Les zeugmes du dimanche matin et de Stéphane Ledien

Stéphane Ledien, Sur ses gardes. Les phalanges d’Eddy Barcot, 2015, couverture

«L’homme en bleu, le même qui n’avait pas de ketchup ni d’humour, m’a fait sortir à la hâte de cette chambre avec vue sur le néant bétonné» (p. 141).

«Je lutte contre la fatigue et le vol» (p. 146).

«Nous marchons un peu et nous attablons à une terrasse de café réchauffée par des braseros et les allées et venues énergiques de gens pressés de dépenser leur argent dans les boutiques de luxe de la rue de la République» (p. 157).

«Il ronge son stylo, le laisse suspendu à ses lèvres en même temps que la question qu’il s’apprête à poser» (p. 168).

«Les gens lèvent la tête. Et moi, la voix» (p. 182)

Stéphane Ledien, Sur ses gardes. Les phalanges d’Eddy Barcot, Montréal, À l’étage, 2015, 283 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 77

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le Désordre azerty (2014), Éric Chevillard écrit ceci :

«Le milliardaire acquiert une île, puis il y fait creuser une piscine aussi longue et large qu’elle» (p. 59).

Le magazine The New Yorker vient de mettre en ligne cette caricature :

Caricature, The New Yorker, numéro du 7 novembre 2016

Certaines îles sont plus difficiles à occuper que d’autres.

P.-S. — Oui, c’est la troisième fois que l’Oreille tendue cite la phrase de Chevillard, après le 28 mars 2015 et le 3 novembre 2016.

 

Référence

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Le niveau baisse ! (2015)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Y aura-t-il enfin quelqu’un qui mettra fin à cette déconstruction intellectuelle qui a conduit une génération à ne plus savoir lire, écrire et compter ?»

Source : Nestor Turcotte, la Presse, 6 février 2015.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Nouvelles (sportives) du passé

Des lecteurs de l’Oreille tendue, connaissant son intérêt pour la culture sportive, viennent de lui transmettre deux documents qui ne pouvaient que l’intéresser.

Il existe une poésie hockeyistique, à laquelle l’Oreille a consacré quelques articles : à propos de Maurice Richard, par Ford, Metro (sans accent) et Guy Lafleur, autour de Walt Whitman et de Jean Béliveau. Un éditeur ferronien vient de découvrir, signé Russell Young, de Grand-Mère (Québec), un poème honorant, au moment de sa mort, le gardien de but Georges Vézina, celui qui a donné son nom au trophée remis annuellement au meilleur cerbère de la Ligue nationale de hockey. (Le surnom que portait Vézina a durablement marqué les esprits : comment oublier «Le concombre de Chicoutimi» ? Ce surnom ne renvoyait pas à son teint, mais à son lieu de naissance et à son calme : He was cool as a cucumber, pour reprendre une expression commune de la langue de Gump Worsley.) Cet éloge funèbre paraît le 8 avril 1926 dans le St. Maurice Valley Chronicle (Vézina est mort le 27 mars).

Georges Vezina, Goal-guardian brave

Now lies silent in the grave.

Peace be o’er his resting soul.

He has reached life’s greatest goal.

Through life he played the game.

Till disease his health did claim

But all must go to that Promised Land.

Whether life be low or grand.

Le gardien de but («Goal-guardian») est dans sa tombe («grave»), mais il a atteint son but («life’s greatest goal») et rejoint la Terre promise («that Promised Land»).

Voilà pour la première trouvaille. La seconde concerne le lieu où se déroulent les matchs. Aujourd’hui, un joueur puni se rend au banc des punitions, également appelé cachot. Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 21 décembre 1945 préfère parler de «frigidaire» (rubrique «Nouvelles de la région», article «Les compteurs du Saint-Hyacinthe»). On y aurait envoyé un «badman», le défenseur Marcel Larochelle, s’y rafraîchir les idées. Pourrait-il néanmoins y réchauffer le banc ? Ce serait paradoxal.

L’Oreille tendue se réjouit d’avoir des lecteurs à l’ouïe si fine et elle les remercie.

Accouplements 76 (dit «Accouplement de la symétrie»)

Normand Lalonde, Autoportrait aux yeux crevés, 2016, couverture

 

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le Désordre azerty (2014) — dont l’Oreille tendue a parlé ici —, Éric Chevillard a cette phrase :

«Le milliardaire acquiert une île, puis il y fait creuser une piscine aussi longue et large qu’elle» (p. 59).

La symétrie évoquée par Chevillard n’est-elle pas celle de Normand Lalonde dans cet aphorisme tiré de son recueil Autoportrait aux yeux crevés (2016) — dont l’Oreille a causé ?

«Si tous les mots s’écrivaient de la même façon, on ferait moins de fautes» (p. 31).

Dans les deux cas, la superposition, jusqu’à la disparition, d’une chose sur une autre, ou sur plusieurs, est parfaite.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Lalonde, Normand, Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p. Suivi de «Normand Lalonde (1959-2012). Portrait aux yeux mouillés», par Manon Riopel et Jean-François Vallée.