin moins. Faut-il vraiment, dans un livre aussi bref, histoire de contrer la «vague illibérale» (p. 86), convoquer à la barre Sándor Márai, Curzio Malaparte, Prosper Mérimée, Dany Laferrière, Stendhal, Jean Renoir, Gustave Flaubert, Woody Allen, Ortega y Gasset, Thomas Hobbes, Léon Tolstoï, Federico Fellini, Johann Wolfgang von Goethe, Alezandre Kojève, Vasari, Léonard de Vinci, François Guichardin, Roger Nimier, Plutarque, Suétone, William Shakespeare, Dante, Fénelon, Daniel Halévy, Jean Guéhenno, Thomas Mann, Joseph de Maistre, Jean-Paul Sartre, William Gibson, Søren Kierkegaard, Italo Calvino et Franz Kafka (l’Oreille tendue s’excuse par avance auprès de ceux qu’elle aurait oubliés) ? Machiavel est indispensable à la démonstration — nous vivons entourés de personnes inspirées par César Borgia, les «borgiens» —, mais les autres, c’est moins sûr. L’énumération ci-dessus ne comporte pas les noms des politiques innombrables avec qui fraie l’essayiste, de capitale en capitale : il fréquente du beau monde et il accumule les air miles; on a compris.

Il y a du triste : le mot «digitale» mis pour «numérique» (p. 74), l’absence de majuscule à «Mémoires» (p. 81). Chez Gallimard…

 

Référence

Da Empoli, Giuliano, l’Heure des prédateurs, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2025, 151 p.