Citation philologique du jour

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, 1996, couverture

 

«J’avais honte. Constamment attaché, en tant que philologue, à relever ce que chaque situation et chaque cercle avait de particulier sur le plan linguistique, et à parler moi-même de manière tout à fait neutre et non marquée, j’avais pourtant bel et bien été influencé par mon entourage. (De cette manière, on se gâte l’ouïe, cette faculté d’enregistrer.).»

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p., p. 239. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

 

[Complément du 5 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 5 décembre 2014.

Il y a de petites économies

Il arrive à l’Oreille tendue de suivre des matchs de hockey à la radio. Elle écoute alors les descriptions de Martin McGuire et les commentaires de Dany Dubé sur les ondes de la station 98,5.

Elle s’étonne toujours d’entendre des expressions comme tir poignet (au lieu de tir du poignet), tir revers (au lieu de tir du revers), mettre pression (au lieu de mettre de la pression) ou maintenir pression (au lieu de maintenir la pression).

S’agit-il d’un souci d’économie ? On pourrait le croire : tir poignet est un brin plus court que tir du poignet. Même calcul pour mettre pression et maintenir pression. Cela ne marche toutefois pas avec tir revers : c’est plus court que tir du revers, certes, mais c’est plus long que revers, qui, employé tout seul, est commun.

Pourquoi alors ? Pour se singulariser ? Ce ne serait pas la première fois.

P.-S. — Un esprit mal tourné pourrait avancer que tir poignet est un calque de l’anglais (wrist shot). L’Oreille n’a pas l’esprit mal tourné.

P.-P.-S. — Selon le Petit Robert (édition numérique de 2014), dribler signifie «Courir en poussant devant soi (le ballon), du pied (football) ou de la main (basketball) sans en perdre le contrôle.» Martin McGuire donne de l’extension à ce verbe, qu’il est un des rares (le seul ?) à employer pour parler du joueur qui contrôle la rondelle, voire qui tricote. C’est bien vu.

P.-P.-P.-S. — Pour découvrir les conditions de travail de McGuire et Dubé, on lira avec profit le texte de Biz, du groupe Loco Locass, paru dans le Devoir du 20 novembre 2013, «McGuire et Dubé, deux hémisphères d’un même cerveau».

Accouplements 04

Nicholson Baker, The Fermata, 1994, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Baker, Nicholson, The Fermata, New York, Random House, 1994, 303 p. Traduit par Jean Guiloineau sous le titre le Point d’orgue, Paris, Christian Bourgois, 1995, 308 p.

Le personnage principal a le pouvoir d’arrêter le temps. À quelle fin usera-t-il de ce pouvoir ? Il déshabillera les filles à leur insu. (Il est difficile d’oublier celle dont le sexe a la forme d’une selle de vélo.)

Rousseau, Jean-Jacques, les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Garnier, coll. «Classiques Garnier», 1960, civ/234 p. Ill. Texte établi, avec introduction, notes et relevé de variantes par Henri Roddier. Édition originale : 1782 (posthume).

Dans la 6e promenade, à propos de l’anneau de Gygès, qui rend invisible, Rousseau écrit : «Maître de contenter mes désirs, pouvant tout sans pouvoir être trompé par personne, qu’aurais-je pu désirer avec quelque suite ? Une seule chose : c’eût été de voir tous les cœurs contents» (p. 84).

L’Oreille tendue a plus de mal à croire Jean-Jacques Rousseau que Nicholson Baker.

D’ailleurs, Rousseau lui-même revient rapidement sur la phrase citée : «Il n’y a qu’un seul point sur lequel la faculté de pénétrer partout invisible m’eût pu faire chercher des tentations auxquelles j’aurais mal résisté, et une fois entré dans ces voies d’égarement où n’eussé-je point été conduit par elles ? […] Sûr de moi sur tout autre article, j’étais perdu par celui-là seul» (p. 85).

 

[Complément du 29 juin 2017]

Chacun chercherait ce dont il a le plus immédiatement besoin.

DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.

Le feu rouge qui le sépare de son point de rencontre monopolise l’attention des piétons qui l’entourent. Bruno compte près de vingt têtes tournées vers ce cercle illuminé et cette main rouge. Il aimerait réaliser un arrêt sur image, utiliser une télécommande pour figer le présent des autres. Un jour de pluie où il avait réussi à s’introduire en douce dans une vieille salle de cinéma, il avait vu un film qui mettait en scène cette idée. Moi, j’ferais ça dans un buffet… Pèse sur pause, entre dans la place, mange trois assiettes, sors dehors, pèse sur l’autre piton… Gras dur. Le feu tourne au vert (p. 508).

Accouplements 03

Jean Larriaga, FIP et moi, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Bishop, Ted, Riding with Rilke. Reflections on Motorcycles and Books, Toronto, Viking Canada, 2005, 255 p. Ill.

«Hsing had once caught me down on my knees taking a picture of the silver disk and gold caliper of my front brake. “I swear you love that bike more than me,” she said. “Oh no darling,” I said dusting off my pant legs, “It’s just, well, look at the way it glints in the sunshine”» (p. 127).

Larriaga, Jean, FIP et moi. Chroniques d’un écouteur, Paris, L’Harmattan, 2014, 102 p.

«Nez au carreau je ne fais absolument pas exprès de noter un, puis deux, puis dix, vingt, toute une gamme de pare-chocs aux formes aussi diverses et fignolées que mille et un cendriers. Je ne vois plus rien à l’infini que des pare-chocs qui m’encerclent à hauteur d’homme assis dans une Austin autant dire à ras du sol. J’ai envie de descendre en marche pour admirer le mien de plus près, sa forme ouvragée et son pouvoir rutilant…» (p. 14).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté FIP et moi le 3 avril 2014.