Le zeugme du dimanche matin et de Joyce Marshall

 Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, 1989, couverture

«My own father was eating lunch in a restaurant in Montreal when he dropped his fork and slipped sideways to the floor. He was bundled into a taxi and would not tell the driver where he lived or be taken to a hospital till twenty-five dollars and most of his life was gone

Joyce Marshall, «Avis de Vente», Matrix, automne 1984, reproduit dans Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, Toronto, Deneau, 1989, xix/290 p., p. 228-236, p. 236.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Robert Bourassa, Bell Canada et Céline Dion

Double arc-en-ciel, Baie-Saint-Paul, Québec, 2013

 

Pendant la campagne électorale de 1989, Robert Bourassa, alors candidat pour le Parti libéral du Québec, était l’objet de publicités télévisées. Petite, l’Oreille était déjà tendue. Voici ce qu’elle écrivait à ce sujet dans le magasine Spirale :

Publicité télévisée du Parti libéral : devant une foule en liesse, le premier ministre commence son discours par un «Ce que le Québec a besoin» là où la grammaire exige un «Ce dont le Québec a besoin». Existe-t-il un autre pays où le chef de l’État, conseillé, on l’imagine, par toutes sortes d’experts en communication, accepterait de présenter une publicité incorrecte grammaticalement ?

Plusieurs années plus tard, et beaucoup moins jeune, l’Oreille avait des choses à dire sur une publicité, également télévisée, de Bell Canada. Une femme y interrogeait une de ses amies au sujet d’un groupe d’hommes enfermés dans le garage de celle-ci : «Ça leur dérange pas […] ?» (La publicité a finalement été corrigée.) Là encore, on imagine que plusieurs personnes ont dû donner leur aval avant que cette faute («Ça les dérange pas») se retrouve en ondes.

Ces jours-ci, selon des sources médiatiques, circule un clip de Céline Dion dans lequel la «diva de Charlemagne» (PQ) se trompe sur le genre du mot arc-en-ciel, féminisé par elle.

Comment expliquer la présence de cette faute ?

On peut plaider l’ignorance, Céline Dion croyant vraiment que le mot arc-en-ciel est féminin. Mais personne ne l’aurait corrigée ? La réputation de la chanteuse étant ce qu’elle est en matière de contrôle de son image publique, cela paraît peu probable.

Comme pour Robert Bourassa et pour Bell Canada, on peut craindre le mépris de la langue et, au-delà, du public. Une faute ? Y a rien là. Le monde comprennent.

Autre hypothèse, pas moins cruelle : parlant mal et le sachant, Céline Dion ne se corrigerait pas volontairement, histoire de se montrer proche de son public. A parle don comme nous autres.

Enfin, les problèmes des Québécois avec une certaine classe de mots étant ce qu’ils sont, peut-être cette faute est-elle l’indice que l’arc-en-ciel, pour Céline Dion, est un moyen de transport.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Fragments de dictionnaire pour une campagne», Spirale, 93, décembre 1989 / janvier 1990, p. 14. https://benoitmelancon.quebec/docs/langue_elections_spirale_1989.html

Le niveau baisse ! (2010)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«[Pour] Claude Imbert le français est un chef-d’œuvre en péril, pour Jean Dutourd c’est une langue en état de siège.»

Source : le Monde, 26 février 2010.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Citation grammaticale à méditer

 Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1966, couverture

«On recommande formellement de choisir un classique pour se mouler sur lui, mais tous ont leurs dangers, et non seulement ils ont péché par le style, mais encore par la langue.

Une telle assertion déconcerta Bouvard et Pécuchet et ils se mirent à étudier la grammaire.

Avons-nous dans notre idiome des articles définis et indéfinis comme en latin ? Les uns pensent que oui, les autres que non. Ils n’osèrent se décider.

Le sujet s’accorde toujours avec le verbe, sauf les occasions où le sujet ne s’accorde pas.

Nulle distinction, autrefois, entre l’adjectif verbal et le participe présent; mais l’Académie en pose une peu commode à saisir.

Ils furent bien aises d’apprendre que leur, pronom, s’emploie pour les personnes, mais aussi pour les choses, tandis que et en s’emploient pour les choses et quelquefois pour les personnes.

Doit-on dire : “Cette femme a l’air bon” ou “l’air bonne” ? — “une bûche de bois sec” ou “de bois sèche” — “ne pas laisser de” ou “que de” — “une troupe de voleurs survint” ou “survinrent” ?

Autres difficultés : “Autour et à l’entour” dont Racine et Boileau ne voyaient pas la différence; — “imposer” ou “en imposer”, synonymes chez Massillon et chez Voltaire; “croasser” et “coasser”, confondus par Lafontaine, qui pourtant savait reconnaître un corbeau d’une grenouille.

Les grammairiens, il est vrai, sont en désaccord, ceux-ci voyant une beauté où ceux-là découvrent une faute. Ils admettent des principes dont ils repoussent les conséquences, proclament les conséquences dont ils refusent les principes, s’appuient sur la tradition, rejettent les maîtres, et ont des raffinements bizarres. Ménage, au lieu de lentilles et cassonade, préconise nentilles et castonade. Bouhours, jérarchie et non pas hiérarchie, et M. Chapsal les œils de la soupe.

Pécuchet surtout fut ébahi par Génin. Comment ? des z’hannetons vaudrait mieux que des hannetons, des z’aricots que des haricots, et, sous Louis XIV, on prononçait Roume et M. de Lioune pour Rome et M. de Lionne !

Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n’y eut d’orthographe positive, et qu’il ne saurait y en avoir.

Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion.»

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 103, 1966, 378 p., p. 168-169. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1881 (posthume).

Nouveau type de jury

Les lecteurs de l’Oreille tendue l’ont déjà croisé.

Dans le domaine sportif, le gérant d’estrade est toujours prêt à échanger Untel, à faire jouer tel autre, à remplacer l’entraîneur. Raisonnables ou pas, il a des opinions bien arrêtées et il les partage urbi et orbi.

Il a son pendant politique, la belle-mère.

On a soumis cette semaine un accusé québécois à la vindicte populaire, pour reprendre l’expression consacrée. Cela a inquiété un certain nombre de personnes, d’où ce tweet :

En effet, l’existence du juré d’estrade inquiète.