Accouplements 32

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Sur Twitter, le magazine The New Yorker fait circuler une caricature de David Sipress. Dans un cadre domestique, un homme explique à un enfant ce qu’est l’argent et ce que cela représentera pour le reste de sa vie :

Caricature de David Sipress, The New Yorker, 2 septembre 2015

Pour un lecteur du Neveu de Rameau de Diderot, cela ne peut manquer d’évoquer la scène où ledit Neveu explique comment il révèle à son fils la valeur d’une pièce de monnaie et, par là, de l’argent :

De l’or, de l’or. L’or est tout; et le reste, sans or, n’est rien. Aussi, au lieu de lui farcir la tête de belles maximes qu’il faudrait qu’il oubliât, sous peine de n’être qu’un gueux; lorsque je possède un louis, ce qui ne m’arrive pas souvent, je me plante devant lui. Je tire le louis de ma poche. Je le lui montre avec admiration. J’élève les yeux au ciel. Je baise le louis devant lui. Et pour lui faire entendre mieux encore l’importance de la pièce sacrée, je lui bégaye de la voix; je lui désigne du doigt tout ce qu’on en peut acquérir, un beau fourreau, un beau toquet, un bon biscuit. Ensuite je mets le louis dans ma poche. Je me promène avec fierté; je relève la basque de ma veste; je frappe de la main sur mon gousset; et c’est ainsi que je lui fais concevoir que c’est du louis qui est là, que naît l’assurance qu’il me voit (éd. de 1984, p. 94-95).

Il est vrai que le Neveu est un brin plus cynique que le dessinateur du New Yorker.

P.-S. — Qui lirait une parodie de l’Eucharistie dans la scène diderotienne ne se tromperait pas.

 

Référence

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau. Satires, contes et entretiens, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 5925, 1984, 414 p. Édition établie et commentée par Jacques Chouillet et Anne-Marie Chouillet.

À l’aide !

Tu veux écrire, mais tu as un peu de mal ? Ne désespère pas. Internet est là pour toi.

Tu aimes tes textes chauds ? Lance-toi dans les teintes de gris.

Tu préfères la prose savante ? À Chicago, tu trouveras ton bien.

Les formes brèves, c’est pour toi ? @machinaecrire a ce qu’il te faut.

Tu aimes les titres de Philippe Delerm ? Slate t’aide à créer les tiens. (On ne sache cependant pas que La première gorgée de sperme, c’est quand même autre chose ait été créé ici.)

Tu n’aimes pas les titres de Philippe Delerm ? Vois ce site.

Ton œuvre est écrite, elle a un titre et elle est en librairie ? Il lui faut un bandeau !

Yapadkoi.

P.-S. — Tu veux découvrir d’autres générateurs de textes ? Vois ici, et là encore.

 

Référence

Dessert, Fellacia, La première gorgée de sperme, c’est quand même autre chose, Éditions Blanche, 1998, 77 p. Réédition augmentée : 2007.

Accouplements 31 (dits «Accouplements de la rentrée»)

Catherine Mavrikakis, l’Éternité en accéléré, 2010, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

En 2010, dans son «e-carnet», l’Éternité en accéléré, Catherine Mavrikakis écrit ceci :

C’est pourquoi, dans mes cours, j’ai des sentiments ambigus, qui vont du courroux à la bienveillance amusée, lorsque les étudiants se lèvent, sortent, arrivent en retard, partent plus tôt. Je ne me permettrais jamais de faire cela, parce que l’on m’a appris la politesse, mais je ne soupçonne pas ceux et celles qui ne tiennent pas en place ou qui regardent leurs courriels en faisant semblant de prendre des notes de ne pas m’écouter. Je préfère penser que, pour certains, la compréhension demande une «écoute flottante», une écoute qui n’est pas fidèle, qui se disperse pour mieux revenir à son objet toujours fuyant, impossible (p. 42-43).

Dans un «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», diffusé en 1978 et publié en 1987, André Belleau allait dans le même sens :

Et vous savez, l’apprentissage, les cours de lettres, ce n’est pas comme les cours de mathématiques. On ne peut pas parler d’un apprentissage progressif, d’une substance, comme en linguistique. Vous avez devant vous des jeunes gens qui peuvent paraître, à un moment donné, ne pas vous écouter et demeurer blasés. Et pourtant, ils entendent votre discours, et après deux mois, trois mois, vous avez un travail absolument extraordinaire, parce que ça ne procède pas de façon continue, ce n’est pas un progrès continu en lettres, c’est plutôt une expérience qu’on fait de la littérature. Je ne parlerais pas de déblocage, mais de mutation soudaine. On n’est jamais sûr, il ne faut jamais dire que tel étudiant qui semble dormir ne vous écoute pas ou que votre discours est inutile. On ne peut jamais dire ça (p. 27).

P.-S.—L’Oreille tendue a déjà cité ce texte de Catherine Mavrikakis, dans un contexte légèrement différent; c’était le 25 octobre 2010.

P.-P.-S.—C’est jour de rentrée, aujourd’hui, à l’université de l’Oreille. Bonne rentrée optimiste à tous les professeurs.

 

Références

Belleau, André, «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», Liberté, 169 (29, 1), février 1987, p. 4-27. Transcription par François Ricard d’un entretien radiophonique du 4 mai 1978 dans la série «À la croisée des chemins» (réalisation d’Yves Lapierre). https://id.erudit.org/iderudit/31100ac

Mavrikakis, Catherine, l’Éternité en accéléré. E-carnet, Montréal, Héliotrope, «Série K», 2010, 278 p.