Accouplements 36

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Cette interrogation, hier, sur Twitter, de @shimonharvey :

Tweet de Simon Harvey, 8 novembre 2015

L’Oreille tendue serait tentée de répondre uniquement par deux citations d’André Belleau, tirées d’une entrevue de 1978 :

À un certain niveau de l’administration que je dirais médiocre, ça paraît divers aussi. Mais à un niveau de l’administration que je juge supérieur, et je ne suis pas très modeste en le disant, ça demeure le même problème fondamental. C’est que l’administrateur est un créateur de discours, comme un écrivain, au fond. L’administrateur est celui qui, devant des situations humaines complexes, réussit à tenir un discours qui instaure la logique et l’ordre. […] L’administrateur est le spécialiste d’un type de discours et de langage, et c’est ça qu’il faut comprendre (éd. de 1987, p. 17);

l’administrateur, à mon avis, est un poète, et ça, on l’oublie souvent. C’est un imaginatif et un poète. Et ça je le sais, j’en ai fait l’expérience (éd. de 1987, p. 18).

Autrement dit, les spécialistes de la langue et de l’imagination peuvent être partout, en droit comme dans les administrations. Les créateurs (les «poètes») n’ont évidemment, et heureusement, aucun monopole sur elles.

 

Référence

Belleau, André, «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», Liberté, 169 (29, 1), février 1987, p. 4-27. Transcription par François Ricard d’un entretien radiophonique du 4 mai 1978 dans la série «À la croisée des chemins» (réalisation d’Yves Lapierre). https://id.erudit.org/iderudit/31100ac

Interrogation juridique du jour

La Société de transport de Montréal a une bien étrange conception de la langue au Québec.

L’Oreille tendue a déjà déploré, sur les réseaux sociaux et dans le quotidien le Devoir, que la STM impose aux abonnés de ses fils Twitter des messages toujours en double, l’un en français, l’autre en anglais. Que les messages existent dans les deux langues ne l’ennuie pas. Être obligée de les recevoir dans les deux langues, si.

L’autre jour, dans le métro, l’Oreille tombe sur cette affiche, uniquement en anglais :

Publicité unilingue, métro de Montréal, novembre 2015

 

Question : la Charte de la langue française ne s’applique donc pas dans le métro de Montréal ?

Du colloque

Faut-il poser une question en colloque ?

L’Oreille tendue est professeure d’université depuis plus de vingt ans. Plus elle vieillit — et elle vieillit —, moins elle comprend l’utilité des colloques, du moins en sciences humaines. C’est ce qu’elle racontait hier à un groupe de doctorants de son université.

Sa réflexion était nourrie de plusieurs textes qui mettent en lumière les dysfonctionnements de ce mode de communication scientifique. Elle en recommandait quatre, particulièrement stimulants.

Cebula, Larry, «We Know You Can Read. So Can We», The Chronicle of Higher Education, 14 janvier 2013. http://chronicle.com/article/We-Know-You-Can-Read-So-Can/136607/

Extrait choisi : «I can tell from the change in his wheezing that the old guy behind me is falling asleep. A half-dozen people are falling asleep. Lucky

Thiffault, Nelson et Stephen Wyatt, «L’art de ne pas présenter : 12 astuces pour ne plus être invité», l’Aubelle, 150, automne 2006, p. 18-20. http://www.mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/connaissances/recherche/Thiffault-Nelson/LAubelle-150-automne-18-20.pdf

Extrait choisi : «Être — et surtout, demeurer — un mauvais conférencier est un travail continu et difficile.»

Van Campenhoudt, Luc, «La communication orale. Partie intégrante du processus scientifique», dans Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (édit.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. «Cas de figure», 29, 2013, p. 217-228.

Extrait choisi : «La clarté et la cohérence rendent évidemment vulnérable à la critique car elles permettent aux interlocuteurs de saisir la signification des propos» (p. 225).

Wampole, Christy, «The Conference Manifesto», The New York Times, 4 mai 2015. http://opinionator.blogs.nytimes.com/2015/05/04/the-conference-manifesto/

Extrait choisi : «We are humanists [and] have passed or received notes during a particularly painful session that read “Kill me now”

Il y a du travail à faire.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille cause colloque : ici, à propos d’Arnaldur Indridason; , au sujet d’une passionnante expérience tenue à l’Université Laval de Québec en 2013.

P.-P.-S. — Quand elle s’ennuie dans une rencontre scientifique — et ça lui arrive trop souvent —, l’Oreille croque des «Scènes de la vie de colloque» (c’est de ce côté, en PDF).

 

[Complément du 25 juin 2019]

Paul Bertrand, alias @medieviz, a publié récemment, sur son blogue, un texte intitulé «Colloques : le bûcher des vanités. Pour une réinvention des pratiques historiennes». C’est à lire, avant d’en profiter pour agir.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

Accouplements 35

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le 16 mars 2007, un groupe d’écrivains publie dans le quotidien parisien le Monde un manifeste qui aura un considérable retentissement, «Pour une “littérature-monde” en français». On y lit notamment ceci : «Personne ne parle le francophone, ni n’écrit en francophone.»

Hier, la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, qui sera à ce titre responsable des langues officielles pour le gouvernement du Canada, aurait déclaré qu’elle allait défendre «la langue francophone».

De deux choses l’une : ou bien les signataires du manifeste se trompent ou bien c’est la nouvelle députée d’Ahuntsic-Cartierville.

 

[Complément du 20 janvier 2016]

Hier soir, le joueurnaliste Benoît Brunet a rejoint la ministre :

Benoît Brunet et le «francophone» à RDS

 

[Complément du 2 avril 2021]

Au tour de François Legault, le premier ministre du Québec : «Nous ce qu’on a à faire, on est un p’tit peuple en Amérique du Nord, les Québécois qui parlent francophone, qui ont des valeurs comme la laïcité, qui ont besoin d’avoir une certaine intégration. Les autres communautés qui arrivent au Québec, y’apportent du plus à notre nation» (source).

 

[Complément du 16 avril 2021]

Le mal n’est pas que local. Le journal français le Figaro en souffre lui aussi, au pluriel. (Merci à @MichelFrancard.)

Le Figaro du 6 avril 2021 parle de «langues francophones»